Publicité

Vidushi Neergheen Bhujun: contribuer à briser la fausse perception entourant le brède mouroum

15 juin 2019, 15:59

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Vidushi Neergheen Bhujun: contribuer à briser la fausse perception entourant le brède mouroum

Les Mauriciens croient, à tort, que le brède mouroum fait grimper la tension artérielle. En réalité, c’est le contraire. Une étude clinique, menée par deux chercheuses de l’université de Maurice, le confirme. L’une d’elles, Vidushi Neergheen Bhujun, a fait de la prévention du cancer sa cible.

Les professeures agrégées Marie-France Chan Sun et Vidushi Neergheen-Bhujun ont de quoi être fières. Leur article, qui fait état d’une étude clinique en trois volets, démarrée en 2016 et intitulée Consumption of Moringa oleifera Lam Leaves lowers postprandial blood pressure, a été publié le mois dernier dans le prestigieux Journal of the American College of Nutrition. «Je suis satisfaite des conclusions de notre étude. Il fallait vraiment briser la mauvaise perception selon laquelle le brède mouroum fait monter la tension artérielle. Avec de telles mauvaises perceptions, on peut passer à côté de quelque chose qui est bon pour notre santé», déclare Vidushi Neergheen Bhujun, professeure agrégée et chef du département des sciences de la santé auprès de l’université de Maurice et chercheuse au Biopharmaceutical Unit, Centre for Biomedical and Biomaterial Research.

Au début de son adolescence, cette Curepipienne, fille d’une directrice d’école maternelle et d’un père comptable, a longtemps cru qu’elle était faite pour la comptabilité et l’économie, même si elle appréciait beaucoup la biologie. À l’heure des choix au Lorette de St-Pierre, une de ses enseignantes lui a affirmé que si elle optait pour les sciences, elle aurait un plus vaste choix de carrière. Vidushi Neergheen Bhujun l’a écoutée et ne l’a jamais regretté.

Le Lorette de St-Pierre n’ayant pas de classe de Form VI à l’époque, c’est au collège Maurice Curé qu’elle poursuit ses deux dernières années de secondaire. «Aussi bien au Lorette de St-Pierre qu’au collège Maurice Curé, j’ai été très soutenue par les enseignantes», raconte-t-elle. Si elle se destine à la médecine, un exercice d’autopsie à la morgue de l’hôpital Victoria en compagnie de sa classe terminale la traumatise tellement qu’elle décide de changer son fusil d’épaule. Lorsqu’elle obtient ses résultats de fin d’études secondaires, elle opte pour des cours menant à un Bachelor of Science auprès de l’UoM. Admise, elle obtient sa licence avec les honneurs en 1998 et figure parmi les majors de sa promotion.

Au lieu d’embrayer avec une maîtrise, elle postule pour obtenir une bourse d’études de la Tertiary Education Commission et faire un MPhil/PhD en biosciences. Vu ses bons résultats, elle l’obtient. Elle est encadrée par deux directeurs de thèse, un Mauricien et un Britannique. Horrifiée par les statistiques sur le cancer, maladie des pays riches, qui a évolué et gagné les pays en développement dont Maurice, et ce, de façon exponentielle, elle choisit d’effectuer une recherche sur les propriétés médicinales des plantes endémiques que sont les myrtacées comme le girofle, les rubiacées comme le café local et les ébénacées telles que le bois d’ébène. Elle se penche sur une collection de plantes identifiées par le Mauritius herbarium et planche sur leur extraction, la caractérisation des extraits et la validation des propriétés médicinales anti-oxydantes et antiprolifératives des cellules cancéreuses. Une recherche qui l’entraîne notamment à l’Imperial College et au London South Bank en Grande-Bretagne, de même qu’à la Seoul National University en Corée du Sud.

Sa thèse porte sur la bioefficacité des plantes endémiques

par rapport au taux d’anti-oxydants qu’elles contiennent et par rapport à leur toxicité vis-à-vis des cellules cancéreuses du sein. Une plante endémique en particulier, l’Eugenia policina, se montre particulièrement active contre les cellules cancéreuses du sein.

Enseignement de la biologie au secondaire

Ce travail de longue haleine, soit de 2002 à 2005, lui permet de réaliser qu’elle veut se diriger vers la chimio-prévention, soit utiliser des produits naturels pour prévenir les maladies non transmissibles et en particulier le cancer. Elle va tâter de l’enseignement de la biologie au niveau du cycle secondaire de 2005 à 2009 avant de postuler pour remplir un poste vacant de chargé de cours au sein du département de sciences de la santé à l’UoM. Emploi qu’elle obtient. «Ce que j’aimais avec le poste à l’université, c’est qu’il me permettait non seulement d’enseigner la biochimie au niveau de la licence et du Masters mais aussi d’effectuer des recherches. Ce qui n’était pas le cas dans l’enseignement dans les collèges.»

