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Alain Gordon-Gentil: «Devant le bétonnage, l’art n’a plus qu’à se coucher»

20 mai 2019, 21:34

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Alain Gordon-Gentil: «Devant le bétonnage, l’art n’a plus qu’à se coucher»

En 2011, une soiree d’inauguration marquait le coup d’envoi du projet visant a installer la galerie d’art nationale dans l’ancien hopital militaire. Un projet porte par Alain Gordon-Gentil, alors responsable de la cellule Culture et Avenir, au bureau du Premier ministere. Un projet mis au placard apres le changement de gouvernement en 2014.

Où était arrivé le projet de galerie d’art nationale à l’hôpital militaire, en 2014 ?
Culture & Avenir avait sollicité l’expertise étrangère. Deux experts du ministère français de la Culture avaient été envoyés gratuitement.

Un appel à projet architectural avait été lancé localement, mais n’avait pas été concluant. Nous avions reçu un soutien de poids du National Gallery of Modern Art de Delhi. Un expert indien avait fait plusieurs déplacements à Maurice, pour évaluer les travaux sur l’ancien bâti et les possibilités d’aménagement de l’espace (bâti et cour) de la partie de l’exhôpital, qui devait accueillir la galerie d’art nationale. Cet expert devait travailler avec un cabinet d’architectes mauricien et le ministère des Infrastructures publiques.

Le ministère des Arts et de la culture était en attente du rapport définitif de l’expert indien pour établir le cahier des charges des appels d’offres. Et commencer la rénovation de l’hôpital militaire, plus vieux bâtiment public de Maurice. Tout un symbole.

En parallèle, Bernard Lehembre et Barbara Luc ont établi, à la demande de Culture & Avenir, un répertoire complet des collections privées à Maurice. Et des oeuvres qui auraient pu, pour certaines, être mises en dépôt au musée. Nous avons aussi commandité une sorte d’annuaire des peintres mauriciens. Un travail d’une année réalisé par Serge Selvon, professeur de peinture en Allemagne et Pierre Argo, peintre et photographe de carrière. Les deux livres étaient prêts à être imprimés en décembre 2014. Ces deux livres devaient constituer des références incontournables pour la peinture mauricienne.

Le dernier Budget prévoit d’envoyer les bureaux de la National Art Gallery (NAG) à l’ancien Borstal. Qu’en pensez-vous ?
En quoi changer les bureaux administratifs change quelque chose à part satisfaire des egos ? C’est le projet pour développer une politique culturelle en matière d’arts visuels qui compte. Il ne s’agit pas d’avoir des beaux bureaux et une flopée de personnel. Il faut des gens avec des idées, un savoir-faire, une motivation et une réelle capacité de réalisation des projets. Le reste est accessoire. Culture & Avenir était composé au total d’un responsable, d’une assistante, d’une secrétaire et d’un planton. Quatre personnes, pas plus.

Y a-t-il une volonté de concrétiser la galerie de la NAG ?
Si cette volonté existe, elle est vraiment discrète.

Est-ce sur la question de financement que cela bloque ?
Il faut arrêter d’évoquer les problèmes de financement pour cacher l’absence de volonté d’aider l’art à Maurice. Quand on trouve Rs 4 milliards pour faire un stade, mais qu’on ne peut pas trouver Rs 50 millions pour la National Art Gallery, tout le monde a compris.

Si l’art rapportait autant que les routes et ponts, Maurice aurait déjà une dizaine de théâtres, autant de galeries et de musées. Par exemple, il suffit de Rs 10 millions par an pour présenter une programmation de 12 mois dans un théâtre. Mais il faut être convaincu que la culture est un pilier dans la construction d’une nation. Il serait temps que l’État prenne possession des théâtres municipaux de Port-Louis et de Rose-Hill. Les municipalités n’ont ni les moyens ni les compétences pour les gérer. Regardez le théâtre Serge Constantin, il appartient au ministère, il est bien entretenu et fonctionne correctement, sauf qu’il n’y a pas de directeur pour établir une programmation. Le coeur d’un théâtre c’est sa programmation. Ce n’est pas parce qu’on refait les murs d’un théâtre qu’il devient un théâtre. Il le devient quand il présente des spectacles, qu’il vit, que les artistes se l’approprient.

Il n’y a pas de manque d’argent, mais un manque de vision et de volonté. Tous les gouvernements successifs n’ont pas estimé qu’il y a un lien entre l’art et la société. Les infrastructures publiques, le bétonnage rapportent plus. Devant cela, l’art n’a plus qu’à se coucher. C’est ce qu’il est contraint de faire.

Quand il y a volonté, on peut faire le salon du livre «Confluences», où plus de 40 écrivains du monde entier ont rencontré les écrivains mauriciens. Plus de 25 000 Mauriciens se sont déplacés en week-end pour s’intéresser à la culture et aux livres. En toute honnêteté, il faut le dire : sans l’appui inconditionnel du Premier ministre d’alors, Navin Ramgoolam, «Confluences» n’aurait jamais pu avoir lieu. Comme n’aurait jamais pu avoir lieu la réédition des oeuvres complètes de René Noyau. Un «Confluences» consacré aux cinémas du monde entier se préparait pour mars 2015.

Il ne faut pas l’oublier : nous vivons dans un pays ou un ministre de la Culture n’a jamais entendu parler d’un livre de chevet. C’est peutêtre pour cela, d’ailleurs, que c’est sous son règne que le salon du livre «Confluences» a été immédiatement enterré. Et que personne n’est resté à son chevet.