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JIOI 2019 - Jason Chellen: «Bertin nous a réveillé quand il a dit «Vous n’aimez pas votre pays !’»

26 mai 2019, 17:27

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JIOI 2019 - Jason Chellen: «Bertin nous a réveillé quand il a dit «Vous n’aimez pas votre pays !’»

La plus grande émotion, celle qui reste dans les mémoires, n’est pas forcément celle que l’on croit. Certes, la remise de la médaille reste un moment fort où les efforts sont récompensés. Et Dieu sait qu’ils étaient intenses durant la préparation. C’est précisément durant cette préparation, à Madagascar, un mois avant les Jeux des îles de 1998, que le groupe allait vraiment bâtir ses fondations et vivre ses plus grands moments.

Il faut, avant tout, remettre les choses dans leur contexte. Dans les années 1990, le handball n’est pas énormément pratiqué dans l’île. Malgré tout, les organisateurs prennent la décision de l’inclure dans les Jeux de 1998 à La Réunion. Le handball est considéré comme le sport numéro 2 à l’île sœur et il aurait été inconcevable qu’il ne soit pas dans la liste des seize disciplines au programme.

Chose faite. Il fallait donc «construire» une sélection de Maurice et embaucher un Directeur technique national. Quatre clubs dominaient le championnat à l’époque : Curepipe Rangers, Curepipe Fighters, Police HBC et Port-Louis HBC. Ce sont les joueurs de ces équipes qui formèrent la sélection. Vu que le hand était le parent pauvre du sport collectif à Maurice, le budget n’était pas le même. Du coup, l’Association mauricienne de handball (AMH) se tourna vers le Malgache Bertin Andria-miharinosy, une main-d’œuvre moins chère sur le marché.

La remise des médailles en 1998 où Maurice a décroché le bronze.

C’est cet homme-là qui nous a forgés. Il a partagé son passé et son présent. Ses conseils de vie nous ont transformés. Car au-delà de l’aspect technique essentiel dans cette compétition, il nous a transmis ce goût de l’effort, comme celui qui anime ses compatriotes dans leur vécu de tous les jours. Ce dépassement de soi dans les moments difficiles. Une fraternité et une solidarité avaient pris naissance.

Et le summum de cette préparation intervint un mois donc avant les Jeux. Le stage à Madagascar s’était fait dans des conditions difficiles. En fait, pour nous tous, c’était sortir de notre confort et regarder la vie autrement. La liste est longue : les voyages à Tamatave dans un van de 15 places – alors qu’on était 16 ! – recroquevillés comme des sardines pendant huit heures sur des routes qui serpentent, les matches amicaux face à des adversaires physiquement supérieurs, l’alimentation difficile, les réveils laborieux après ces matches où les coups et blessures étaient légion. Il y a une anecdote… un joueur s’était fait pincer les parties intimes pendant un match. Pour nous, c’était, bien sûr, interdit, mais ce sont des astuces auxquelles nous n’étions pas habitués et ce sont des petites ruses qui peuvent servir, tant qu’elles sont réalisées dans le dos d’un arbitre ! Ce sont des exemples, parmi tant d’autres, qui nous ont façonnés.

Étant encore étudiant à l’époque, on m’avait dit que les voyages forment la jeunesse. C’est effectivement le cas. Qu’on soit jeunes ou moins jeunes d’ailleurs. Notre regard change et quand on partage ces découvertes avec ses potes, cette «formation» n’a pas de prix. De nos jours, quand je vois que des déplacements sportifs à l’étranger sont annulés, faute de budget, je ne peux qu’enrager pour ces sportifs victimes d’incompétents qui ne connaissent fichtrement rien au sport et à ces bienfaits.

Jason Chellen est désormais l’entraîneur de l’AS Vacoas-Phoenix.

Et le moment rempli d’émotion, je m’en rappellerai toujours, c’était à la suite d’un match face à une équipe régionale où Bertin nous avait gueulé dessus à l’extrême jusqu’à un point qu’on ne connaissait pas. Il nous avait poussé au bout de nos forces et de notre usure mentale pour hurler ces mots à la fin : «Vous n’aimez pas votre pays !» Certains d’entre nous avaient les larmes aux yeux dans le van du retour. Bertin avait allumé la flamme du patriotisme qui sommeillait en nous. Depuis ce jour, plus rien n’a jamais été pareil pour les sportifs de haut niveau qu’on était.

