Publicité

Romain Julie: «J’ai aussi essayé de prouver ‘ki mo enn bay’»

25 mai 2019, 18:15

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Romain Julie: «J’ai aussi essayé de prouver ‘ki mo enn bay’»

Quatre cas de violences entre élèves ou à l’égard des profs font le buzz. Pourquoi une telle montée d’agressivité chez les jeunes ? Que se passe-t-il dans leur tête ? L’enseignant a-t-il perdu tout respect ? Parole à un collégien.

Quatre cas d’agressions estudiantines sont récemment survenus. Est-ce à dire que la violence chez les élèves n’a plus de limites ?
Je n’ai pas vu les quatre mais juste un sur WhatsApp et Instagram : celui où la fille criait. Moi je ne me verrai pas faire ça. Mais dans la tête d’un jeune de mon âge, c’est comme une manière de s’exprimer... quoique c’est une liberté d’expression un peu abusive là. On prend certains privilèges pour des droits. Ça ne se faisait pas avant…

Quels privilèges ?
On dit bien que chacun doit avoir son opinion. Quelques-uns ont pris ça à un autre niveau. On s’est dit qu’on a trop de maturité alors qu’on est juste des jeunes. On est en train d’apprendre. C’est comme pour montrer qu’on a du «carat». On a envie de grandir trop vite, d’avoir plus d’importance dans le monde des adultes alors que l’on n’est pas forcément mûr. On brûle certaines étapes. On veut que les autres nous voient. Mais avoir une parole, ce n’est pas forcément une bonne chose.

D’autant que la violence est à la gare, en classe… partout. Les jeunes pètent forcément les plombs ?
Si on prenait le temps de réfléchir, plein de choses comme ça n’arriveraient pas aujourd’hui. Moi, je n’ai pas forcément été un élève modèle durant mes années scolaires. À mon sens, c’est faire des erreurs et avoir assez de maturité pour en tirer des leçons. Moi aussi j’essayais de montrer mon «carat» et de prouver que «mo enn bay mwa ousi». Mais une prof m’a fait réaliser que cela ne m’apportait rien.

Un jeune qui frappe et humilie son prof: vous trouvez ça normal ?
Non pas du tout. On peut vouloir innover ou briser des règles, etc. Mais il y a une limite à ne pas dépasser. Les élèves sont les élèves et les profs ne sont pas justes au-dessus dans la hiérarchie. S’opposer à un règlement avec une bonne raison et le présenter avec amabilité, ça va encore. C’est le strict minimum pour faire changer quelque chose. Mais agresser un prof, ce n’est pas un truc à faire.

Que se passe-t-il donc dans la tête des jeunes aujourd’hui ?
Le jeune veut montrer qui il est vraiment. Mais il se ment à lui-même, prétendant être quelqu’un de fort. Je ne dis pas qu’on est faible mais être jeune, c’est se préparer à être adulte. Pour ça, faut apprendre de ses erreurs. On ne peut pas nous demander de ne pas en commettre. Ça change tout quand on retient les leçons. C’est ça aussi que beaucoup de jeunes négligent. Ce qui se passe dans leur tête ? C’est être sur le devant de la scène. Comme si on a envie d’être à la place de nos idoles et d’être plus populaire. Mais on s’y prend mal. On devient comme antisocial ; on se focalise trop sur la vie sur les réseaux sociaux…

D’autant que les agressions sont souvent filmées et publiées dessus. Pourquoi diffusez-vous tant sur ces réseaux ?
Je n’ai pas peur de parler de mes défauts. Quand je rentre chez moi, je suis fatigué mais j’ai tendance à rester des heures sur mon téléphone, à commenter, à like. Même pour les vidéos, là c’est quatre, mais il y en a bien plus. J’ai déjà été dans cette situation-là, je ne sais si c’est de l’égoïsme mais je ne voulais pas filmer ça. J’ai continué à marcher comme si ce n’était pas mon problème. Si je vois une vidéo des élèves violents de mon collège, ça va beaucoup m’agacer. Beaucoup ne s’arrêtent pas pour se demander le pourquoi de la bagarre. Sur les réseaux, on banalise la chose qui devient plus un truc comique. Regardez : il y a plein d’applications comme YouTube, Facebook, etc. Dessus, les jeunes veulent juste être considérés comme importants et valorisés. Ce n’est pas juste à Maurice mais c’est un problème global.