Et là, Vidushi Neergheen Bhujun s’en est donnée à coeur joie. Elle a notamment encadré une étudiante en cotutelle, qui a observé la réaction des champignons pleurotes qui sont cultivés à Maurice sur les souris porteuses de tumeurs au foie. Étude comparative entre les pleurotes et des champignons de Paris et qui a démontré que les champignons pleurotes contiennent un taux plus élevé de polyphénols et un acide aminé spécifique. La synergie de ces molécules fait diminuer les risques de cancer du foie.

Elle et une petite équipe ont ensuite travaillé sur les plantes endémiques et les cellules cancéreuses de l’oesophage en collaboration avec l’université de Keele en Grande- Bretagne et celle d’Edimbourg au Pays de Galles. «On a remarqué que des extraits de plantes endémiques augmentaient un biomarqueur qui diminue la prolifération des cellulescancéreuses actives dans l’œsophage des souris. Il faudra faire des études cliniques pour voir si ces plantes ont du potentiel.»

Nominée par le World Economic Forum

Entre-temps, elle a été nommée professeure agrégée et a été invitée à assister à plusieurs conférences internationales et a même été nominée par le World Economic Forum en 2014-2015 parmi les 40 plus jeunes scientifiques exceptionnels à l’échelle mondiale. Sa collègue Marie-France Chan Sun et elle ont alors l’idée de tester le bien-fondé des bienfaits du brède mouroum, réhabilité par les Africains et les Européens qui le consomment en poudre, en thé et en gélule mais qui est délaissé par les Mauriciens qui pensent à tort que ce brède, connue aussi comme Moringa, est un hypertenseur. «Nous avons voulu montrer l’activité biologique du Moringa et briser le mythe qui l’associe à l’hypertension artérielle.» Les deux complices cherchent et obtiennent un financement important du Mauritius Research Council et entament leur recherche, qui comporte trois volets.

Pour pouvoir démystifier, il faut connaître la perception. Entre 2015 et 2017, elles font un sondage auprès de 700 Mauriciens de 18 à 65 ans afin de savoir quels sont les obstacles à la consommation du brède mouroum qui pousse facilement dans les cours. Exercice qui révèle que 15,1 % de la population pense que le brède mouroum fait monter la tension artérielle. «Personne ne l’a vécu. Ils en ont entendu parler. Or, aucune littérature médicale ne l’affirme. C’est l’inverse même. Cela avait été testé sur les souris mais pas sur les humains.» Par conséquent, le deuxième volet de leur étude a été un essai clinique sur 41 individus, âgés de 18 à 65 ans, répartis en deux groupes, un de contrôle et l’autre expérimental. Les deux groupes ont été placés dans un cadre résidentiel. Le groupe expérimental a consommé 120 grammes de brède mouroum lors du déjeuner et la tension artérielle des deux  groupes a été mesurée avant et après le repas et toutes les deux heures sur 24 heures. Le résultat a été que sur le groupe expérimental, il a été noté que le brède mouroum fait effectivement baisser la tension artérielle, que ce soit la systolique que la diastolique et même chez les sujets qui consomment un taux élevé de sel.

Le troisième volet de l’étude consistait à déterminer le mécanisme d’action du Moringa. «On a vu que le brède mouroum contient des inhibiteurs d’enzymes angio-tenseurs (NdlR : qui font baisser la tension artérielle).» Si leur article sur les résultats de cette recherche a été publié le mois dernier dans le Journal of American College of Nutrition – ce qui n’est pas rien –, leur rapport complet sur cette étude sera finalisé en août. «Si les résultats de cette étude sont conformes à l’article 2 des Objectifs du développement durable qui a trait à l’allègement de la pauvreté et à l’amélioration de la nutrition, de même qu’à l’article 3 qui parle d’amélioration de la santé, le but premier de cette étude est de réhabiliter le brède mouroum qui doit faire partie de nos habitudes alimentaires au moins une fois la semaine, voire plus

Vidushi Neergheen Bhujun, qui est mère d’un fils de cinq ans, ne saurait s’arrêter en si bon chemin. Elle veut désormais reprendre son bâton de pèlerin et aller chercher un financement pour voir si le Moringa a des effets positifs sur les maladies non transmissibles comme les maladies cardiovasculaires, le diabète et le cancer. Comme quoi, la recherche sur les bienfaits de nos chers brèdes mouroum ne fait que commencer…