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JIOI 2019 - Vivian Gungaram : «Les Jeux des îles se préparent comme on prépare les Jeux olympiques ou les Championnats du monde»

8 avril 2019, 13:51

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JIOI 2019 - Vivian Gungaram : «Les Jeux des îles se préparent comme on prépare les Jeux olympiques ou les Championnats du monde»

 

Vivian Gungaram, président en exercice de la «Mauritius Athletics Association» (MAA), incarne à lui tout seul le demi-siècle de l’Histoire du sport mauricien depuis l’indépendance du pays en 1968. Il a occupé toutes les fonctions dans cet univers en mutation constante : athlète, entraîneur, administrateur, technicien et conférencier. Son départ à la retraite après les 10es Jeux des îles de l’océan Indien (19-28 juillet 2019) est un bon prétexte pour l’inviter à partager son regard sur la situation du sport mauricien à quelques mois de l’échéance indianocéanique.

Vous avez annoncé déjà que vous comptiez prendre votre retraite à l’issue des 10e Jeux des îles de l’océan Indien. Confirmez-vous que c’est bien la dernière campagne à laquelle vous participez en qualité de dirigeant de l’athlétisme et du mouvement sportif mauricien ?

Je confirme que je compte prendre ma retraite après les 10es Jeux des îles de l’océan Indien. J’ai déjà annoncé ma décision aux membres du comité directeur de la MAA.

Comment vivez-vous cette dernière page d’administrateur sportif que vous écrivez à votre niveau et qui est coécrite par les acteurs du sport mauricien ?

Je me retire petit à petit de certaines instances régionales, continentales et internationales. Je ne fais plus partie du panel des Officiels techniques internationaux (ITO). Il y a eu le congrès électif de la région d’Afrique Australe le 8 décembre dernier à Johannesburg. Je n’étais même pas candidat à un poste de simple membre.

J’ai occupé presque toutes les fonctions dans le conseil de cette organisation depuis 1993. J’ai déjà informé la Confédération africaine d’athlétisme (CAA) que je ne me porterai candidat à aucun poste au sein du conseil. Jusqu’à ce jour, j’ai résisté aux pressions pour que je continue mais j’ai assuré à toutes les instances que je serai présent pour partager mon expérience au niveau technique. 

Au niveau local, je me prépare et je prépare les membres du Managing Committee de la MAA à ma retraite. Ils savent que je ne serai pas on the front line après les Jeux des îles. Mais je serai prêt à les guider et les conseiller si toutefois ils ont besoin de mon aide et de mon expérience.

Quels sont vos vœux à quelques mois maintenant de l’échéance indianocéanique, une manifestation que Maurice accueille pour la troisième fois de son histoire ?

Je souhaite qu’à travers le COJI, la République de Maurice arrive à rassembler toutes les îles de l’océan Indien à ce rendez-vous indianocéanique et que ce soit une fête du partage sur les plans culturel, artistique et sportif bien sûr. Je souhaite aussi que cet événement vienne consolider le devoir qui incombe à chaque Mauricien de préserver notre tissu social.

Êtes-vous confiant d’une victoire en athlétisme au classement général final malgré les soubresauts qu’a connus votre sport récemment avec l’exclusion d’Aurélie Alcindor de la présélection et sa décision de raccrocher ses pointes ?

Le cas Alcindor n’est pas un cas isolé. Il y a toujours eu et il y aura toujours des défections et des déçus lorsqu’il faut avoir une hygiène de vie et une discipline à suivre lorsqu’on forme partie d’un groupe ou d’une équipe. Il y a des sportifs et aussi une bonne partie des dirigeants qui oublient qu’on perd toujours une partie de sa liberté individuelle lorsqu’on fait partie d’une équipe. En athlétisme, personne n’est indispensable, même pas moi.

Êtes-vous confiant sinon en une victoire de Maurice au classement général final ?

Il faut être réaliste. Ce sera difficile pour l’athlétisme mauricien d’occuper la première place.  Aujourd’hui, nous n’avons pas d’athlètes de la trempe de Stephan, Eric, Caroline, Arnaud et autres*. C’était une autre génération et il n’y a aucune comparaison.

Vous qui avez tant donné au sport mauricien, comment avez-vous vécu cette incapacité du Club Maurice à remporter ne serait-ce qu’une fois les Jeux des îles de l’océan Indien ?

