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La Rajkumari Indira Devi Dhanrajgir: sa longue histoire d’amour avec Maurice

25 mai 2019, 21:15

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La Rajkumari Indira Devi Dhanrajgir: sa longue histoire d’amour avec Maurice

La Rajkumari Indira Devi Dhanrajgir impressionne à bien des égards. On se demande d’abord quel est son secret de jouvence car malgré son âge avancé, c’est à peine si son visage est ridé. Élégante dans la tenue comme dans le propos, elle parle d’une voix douce, sans jamais élever la voix. Cela tient sans doute à son sang royal et à son éducation.

Elle est née il y a 88 ans à Hyderabad dans le palais familial de Gyan Bagh. Élevée à Mumbai et à Pune par des gouvernantes, elle voyait peu ses parents. «Pour les rencontrer, il fallait prendre rendez-vous», a-t-elle raconté l’an dernier à un journaliste du TelanganaToday.

Elle et ses frères et soeurs ont été encouragés à étudier et à faire du sport. Indira Devi Dhanrajgir a fait ses études à l’école Queen Mary de Bombay avant de compléter son School Certificate au Mehboobia Girls High School à Hyderabad. Très portée pour la littérature, elle maîtrise l’anglais, l’ourdou, l’hindi, le marathi et le français, «même si pour cette dernière langue», dit-elle, «elle manque de pratique.» Elle a toujours été attirée par la poésie et apprécie énormément les poètes anglais comme français. Elle en écrit elle-même.

Comme tous les nobles de l’époque, elle a été encouragée à faire du social et s’est intéressée à l’émancipation féminine. C’est ainsi qu’elle a été choisie pour présider la branche d’Hyderabad de la All India Women Conference. C’est au cours d’une conférence du Telugu Maha Sabha à Hyderabad qu’elle rencontre Simadree Virahsawmy, dirigeant du Parti travailliste et ministre de la Protection des consommateurs. On est alors à la fin des années 60. Il l’invite à venir à Maurice. «J’ignorais jusqu’à l’existence de Maurice», confie-t-elle.

Le ministre d’État d’Hyderabad lui demande de se rendre à Maurice et d’y mener une délégation à l’occasion d’une conférence télougou. Elle accepte. Elle pose pour la première fois les pieds à Maurice en 1968. Elle est logée au Park Hotel à Curepipe, là où se trouve aujourd’hui le quartier général de Beachcomber. La Rajkumari Indira Devi Dhanrajgir est immédiatement séduite par la beauté de l’île et veut rencontrer les poètes mauriciens.

Elle est escortée dans ses déplacements par sir Dayendranath Burrenchobay, qui est à l’époque chef de cabinet au bureau du Premier ministre et Kissoonsing Hazareesing, secrétaire privé du Premier ministre sir Seewoosagur Ramgoolam (SSR). C’est d’ailleurs SSR qui lui fait rencontrer Marcel Cabon, journaliste, poète et auteur dont elle se souvient comme d’une personne «intéressante et humoristique». Ils essaient aussi de la présenter à l’écrivain-poète-peintre Malcolm de Chazal mais celui-ci refuse de la voir. Elle n’en prend pas ombrage. «Cela m’a permis de mieux comprendre ce que sont la poésie et les poètes.»

Cette rencontre manquée a finalement lieu avant la fin de son séjour alors qu’elle se rend à l’hôtel Le Morne avec Kissoonsing Hazareesing. Celuici lui indique que l’homme au chapeau feutre assis en bout de table à contempler la mer n’est autre que Malcolm de Chazal. L’hôtel abrite ce jour-là une exposition de ses tableaux. Ne voulant pas essuyer une deuxième rebuffade, elle laisse le chef de cabinet de SSR passer devant. Lorsque celui-ci tente de la présenter à l’artiste mauricien, ce dernier, tout en la saluant, déclare savoir qui elle est car il l’a vue à la télévision. «Il marchait et je le suivais, moi toute petite derrière ce grand homme. Il s’est retourné et m’a demandé : Who is the greatest hindu in Mauritius? Ne sachant pas quoi répondre, j’ai dit : it is you. That’s right, he said. Il m’a emmenée voir ses tableaux et m’a demandé d’en choisir un. J’ai refusé et il a insisté. They were all childish pictures and I chose one. Il m’a demandé d’en choisir un autre. J’ai pris un tableau avec une immense montagne et le soleil et j’ai dit que cela me rappellerait notre rencontre au Morne.»

