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Menwar: «Anglé apé fer latet dir»

30 juin 2019, 17:30

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Menwar: «Anglé apé fer latet dir»

Il a interprété sa chanson «Baz militer» samedi dernier lors d’une célébration de la «Lalit» pour la décolonisation des Chagos. Chanson qui des années après donne des frissons. Nous sommes allés à la rencontre de Menwar. «So lamé nwar, so lespri ouver.» L’artiste se souvient des Chagossiens, de leur arrivée à Maurice… Il a aussi suivi le Budget et déplore qu’une fois encore, les artistes ont été négligés.

Vous avez chanté «Baz militer» lors de la célébration de la «Lalit» pour la décolonisation des Chagos samedi. Nous avons compris que cette lutte a une place importante dans votre vie. Pourquoi précisément ?
Je l’ai écrit en 1982. À l’époque, le gouvernement mauricien ne s’était pas impliqué dans le combat pour récupérer les Chagos. Pourquoi? Parce qu’à l’époque, lorsque nous avons entendu parler qu’il y aurait une base militaire, moi j’ai pensé à ce jour où il y aurait un bombardement. Et si cette base était attaquée ? Vous pensez que nous serions tranquilles? Vous savez quelle artillerie existe-il là-bas ?Tout l’océan Indien est menacé. «Na pa zordi, napa dimé, zot pou bizin batayé», c’est ce que dit la chanson. Pour moi, c’est comme une bonbonne de gaz que vous avez dans votre cuisine.

Avez-vous personnellement rencontré ou côtoyé des Chagossiens ?
Mo ti trouv Sagosien débark Moris mwa. Je les ai vus sortir du bateau et s’installer à Baindes-Dames, à Roches-Bois, à Sainte-Croix. Il n’y avait pas encore le Groupe réfugiés Chagos. Olivier Bancoult n’était qu’un enfant. Je connais sa famille. J’ai aussi été témoin lorsqu’ils ont reçu leur compensation. La plupart d’entre eux étaient des pêcheurs. Il n’avait jamais eu à gérer autant d’argent. Certains ont vendu leur maison pour des sommes dérisoires. À Maurice, une partie est allée travailler sur des camions ou a gardé leur métier de pêcheur. Dans certains cas, des Mauriciens ont profité de leur naïveté. Les Chagossiens ont vendu leurs maisons et beaucoup de Mauriciens ont sauté sur l’occasion. Je vous parle d’une maison à Rs 13 000. J’étais à La Réunion lorsque ma cousine, qui est Chagossienne, a vendu sa maison.

Avez-vous suivi ce qui s’est déroulé aux Nations-unies ?
Mo pé konpran sirtou ki Anglé apé fer latet dir! Pourquoi ? Parce qu’il y a de grosses sommes d’argent en jeu. C’est pour cela que les Anglais ne veulent pas entendre parler de délaisser les Chagos. Maurice a aussi dit qu’il n’est pas question de déloger les Américains des Chagos parce que si les Anglais parviennent à quitter l’archipel, ils vont récupérer la souveraineté mais pas de faire partir la base américaine. La lutte de Maurice est sur la souveraineté, celle des Chagossiens est pour retourner vivre aux Chagos. Il y a donc deux luttes. C’est ce que je pense.

Dans votre chanson, vous dites:«baz militer finn monté»… Cela nous fait penser à Agalega. Pas vous ?
Je ne sais pas ce qui se fait à Agalega. Je vois uniquement que nous avons énormément gagné de l’Inde. Nous sommes proches de ce pays. En plus, c’est un pays de peuplement. Il y a des gens dont les origines sont de là-bas et qui se considèrent comme majoritaires à Maurice. Lorsque vous voyez au Parlement, c’est ce qui se constate. J’espère juste que la nouvelle génération va comprendre que tout le monde est important. Nous avons besoin de la collaboration des autres pays, je ne dis pas non. Mais nous devons aussi savoir ce que l’Inde vient faire chez nous. Est-ce que les Indiens nous aident sans rien attendre en retour? J’ai entendu des gens parler d’une possibilité de base militaire là-bas. Mais qui sait, Agalega est sur une zone stratégique.

Il y a des militaires là-bas…
Je n’ai jamais été à Agalega. Je n’ai jamais vu des images de ces militaires non plus. Mais s’ils y sont… pourquoi? Pour surveiller les constructions? Je ne crois pas. Je sais juste que personne ne donne rien pour rien. Il y a déjà un gros problème de pauvreté en Inde. Au lieu de s’occuper de leurs pauvres, ils nous donnent de l’argent? Il faut se poser des questions… Nous parlons de développement, mais qui s’intéresse à la vie des gens ? Ce n’est pas différent à Maurice. Par exemple, ici, quelqu’un me dit qu’on veut faire un incinérateur à Riche-Terre. Mais cela ne fait aucun sens. L’air sera pollué. Ce n’est pas parce que j’habite Pointe-aux-Sables que cela ne va pas m’affecter.