Vous savez, les Jeux des îles se préparent comme on prépare les Jeux olympiques ou les Championnats du monde. C’est une préparation soutenue de six à huit ans. Il faut que les partenaires jouent le jeu et soient totalement impliqués dans l’accompagnement des athlètes. L’athlétisme est un sport individuel mais le succès ne vient que lorsqu’on forme une équipe derrière l’athlète.

Je parle ici des parents, de la fédération, des entraîneurs, des médecins, des nutritionnistes, des dentistes, des institutions scolaires, des firmes privées et des psychologues etc. Cette équipe doit aussi s’assurer que l’athlète soit un citoyen utile et responsable après sa carrière sportive. La réinsertion sociale pour nos sportifs est un MUST. C’est cette garantie qu’il faut donner à l’athlète et aux parents.

Comment expliquez-vous une telle incapacité justement ?

C’est ce manque total d’accompagnement qui nous prive de la première place au tableau des médailles.

Et cette fameuse deuxième place des Seychelles au classement général final en 2011 fait-elle mal au dirigeant sportif que vous êtes quand on sait que l’archipel ne compte que 90 000 habitants et Maurice pratiquement 1 300 000 ?

Il faut comparer ce qui est comparable. Les Seychelles ont une population sportive de plus de 50% et Maurice à peine 10%. En 2011, nos amis seychellois ont récolté les fruits des graines qu’ils ont semées avant «leurs Jeux».  Ils ont tout fait pour gagner avec la complicité de leurs partenaires.

Y a-t-il une explication au fait que cinquante ans après l’Indépendance, Maurice, malgré tous les développements qu’elle a pu connaître dans nombre de secteurs et malgré toutes ses prétentions, ne soit toujours pas une nation sportive ?

Pour essayer de comprendre pourquoi notre République n’est pas une nation sportive après cinquante ans d’indépendance, il nous faut remonter à la période de la colonisation. Avant l’Indépendance, le sport, dans le vrai sens du mot, était réservé à une section de la population seulement. À ceux qui fréquentaient en qualité de membres les clubs privés, les Star Colleges comme le Collège Royal de Curepipe, la force policière et les citoyens britanniques de la Royal Navy.

À cette époque, les compétitions étaient plus des manifestations sociales que des manifestations sportives. On se rencontrait pour se détendre en famille. Je dois dire que presque 98% de notre population ou plus même ne savaient rien du pourquoi de l’exercice physique et de la pratique du sport. Le sport était le cadet des soucis du gouvernement colonial. Comment avoir une nation sportive quand presque la totalité de la population est ignorée et exclue de ce domaine ?

En 1968, il y a eu une timide amélioration avec la création d’un ministère pour s’occuper du sport. Mais ce ministère a toujours été l’enfant pauvre des différents budgets parce que les gouvernements avaient d’autres priorités que le sport. D’après moi, c’est à partir de 1982 que le sport a commencé à bénéficier d’une attention particulière de la part des différents gouvernements. Et depuis, nous avons aussi eu des obstacles qui nous ont empêchés de construire cette grande nation sportive souhaitée.

À quels obstacles faites-vous référence précisément ? 

À notre système d’éducation tout d’abord. Ce système est un obstacle pour les activités physiques et le sport en général dans les écoles. La majorité des profs des écoles non-confessionnelles remplacent une classe de PE par une classe d’anglais, de maths, etc.

Avec l’arrivée des leçons particulières, les élèves ne trouvent aucun créneau après les heures de classe pour pouvoir s’entraîner. Le Sports Act de 1984 est arrivé sans que les dirigeants sportifs ne soient préparés pour affronter les difficultés. Il n’y avait aucune structure et aucune logistique pour accueillir les comités régionaux. À ce jour, la maison d’un président ou d’un secrétaire fait office de bureau de la région pour une discipline sportive. Comme la région n’est pas enregistrée auprès du Registrar, elle ne peut avoir de compte bancaire, ce qui est un obstacle pour avoir un sponsor. Dans ces conditions, il est difficile de régionaliser une discipline sportive.

La régionalisation a échoué. Au niveau des collèges, elle a tué l’élite. La fermeture des centres de formation et l’annulation du sport-études en 1996 nous ont empêchés de progresser. Finalement, l’annulation des Jeux de l’Avenir et des Jeux de l’Espoir a tué notre élite jeune.

Voilà, selon moi, les obstacles qui nous empêchent de  réussir.

Quel a été pour vous le plus beau moment de l’Histoire sportive du pays ?