Ce jour-là, Malcolm de Chazal lui fait cadeau de 14 toiles qu’elle a emportées en Inde mais dont elle a fait don à des Mauriciens par la suite, estimant qu’ils appartiennent au patrimoine mauricien. Au cours d’un prochain déplacement à Maurice, Malcolm de Chazal devait faire des photos pour Paris-Match. Il a insisté pour qu’elle y figure aussi. «C’est ainsi que je me suis retrouvée dans Paris-Match avec Malcolm», raconte-t-elle en souriant.

La Rajkumari n’oublie pas non plus le comportement imprévisible de Malcolm de Chazal, notamment lorsque Lady Williams, femme du dernier gouverneur général britannique, sir Arhur Leonard Williams, lui a demandé de proposer le Order of the British Empire à l’artiste. Elle et Vijay Joypaul, rattaché au bureau du Premier ministre, ont invité Malcolm de Chazal à dîner à Grand-Baie. Lorsqu’elle lui a fait la proposition, il a refusé en disant qu’il n’allait pas «go on my feet in front of that woman» et de colère, il a jeté sa serviette de table au visage de la Maharani. Elle s’est levée dignement et a quitté le restaurant, sans lui en tenir rigueur toutefois. «He was bigger than Creation itself and why not.»

Elle est surprise d’apprendre qu’il est revenu sur sa décision lors de la visite de la reine Elizabeth en 1972 à qui il avait envoyé un rouleau de parchemin chinois sur lequel il avait «put a mad stroke». La reine aurait dès le lendemain apposé le dessin sur une de ses robes. «Malcolm’s ego was flattered and he accepted the OBE». Elle l’a revu à une ou deux reprises à chacune de ses visites à Maurice. «Cela m’a pris du temps pour le comprendre et l’apprécier mais j’aimais sa folie. If you put your ego away, you will understand people.»

«Que Maurice reste l’île harmonieuse, qu’elle soit “not intruded by other countries, even if it is India”.»

La Rajkumari a rencontré et sympathisé avec bon nombre de Mauriciens dont sir Gaëtan Duval qui était un ami proche de sa soeur Renuka et de ses frères. «J’ai toujours pensé que Maurice était rempli d’intellectuels qui n’étaient pas appréciés à leur juste valeur.» Elle adore Maurice et en particulier la couleur de l’eau, qui estime-t-elle, ne peut être due seulement au reflet du ciel dans la mer. «Mon âme de poète me dit qu’il doit y avoir de l’oxygène dans cette eau. C’est pour cela que j’appelle Maurice my little Emerald island.»

Folle de poésie et auteur elle-même de poèmes, ce n’est pas étonnant qu’elle soit tombée amoureuse du célèbre poète Gunturu Sheshendra Sarma, premier poète télougou à avoir été nominé pour le prix Nobel de littérature. Ils se marient en 1971. Bien qu’il veuille des enfants, elle pas, estimant qu’il s’agit d’une très lourde responsabilité qu’elle n’est pas sûre d’être capable d’assumer, pour Sheshendra, elle met son âme de poète en sourdine. Elle s’occupe personnellement de tout ce qui a trait à leur vie domestique et dactylographie même ses manuscrits. «He was a lovely human being and I let him be. Two poets cannot live together. Whatever I had to say, I passed to him.»

Elle confie qu’il ne l’a jamais emmenée au restaurant, ne lui a jamais offert des fleurs et oubliait toujours son anniversaire. Qu’importe. «Moi je lui achetais des présents, je le sortais, je l’habillais. Nous étions inséparables. I took it all in my stride. We, Indian women learn to take it. In fact, all women do.»

Si bien qu’à son décès en 2007, elle est anéantie. Elle s’oblige toutefois à se ressaisir pour ne pas faire fuir son entourage. Si depuis son mariage, elle n’était pas revenue à Maurice, à la mort de son mari et sur insistance d’Asha Burrenchobay, fille de sir Dayendranath, Senior Chief Executive au ministère de la Justice et des droits humains, elle y est retournée en 2008. Cette année, elle devait aller à Paris mais s’est ravisée lorsqu’elle a pensé aux actes terroristes qui y ont eu lieu et à l’incendie de Notre-Dame. Elle a donc préféré retourner dans son little Emerald Island.

Chroniqueuse mensuelle pour le magazine Sabras à Hyderabad et dans laquelle, elle raconte des pans de sa vie, la Rajkumari dit n’avoir aucun regret. «I’ve seen lovely times and ugly times too. But I carry only lovely memories. I have no regrets whatsoever. I am one of the lucky few because I am not in politics, thank heaven.» Elle prie pour que Maurice reste l’île harmonieuse, qu’elle soit «not intruded by other countries, even if it is India». Sait-elle que Maurice est appelée Little India ? «Mauritius and India share a language, not a destiny. Mauritius is not Little India. It has got its own personality and I hope it will retain its individuality.»