Vous avez suivi le Budget ?
J’ai surtout suivi où vont les gros millions. Vous allez sûrement parler de la culture. Je vous dis déjà qu’il n’y a rien.

Vous vous attendiez à quoi ?
Je vais vous dire une seule chose. Récemment, je suis allé au ministère pour demander du financement pour un seul billet. J’ai emmené mon dossier complet et il y avait toutes les invitations. Si vous voulez vérifier la tenue d’un festival, vous n’avez qu’à prendre votre téléphone, vous cherchez le nom du festival, les participants et vous verrez. Mais vous savez aujourd’hui comment ça se passe ? La Culture envoie mon dossier aux Affaires étrangères, ce ministère contacte l’ambassade de Maurice à Paris, si le festival se fait en France, et l’ambassade va contacter les organisateurs et c’est là qu’elle va donner une réponse au ministère des Affaires étrangères, qui va contacter le ministère de la Culture… ensuite, ils me diront si oui ou non ma demande a été approuvée. J’ai eu à trouver un emprunt pour y aller. Mo pa kapav perdi pwin laba ! Si on ne s’y rend pas, il y a des dommages à payer.

Le ministre m’a expliqué que c’est parce qu’il y a eu des abus qu’à présent, c’est aussi compliqué. Savédir kan enn pwason inn gaté, tou lamer net gaté ! Déjà que vous avez le droit de demander l’emprunt chaque deux ans. Mais je fais comment si un organisateur de festival m’a remarqué et veut m’inviter l’année suivante ? Je n’y vais pas? Dépendant des organisateurs, ils nous donnent tout sauf le billet. Pour eux, c’est au gouvernement de faire un effort. J’ai eu pas mal de soucis une fois parce que je n’avais pas de transport à Paris pour me rendre à un festival. J’ai donc eu à quitter l’aéroport, prendre le RER avec ma guitare et mes percussions… Tout ça pour porter le nom de Maurice tout haut. Il y en a qui ne font rien mais qui ont tout sur un plateau. Quel est le rôle des ambassades? Je ne fais pas que critiquer…c’est une réalité. Nou ki galéré!

Mais il s’agit des procédures…
Si on revient sur ce projet d’incinérateur, ils nous parlent d’île durable. Comment ce projet cadre-t-il avec cette vision ? Nou pé mars lor nou latet ? Ce sont des docteurs, des avocats qui sont des ministres mais ils nous prennent pour des imbéciles parce que nous ne sommes pas allés à l’école. Pour eux, un intellectuel c’est celui qui porte un costume, qui a une mallette. L’intellectuel pour moi c’est celui qui a un cerveau développé. C’est ça l’intelligence. Moi je ne suis jamais allé à l’école. Jamais.

Les ministres vous ont déjà sollicité pour un conseil ?
Lorsqu’il fallait inscrire le séga dans le patrimoine de l’Unesco, ils m’avaient appelé avec d’autres artistes. Mais je n’ai pas besoin qu’ils viennent prendre conseil auprès de moi, si un ministre lit ce que je dis dans la presse et prend en considération les points que j’avance, c’est déjà beaucoup. Mwa ki artis, mwa ki viv sa ! Si ou anvi ed mwa, ou ekout mwa… Vous savez que les socioculturels ont plus d’argent que nous? Ils ont des fonds pour eux mais lorsqu’il y a des événements culturels, ils obtiennent encore de l’argent. Sans compter que ceux qui veulent promouvoir les artistes, leur donner un espace, rencontrent de nombreuses difficultés. Les ministres disent quelque chose et font le contraire. Je vais vous dire, lorsque je reviens à Maurice, je ne suis pas considéré comme un athlète moi. Je suis content pour les athlètes mais les artistes font parler de Maurice aussi. On parle d’industrie musicale mais elle est où ? À La Réunion, lorsqu’un artiste veut sortir un album, il obtient le financement. Ici, on vous dit de le faire, ensuite, ils vont donner l’argent.

Sur un plan plus personnel, dites-nous d’où vous vient ce nom «Menwar» ?
C’est en jouant au Carrom ! Je jouais avec un ami, il était persuadé que mon pion ne pouvait entrer parce que le sien se trouvait juste devant. Lorsque j’ai tiré, le sien a sauté, le mien est entré. Il dit «guet li ar so lamé nwar la!». C’est vrai, j’ai les mains noires des deux faces. C’est là que j’ai gardé ce nom. Mon premier nom de scène c’était «le loup». C’est le surnom que m’avait donné ma mère. Mais il y avait déjà un artiste qui s’appelait Le Loup. J’ai donc changé de nom. J’ai gardé «Menwar»…