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Sudhir Kowlessur: «Combattre les maladies non transmissibles, c’est l’affaire de tous»

27 avril 2019, 14:30

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Sudhir Kowlessur: «Combattre les maladies non transmissibles, c’est l’affaire de tous»

Il est rare – l’Official Secrets Act oblige – qu’un fonctionnaire ait l’autorisation de sa hiérarchie de parler publiquement de son travail ou de lui. Le fait que Sudhir Kowlessur ait obtenu son doctorat en épidémiologie et statistiques de santé en février après avoir complété cinq ans d’études et soumis une thèse (portant sur les Predictors of Hypertension among People with Normotension and Prehypertension in Mauritius: A Retrospective Cohort Study- 1987 – 1998 auprès de la Nanjing Medical University) n’est sans doute pas étranger à la dérogation accordée.

Il y a aussi le fait que Sudhir Kowlessur, originaire de Camp-de-Masque-Pavé, où il vit encore, est plus apte à décortiquer les statistiques de santé que n’importe qui d’autres au ministère. Étant donné que, depuis 1987, il a travaillé en étroite collaboration avec les directeurs de la NCD Unit, en l’occurrence feu le Dr Hassan Gareeboo et le Dr Pierrot Chitson, spécialistes respectifs en médecine générale et de gestion du diabète et a participé à toutes les études de prévalence sur les maladies non transmissibles (MNT) à Maurice et Rodrigues.

C’est à l’âge de 22 ans et après ses études secondaires que Sudhir Kowlessur intègre la fonction publique. Cet avant-dernier enfant d’un gros planteur est envoyé directement au ministère de la Santé en tant que Community Health Development Motivator. «À l’époque, dit-il, il y avait un problème d’accès aux soins. Il y avait peu de dispensaires et de nombreux Mauriciens devaient marcher des kilomètres pour se faire soigner à l’hôpital.» Son rôle à l’époque est d’épauler l’unité dans la construction de centres de santé communautaire à travers l’île.

«Si le ministère n’avait pas pris des mesures de redressement, tous ces taux de prévalence auraient augmenté.»

Dans l’optique de mieux maîtriser les enjeux, Sudhir Kowlessur suit un cours par correspondance auprès de l’université de Chennai, en Inde, pour obtenir un diplôme en Public Health Administration. Au fil des ans, il prend du galon et est nommé Community Health Development Organiser, puis Health Promotion Coordinator. Il embraye avec un Masters en Health Promotion and Communication auprès de la Middlesex University, en Grande-Bretagne. Quelque temps après sa nomination en tant que Chief Health Promotion and Research Coordinator, il devient finalement Head of NCD, Health Promotion and Research Unit en 2015 et a pour supérieur hiérarchique direct le Dr Ori, Director Health Services.

Sudhir Kowlessur a participé à toutes les études menées par cette unité depuis 1987 : les NCD Surveys ; les Mauritius et Rodrigues Diabetes Surveillance Projects ; la Mauritius Family Diabtes Study ; la Remote Ischemic Preconditioning Study ; les Nutrition and Salt Surveys pour Maurice et Rodrigues ; et la Mauritius Type 2 Diabetes Prevention Study de 2013 à 2016.L’étude sur les MNT en 2015 a révélé, entre autres, que 19,4 % de Mauriciens sont en étape pré-diabétique et que 22,8 % de Mauriciens sont diabétiques.

Depuis que le ministère de la Santé est conscient du taux alarmant de maladies cardiovasculaires et du diabète chez les Mauriciens, il a pris le taureau par les cornes. Notamment en organisant des campagnes de sensibilisation nationales ; en distribuant des pamphlets sur l’importance d’une alimentation saine et de la pratique de l’exercice physique ; en faisant des professionnels de santé animer des causeries sur ces sujets ; en effectuant des tests de dépistage pour les maladies cardiovasculaires et le diabète par la caravane mobile, pour ne citer que ces mesures. Le tout destiné à faire les Mauriciens prendre conscience qu’ils doivent changer de comportements et de style de vie.

Or, malgré cela, les MNT ont soit stagné, soit diminué mais de quelques points de pourcentage. À titre d’exemple, en 2009, la prévalence du diabète était de 23,6 % alors qu’en 2015, ce taux est descendu à 22,8 %. Sudhir Kowlessur préfère voir le verre à moitié rempli qu’à moitié vide. «Ce taux était en hausse et maintenant, il s’est stabilisé», dit-il. En 2009, il y avait 24,2 % de Mauriciens en étape pré-diabétique et en 2015, ce pourcentage est descendu à 19,4 %. Le nombre de personnes hypertendues a aussi diminué, passant de 37,9 % de la population en 2009 à 28,4 % en 2015. Le pourcentage de Mauriciens en surpoids n’a pas bougé d’un iota, soit 35 % en 2009 et en 2015. Les fumeurs qui représentaient 21,7 % de la population en 2009 ont diminué pour passer à 19,3 %. Le taux de mortalité lié au diabète est passé de 23,2 % en 2017 à 20,6 % en 2018. Celui de la mortalité due aux différents cancers est passé de 14,5 % en 2017 à 12,8 % en 2018.