Une des qualités que ce groupe avait aussi acquises, c’était la modestie. On se souvient que pour l’ouverture de ces Jeux, certains d’entre nous n’avaient pas eu de chapeaux pour le défilé. «Handball sa», disions-nous, en référence au fait qu’on était des laissés pour compte qui devaient se battre pour se faire un nom.

Et c’est en partie pour cela qu’au fil des matches, nous nous battions sur tous les ballons, même contre des adversaires supérieurs à nous comme les Réunionnais. D’ailleurs, le début du match contre les handballeurs de l’île sœur fut une grande surprise pour tout le monde dans les gradins ou à la télé, parce qu’on faisait jeu égal avec les Réunionnais. Contre Madagascar, nous avons tenu pendant tout le match avant de nous faire dépasser dans les dernières minutes.

Lors de la cérémonie d’ouverture en 98, certains n’avaient pas eu de chapeaux et en avaient rigolé.

À ce sujet, Bertin en prenait plein la tronche avec les supporters malgaches dans les gradins qui le qualifiaient de traître. Nous qui étions sur le terrain, cela nous motivait davantage, parce qu’on ne touchait pas à l’un de nous. Si on s’attaquait à une personne du groupe, on s’attaquait à tout le monde. La force mentale de ce groupe avait atteint un niveau inimaginable !

Malheureusement, nos carences techniques ne nous permirent pas d’aller plus loin qu’une médaille de bronze contre les Comores. Nous savions que les Réunionnais et les Malgaches étaient supérieurs car ils comptaient des années de handball d’avance. Mais nous avions compensé ce manque, par d’autres acquis, comme les qualités physiques, l’endurance et un mental à toute épreuve.

Certaines disciplines collectives mieux loties financièrement avaient failli. De jour en jour là-bas, on commençait à se faire un nom. On parlait de nous et de notre solidarité dans la Gazette des Jeux car un soir où l’un de nous était en observation après avoir reçu un coup, on était tous présent pour lui. Une parenthèse ici, pour dire qu’on l’est toujours, car un des nôtres, Jeannot Dorasawmy, a besoin de nous en ce moment pour une transplantation rénale qui coûte Rs 1 million. Nous sommes en train de tout mettre en œuvre pour récolter les fonds pour qu’il puisse retrouver la santé.

Nous avions faim de handball à cette époque. Bertin n’avait pas besoin de nous motiver. On l’était à fond. On prenait vraiment plaisir dans cette compétition. Chaque anniversaire était fêté comme il se doit, avec les moyens du bord.

Et le jour du match de la troisième place, contre les Comores, on était tellement avide de victoire – sachant qu’on les avait battus en phase préliminaire – qu’on était très déçu qu’ils ne soient pas présents à l’heure du match au Stade de l’Est. On en a profité pour faire un match entre nous.

Du coup, notre médaille de bronze équivalait à une réponse cinglante à ceux qui nous avaient enterrés avant les Jeux. Car la meilleure façon de répondre à des critiques, c’est de le faire sur le terrain. Allez demander à Aimé Jacquet avec l’équipe de France de football 1998…

Le seul regret qu’on a pu avoir à l’époque, c’est qu’avec ce que nous avions construit, nous aurions pu aller loin, cinq ans plus tard, en 2003, sur notre sol. Mais la politique et le sport ne font pas bon ménage et le handball n’était pas retenu dans la liste des disciplines. Certains dirigeants qui se reconnaîtront ne croyaient pas dans le hand mauricien. Ces dirigeants ne savent pas à quel point une petite décision peut influer sur une carrière.

Cette génération est morte alors qu’elle venait de naître, mais le réconfort, c’est qu’elle a ouvert des portes qui, jusquelà, n’existaient pas, à d’autres.»

Palmarès

En tant que joueur

• 1998 :Médaillé de bronze auxJeux des îles à La Réunion

• 1993 à 1998 : Champion intercollèges avecle Saint-Joseph

• 1996 à 1998 : Champion de Maurice avecles Rangers Handball Club

• 1999 à 2009 : Champion de Maurice et vainqueurs de multiples Coupe de Maurice et Coupe de la République avec l’USBBRH (photo)

• 2006 :Vice-champion de l’océan Indien à Madagascar

En tant qu’entraîneur

• 2018 : Champion de Maurice avecl’AS Vacoas-Phoenix

• 2018 :Vainqueur de la Coupe de Maurice