Pourquoi une telle dégradation des valeurs ?
Ça rentre dans tout le système de la société. Le jeune se crée comme ses valeurs autoproclamées. À l’école, on a pas mal de règles strictes à suivre…

Et vous les suivez ?
Cela dépend. Pour être franc, je suis président du Student Council et quand on propose des projets, c’est plus une négociation avec l’administration. Elle ne va pas dire oui à tout. On s’est déjà mis ça dans la tête. On peut les prendre comme des adultes barbants, décalés et qui ne sont plus dans la génération. Même la drogue, ça n’a pas commencé maintenant. Mais on ne peut se fermer juste à ça.

En 2019, que représente un enseignant pour l’élève moyen ?
Moi, j’ai plusieurs profs et chacun n’a pas le même impact. Chacun a son «devoir». Le mien, c’est de rentrer en classe et celui du prof est d’inculquer le sujet. Ce sont sa façon de communiquer et son approche avec les élèves qui seront déterminantes. En tant que pédagogues, ils doivent nous faire comprendre pourquoi les règles sont là, ce qui va nous préparer pour le monde du travail.

Les enseignants font-ils toujours peur aux élèves et ne sont-ils plus respectés ?
L’envie de donner plus la parole aux élèves a peut-être pris le pas. D’où le fait que certains ne considèrent plus les profs comme représentant l’autorité majeure. Font-ils peur aux élèves ? Je ne sais pas trop. Quand j’étais en Form I, on les craignait. C’est comme ça jusqu’en Form IV pour les élèves. En grandissant, c’est un peu parti. De FormV à Upper, on se donne l’autorisation de remettre en question les consignes. On va un peu contester la règle.

Les cas d’agression sur les profs ne surviennent jamais dans les leçons particulières. Les élèves ont-ils plus de respect pour ces enseignants-là tandis que ceux de classe comptent pour du beurre ?
En sept ans, on a connu beaucoup de profs. On sait lesquels sont bons et ceux qui le sont moins. En termes de respect, l’enseignant particulier est pour consolider ou remplacer celui de classe. Moi quand je n’avançais pas, là j’ai pris des leçons. Aujourd’hui en HSC, je n’en prends qu’une. Dans ce cas, l’élève ou ses parents ont choisi le prof particulier qu’ils paient alors qu’à l’école, l’enseignant a été imposé.

La drogue synthétique fait fureur chez les jeunes et même au Saint Esprit. Qu’est-ce qui vous attire ?
Je pense que c’est la quête de sensations plus fortes que la cigarette et l’alcool. Et ça vaut pour tous les jeunes, pas juste ceux du collège. Ils ne sont pas encore adultes qu’ils sont déjà des addicts de ces fléaux. La médiatisation a fait changer les choses. On pensait que cela allait être juste banalisé mais au contraire, on a un Discipline master qui fait des rondes. Même entre nous, on en parle. Durant les années précédentes, la sensibilisation se limitait à des projections sur PowerPoint. Maintenant quand les élèves en discutent, disent qu’ils veulent s’en sortir et comment, etc., cela a plus d’impact.

Les élèves en prennent et en «dealent» aussi ?
Avant, on savait que ça se passait, que c’était là. Peut-être était-ce à la fois la consommation et la vente ? On ne savait pas quand. En ce moment, on n’entend plus de rumeurs. Maintenant, toutes les règles instaurées ont changé la donne. L’administration n’est pas là pour nous couler.

Le sport intéresse-t-il toujours les jeunes ?
Je l’espère ! À la récré, on joue au foot, au volley, au handball mais le sport est aussi en déclin. Pourtant c’est important pour le team building entre autres. Par contre, on voit toujours des groupes d’élèves avec un téléphone à la main qui s’adonnent au multi-gaming en réseau. Puis il y a la pression académique. Je ne juge personne mais on dirait que rien d’autre ne compte sauf les résultats. À la récré, on parle surtout des concerts, des années passées au collège et de ce qui nous attend après.

Que faites-vous pour détecter la violence ?
Revenant aux privilèges et droits, on dirait que les enfants sont rois et se croient tout permis parfois. J’ai eu ce mindset à un certain moment. Si on ne m’avait pas remis sur le droit chemin, peut-être que je n’aurais pas été là aujourd’hui. Au Student Council et dans d’autres clubs, on ne peut se considérer comme une autorité. Dès qu’on fait des activités, on a mis des règlements pour le comportement. J’ai appliqué les conditions. Ils n’ont pas trop le choix. Qu’ils se rebellent ou pas, la décision ne va pas changer.