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Amarnath Hosany: «Qui suis-je pour faire la morale ?»

28 mai 2019, 09:55

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Amarnath Hosany: «Qui suis-je pour faire la morale ?»

Le 19e ouvrage de littérature jeunesse d’Amarnath Hosany, «La ravanne de Daniella» vient de sortir chez l’Atelier des Nomades. Il est illustré par Joëlle Betsey Maestracci.

Les nouvelles technologies et la littérature jeunesse, deux mondes incompatibles ?
Un auteur a une mission. Celle de prendre un enfant, un lecteur par la main pour faire un voyage, dont il sortira grandi. Si le voyage n’est pas agréable, l’enfant dira, «lâche-moi la main». Un artiste, un auteur fonctionne d’après son vécu, les fascinations qu’il avait enfant.

Qu’est-ce qui vous fascinait ?
Tout ce qui était merveilleux. J’ai la chance d’avoir eu une enfance heureuse. Mes parents m’ont appris à vivre avec les autres. Mon papa était infirmier dans les dispensaires. Je suis né à Rivière-du-Rempart, ensuite j’ai grandi à Quatre-Bornes. Ma grand-mère maternelle, qui était aveugle, qui ne savait ni lire ni écrire, nous racontait des histoires. C’est là que j’ai découvert le personnage de Tizan. Un enfant a besoin de ça. Ce n’est pas du réel ni du virtuel, mais des éléments qui donnent une vision de la vraie vie. C’est ce qui m’a donné envie de transmettre à mon tour.

Et les nouvelles technologies dans tout cela ?
Ce n’est pas un danger. Elles peuvent être exploitées pour amener l’enfant vers la lecture.

Il y a tant d’auteurs qui se disent à quoi bon publier un nouveau livre qui ne sera pas lu. «La ravanne de Daniella» est votre 19e album jeunesse.
Mon but principal, c’est l’invitation au voyage. Je ne regarde pas ce que cela va me rapporter. Ce n’est pas un investissement.

Il y a tout de même une logistique à mettre en place, non ?
Il faut passer par la chaîne du livre. Je rentre de Madagascar où j’ai participé à la conférence de l’Association Internationale des Libraires Francophones (AILF) et la semaine de la littérature jeunesse. Non seulement cela m’enrichit, mais cela m’ouvre des perspectives.

Cela vous montre tout ce qui est possible en dehors de Maurice ?
À Maurice, plusieurs maillons de la chaîne du livre n’existent pas. Dans une maison d’édition professionnelle, le texte est retravaillé. L’auteur raconte une histoire tout court. Cela ne veut pas dire qu’il maîtrise forcément la langue, le style. Un auteur n’a pas nécessairement un diplôme dans la langue dans laquelle il s’exprime. Un livre, c’est un enfant. L’auteur est le papa, l’éditeur, c’est la maman. Le gynécologue c’est l’imprimeur. La nounou, des gens qui vont l’encadrer, ce sont les libraires, les institutions censées promouvoir la lecture.

À La Réunion, il n’y a pratiquement pas de publication à compte d’auteur. À Maurice, elles sont rares les maisons d’éditions structurées. Leur fonds de commerce, pour la plupart, ce sont les manuels scolaires. Ce n’est pas facile de vendre les livres de lecture plaisir à Maurice.

Un auteur ne peut pas être à la fois éditeur, imprimeur, vendeur. En participant à des salons à La Réunion, j’ai eu la chance de rencontrer des éditeurs, des auteurs, des illustrateurs. J’ai appris ce qu’est le format d’un texte de littérature jeunesse. Moi, je ne faisais qu’écrire des histoires. Enn ta mo. Le texte doit cadrer avec une collection publiée par un éditeur.

Chez certains auteurs, modifier la place d’une virgule donne lieu à une bagarre…
Il faut laisser l’ego de côté, que l’auteur s’efface. Je dis tout le temps : «Jugez ce que je fais, pas ce que je suis.» Si ce n’est pas bon, qu’on me le dise franchement. Heureusement que j’ai rencontré des personnes de bonne foi qui m’ont dit «ce que tu fais c’est bien, mais…»

Cela vous gêne qu’on insiste sur la morale dans la littérature jeunesse ?
Avant, à la fin de l’histoire, je croyais qu’il fallait ajouter une petite phrase. Après, je me suis demandé : qui suis-je pour faire la morale ? Je raconte une histoire, point. En laissant le soin au lecteur de tirer ses conclusions. La morale est dans l’action, les choix du personnage. Le lecteur s’identifie au personnage. Il n’y a pas lieu d’en rajouter. Tout cela, je l’ai appris au fil du temps. J’apprends tous les jours.

Le système éducatif prépare des petits robots pour le marché du travail. Pour avoir accès à une école publique, pour un atelier, il faut l’autorisation du ministère de l’Éducation. D’accord, on ne peut pas laisser entrer n’importe qui. Je suis invité par la Mauritius Library Association, qui regroupe les bibliothécaires des collèges d’État, une fois par an, dans le cadre de la journée mondiale du livre.

Par contre dans les écoles françaises, il y a des rencontres régulières avec les enfants, plus encore quand il y a un livre qui sort. Le système prévoit la rencontre des enfants avec un auteur. Une fois, un enfant a dit : «Ben, l’auteur est vivant ? Il y a des fois on lit des livres, l’auteur est déjà mort. On croyait que tous les auteurs étaient déjà morts.» Dans les écoles françaises, ces enfants s’approchent de vous, posent des questions. Ils sont vivants. Par contre dans les écoles du gouvernement, il y a rarement un enfant qui réagit. La plupart sont comme des momies. Il y a un manque d’activités autour du livre. Pourtant cela ne coûte rien d’inviter un conteur, un slameur, un musicien, un comédien.

Que répondez-vous aux parents pour qui ces activités sont une perte de temps ?
À la sortie de mon premier livre, dans mon entourage, la première réaction d’un adulte a été : «To pe ekrir tikomik», voulant dire que cela ne vaut rien. Notre système est faussé par la course à la réussite.