Pour moi, c’était l’organisation des Jeux des îles à Maurice en 1985. Nous avions à l’époque peu d’argent, peu de facilités. Nous n’avions que les moyens du bord mais nous avions la volonté de réussir et un grand cœur pour y parvenir. Toute la population était unie comme une seule famille pour soutenir les organisateurs et les sportifs. C’était un moment inoubliable.

Et le pire moment de l’Histoire sportive de Maurice ?

Le pire, cela a été d’aller jouer un match de foot de la CAN 2000 home aux Avirons à l’île de La Réunion contre l’équipe nationale du Gabon en juin 2000. L’organisation des matches de foot était bannie en cette période. C’était après l’incident de l’Amicale. On aurait pu faire jouer le match à huis clos pour assurer la sécurité des joueurs des deux équipes.

Pour moi, il était triste de constater que la police avait pris une mauvaise décision, celle de ne pas approuver la demande de la MFA pour que le match se joue à huis clos à Maurice. Notre pays a été ridiculisé et traité de bouffon par la presse étrangère.

Les choses auraient-elles pu être différentes s’il y avait eu continuité et cohérence dans la politique sportive depuis l’indépendance ?

Bien sûr. On ne peut pas annuler ou modifier le Sports Act à l’arrivée d’un nouveau ministre. On ne peut pas changer d’advisors tout le temps, même ceux qui ont fait correctement leur travail. Il n’y a aucune continuité et cohérence parce que les advisors viennent du monde politique et font de leur mieux pour faire plaisir à leur maître.

Quel regard portez-vous sur la situation actuelle du sport à Maurice ?

Nous aurons une idée exacte de la situation actuelle du sport à Maurice tout de suite après les Jeux des îles de l’océan Indien de 2019.

Je pense que le gouvernement a enfin pris une bonne décision avec la National Sports and Physical Activities Policy. Si ce projet se développe correctement, nous allons pouvoir obtenir de bons résultats à partir de 2024.

Le sport mauricien est-il en recul ? En progrès ? En stagnation ? En pilotage automatique ?

Le sport actuellement est stagnant.

Y a-t-il moyen aujourd’hui, à l’heure des réseaux sociaux et de l’existence virtuelle, de la facilité et du progrès économique, d’intéresser les jeunes et les moins jeunes à autre chose qu’à leurs écrans et leur zone de confort ?

Le seul moyen, c’est l’éducation à la maison. Les parents doivent être au courant de tout ce que font leurs enfants sur l’ordinateur. Les jeunes et les moins jeunes doivent être guidés et accompagnés aussi bien à la maison qu’à l’école.

Y a-t-il urgence en la matière ? Y a-t-il le risque d’un désintéressement général pour tout ce qui est activité physique avec les conséquences que l’on sait sur le plan de la santé ?

C’est la pratique des activités physiques qui peut sortir les enfants de leurs écrans et leur faire comprendre que ce faisant, il y aura un effort positif sur le plan de la santé.

Vous partez. Quid de la relève à la direction de l’athlétisme ? Vos collaborateurs sont-ils prêts à prendre le relais ?

Oui, il faut partir et il faut savoir partir. C’est une des raisons pour lesquelles depuis l’année dernière, j’ai dit aux membres du comité directeur de la MAA que je vais partir après les Jeux des îles de 2019 et que je ne serai candidat à aucun poste aux élections de 2020.

Je vous assure que mes jeunes collaborateurs seront prêts à prendre le relais d’ici 2020. Vous avez peut-être constaté que depuis le début de cette année, je ne suis pas présent physiquement sur le devant de la scène quand il y a des activités de la MAA.

Allez-vous respecter vos engagements jusqu’aux JO de 2020 au sein du mouvement olympique et de la «Commonwealth Games Association» ?

Je vais respecter mes engagements jusqu’aux Jeux de la Francophonie 2021. Oui, je vais partir comme je l’ai décidé mais je vais honorer les engagements déjà pris tels que délégué technique des Jeux Africains au Maroc en 2019, délégué technique aux Championnats d’Afrique Seniors à Alger en 2020 et délégué technique des Jeux de la Francophonie au Nouveau-Brunswick au Canada en 2021.

Après les Jeux des îles de 2019, ma retraite se fera en deux phases : premièrement en qualité d’administrateur et «politicien»  sportif et deuxièmement en qualité de technicien avec les Jeux de la Francophonie de 2021.

*Stephan Buckland, Eric Milazar, Caroline Fournier, Arnaud Casquette.