Des bénéfices bien faibles eu égard à toutes les mesures prises par le ministère pour inverser ces tendances. «Vous oubliez que pour modifier le comportement et le style de vie des gens, cela prend une quinzaine d’années. Si le ministère s’était croisé les bras et n’avait pas pris des mesures de redressement, tous ces taux de prévalence auraient augmenté. Certains Mauriciens s’émeuvent du nombre de diabétiques. Ils doivent se rendre compte qu’avec les soins et conseils prodigués, les diabétiques vivent plus longtemps. De ce fait, la prévalence du diabète ne diminuera pas dans les statistiques.»

Sudhir Kowlessur, qui a publié une quinzaine de recherches dans les journaux internationaux de médecine, ne désespère pas pour autant de réduire les taux de personnes en étape pré-diabétique et celui des diabétiques à leur plus simple expression. Pour ce faire, il pilote actuellement deux nouvelles études, l’une intitulée la SMS Study et l’autre la MIDAS Study. La SMS Study, qui a démarré en février 2019, s’étalera sur un an et concerne 423 Mauriciens en étape prédiabétique figurant dans les bases de données du ministère et répartis dans 11 régions de l’île où la NCD Unit dispose de bureaux. La moitié de ce nombre reçoit des textos trois fois par semaine sur la nutrition saine et les exercices physiques à pratiquer et l’autre, qui est un groupe témoin, ne les reçoit pas afin de comparer les deux groupes à la fin de l’étude.

«Nous ne voulons pas que toutes ces personnes développent le diabète ou qu’elles prennent des médicaments pour contrôler leur glycémie. Ces textos sont pour rappeler au groupe sélectionné qu’il doit modifier son alimentation et son style de vie et pratiquer des exercices physiques.» Comment être certain que les 212 personnes en étape pré-diabétique sélectionnées dans le cadre de la SMS Study reçoivent bien des textos ? «Des superviseurs téléphonent au hasard aux personnes sélectionnées dans le cadre de cette étude pour confirmer si elles ont bien reçu des textos et ceux qui les envoient doivent me faire un rapport hebdomadaire au cas par cas.» Une première évaluation auprès des participants à cette étude conçue à l’origine par le professeur A. Ramachandran de l’université de Chennai, qui est un des nombreux conseillers étrangers du ministère de la Santé et de la qualité de la vie, aura lieu en août.

L’autre étude, soit la MIDAS Study, est aussi en cours. Toujours à partir de la base de données des précédentes études effectuées par le ministère, 1 250 personnes diabétiques vivant dans chacune des cinq régions où la NCD Unit a des bureaux ont été identifiées et sélectionnées, soit 250 personnes par région. Parmi chaque groupe, 125 diabétiques sont suivis de près par des infirmiers spécialisés en diabète. Et ce, chaque semaine. Leur glycémie est vérifiée, leurs pieds et leur état général aussi pour empêcher que leur diabète ne s’aggrave et qu’ils n’aient de complications liées à cette maladie. Ces personnes seront ensuite comparées au groupe témoin dans chaque région. «Cette étude est étalée sur deux ans. Si ces deux projets donnent de bons résultats, soit un meilleur contrôle de la glycémie et une réduction des complications liées au diabète, il faudra que la NCD Unit et le ministère revoient leurs stratégies et augmentent le nombre d’infirmières spécialisées en diabète et les médecins dans les Community Health Centres dénombrés à 116 et les Area Health Centres de l’île qui sont à 18, de même que dans les cinq Mediclinics. On sera alors sur la bonne voie pour un meilleur contrôle du diabète.»

Il ajoute que la NCD Unit fait tout son possible pour toucher toutes les populations, y compris les élèves de Grade 7, 9 et 12. D’ailleurs, entre 2015 et 2018, 142 780 élèves de 180 écoles secondaires (publiques et privées) ont été dépistés ; ainsi que 115 736 adultes dans différents lieux de travail. En outre, 450 000 adultes ont été sensibilisés sur les MNT et le style de vie sain. «Et tous les cinq ans, nous organisons notre étude nationale.»

Sudhir Kowlessur fait par ailleurs valoir que depuis le 14 octobre dernier, le ministère de la Jeunesse a lancé une politique nationale sur le sport et les activités physiques et que, bientôt, les médecins, en commençant par ceux affectés à la Mediclinic de Triolet, seront appelés à prescrire de l’exercice physique aux personnes en étape pré-diabétique, diabétiques ou à risque d’accident cardiovasculaire. «Pour combattre les MNT, il n’y a pas que le ministère de la Santé. Tout le monde doit s’y mettre.»