Publicité

JIOI 2019 - Philippe Hao Thyn Voon :« Si nous voulons récolter des médailles au plus haut niveau, il faut un planning sur dix ans »

8 avril 2019, 12:46

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

JIOI 2019 - Philippe Hao Thyn Voon :« Si nous voulons récolter des médailles au plus haut niveau, il faut un planning sur dix ans »

 

Philippe Hao Thyn Voon, président du Comité Olympique Mauricien (COM), pense que cette fois sera la bonne. Maurice réunit toutes les conditions pour remporter les 10es Jeux des îles de l’océan Indien, manifestation qu’elle abritera pour la troisième fois du 19 au 28 juillet 2019. Mais si d’aventure la victoire finale devait lui échapper à nouveau, il préconise l’adoption d’un plan stratégique décennal avec accent sur la formation continue.

Pensez-vous que l’effervescence commencera à monter par rapport aux 10es Jeux des îles de l’océan Indien ?

Oui. Depuis quelque temps déjà, le gouvernement met le paquet. On sent l’engouement pour les Jeux. Il n’a pas encore atteint la population. Les sportifs, eux, le ressentent déjà. C’est au tour de la population de vivre les mêmes émotions.

Avez-vous l’impression que le peuple mauricien se sente concerné par cette échéance ou a-t-il d’autres priorités comme les inconvénients liés au métro léger ou les fins de mois difficiles en raison de la cherté de la vie ?

Plus de trois quarts de la population aiment le sport. On sait tous la passion des Mauriciens pour le football. Ils suivent aussi d’autres disciplines, notamment celles dans lesquelles leurs proches sont engagés. Je suis convaincu que le peuple mauricien se sent concerné par les 10es JIOI.

Le soutien de la population sera primordial si l’on veut briller sur les sites de compétition…

Oui, c’est un soutien primordial pour l’obtention de médailles. Nous évoluerons à domicile. Comme c’est le cas dans tous les pays qui ont organisé cette manifestation sportive, l’engouement sera le « douzième homme ». Le patriotisme pèsera de tout son poids.

Il n’y a pas mieux que les JIOI pour unifier la population. Quand il n’y a pas de JIOI, on ne sent pas ce chauvinisme chez nos voisins réunionnais ou seychellois. Quand les Jeux battent leur plein, ils sont différents. C’est un sentiment terrible.

Les JIOI, ce sont nos Jeux oympiques. Il est important d’y remporter des médailles. Remporter une médaille d’or chez soi vaut peut-être plus que remporter une médaille aux Jeux d’Afrique.

 

«Nous avons fait beaucoup de progrès. Mais ce n’est pas suffisant. Nous avançons au petit trot, malheureusement.»

<p>&nbsp;</p>

A quoi vous attendez-vous en termes de performances pour ces troisièmes Jeux que Maurice organise ?

Je pense que Maurice a la possibilité de remporter ces 10es JIOI si toutes les fédérations unissent leurs efforts. Quand je pense au nombre de médailles d’argent que nous avons remportées lors de la précédente édition, j’estime que nous sommes en mesure de remporter les JIOI.

Quand je pense à la situation politique, sociale et économique chez nos voisins, cela devrait nous avantager. Il n’y a qu’à penser à l’action des gilets jaunes et à son impact sur la vie à La Réunion.

Seules Mayotte et La Réunion ont remis à ce stade leur engagement quantitatif définitif. En s’acquittant des frais de 55 euros par athlète engagé.

Les Comores ne l’ont pas encore fait, Madagascar non plus. Nous comprenons leur situation.

Maurice, enfin, première au classement général final : un mirage ? Une mission impossible ? Ou un rêve qui va enfin se réaliser ?

Ce rêve va enfin se réaliser. Le gouvernement met le paquet. Toutes les fédérations sont soutenues dans leur préparation.

Les JIOI ont ceci de particulier qu’ils font un bien immense à nos infrastructures. Elles sont renouvelées et transformées en infrastructures 5-étoiles.

Qu’est-ce qui a empêché jusqu’ici un sacre de Maurice aux JIOI ?

Notre grande faiblesse a toujours été la natation. Une cinquantaine de médailles d’or y sont en jeu. La Réunion remporte tout. La dernière fois, Maurice a obtenu cinq médailles. Nous n’avons jamais obtenu plus de six médailles d’or dans cette discipline. La réponse à votre question se trouve là. Les nageurs réunionnais évoluent en France, ce qui leur permet de faire la différence.

 

«Beaucoup d’athlètes n’ont plus confiance en leur fédération.»  

<p>&nbsp;</p>

Comment est-ce que les Chinois sont devenus des champions olympiques ? En se concentrant sur toutes les disciplines. C’est un travail de longue haleine et ils s’y sont attelés.

Comment battre La Réunion aux JIOI ? Qui lui prendra des médailles en natation ?...

…Pourtant, un petit pays comme les Seychelles a failli réussir l’exploit, avec ses 90 000 habitants, de remporter les JIOI en 2011 ?

Si les Seychelles n’ont terminé qu’à la deuxième place, c’est parce que je me suis battu pour l’inclusion du judo au programme. Sans le judo, les Seychelles auraient terminé premières au classement général final. La Réunion a enlevé trois médailles d’or en judo, les Seychelles rien du tout. Alors qu’en haltérophilie, sur 35 médailles d’or, elles en avaient obtenu 30.

Les Seychellois ont écouté mes conseils. Ils me demandaient comment faire pour battre La Réunion. Je leur ai dit : « Il vous reste quatre années de préparation. Envoyez une dizaine de basketteurs et de volleyeurs dans des clubs en France, à vos frais. » Je leur ai conseillé de choisir leurs meilleurs éléments.

Même s’ils allaient évoluer en troisième ou quatrième division, cela importait peu. Ils allaient se signaler et finir par être retenus par les clubs français. Cela allait amoindrir les frais côté seychellois tout en offrant à ses meilleurs éléments un frottement qu’ils n’auraient pas eu dans leur pays.

Maurice, malgré ses 1 300 000 habitants, semble toujours à la traîne…

Nous devons envisager un cycle de préparation qui s’étend sur une période de dix ans. Une préparation continue, susceptible de nous servir de tremplin aussi pour l’Afrique et les compétitions mondiales. Il faut dix ans pour réussir une bonne formation dans tous les domaines. Si nous voulons récolter des médailles au plus haut niveau, il faut un planning sur dix ans.

Chaque discipline doit détecter de bons éléments avant même s’ils n’aient atteint l’âge de dix ans. La formation doit être prise au sérieux. Nous avons la « matière première » au sein de notre population. Nous pouvons produire des champions. Il faut toutefois une bonne planification à l’instar de la Jamaïque en athlétisme et du Sénégal en basket-ball. Il faut travailler.

Qui devra être la tête pensante pour que cette révolution devienne possible ? Le MJS ? Le COM ?

Les deux. Le MJS et le COM. Pourquoi avons-nous programmé les Jeux à la fin de juillet ? Pour pouvoir compter sur nos expatriés.

Cette fois peut être l’exception ?

Peut-être. Il faut travailler dès aujourd’hui. Demain sera trop tard. Il faut évaluer nos chances et mettre le paquet. Choisir les potentiels médaillés et les soutenir. Le COM soutient une cinquantaine d’athlètes qui peuvent obtenir des médailles et les accompagne en leur offrant Rs 5 000. Nous dépensons Rs 3 500 000 pour cela.

Il nous a fallu convaincre le CIO car les JIOI sont une compétition régionale. Nous avons pu lui faire comprendre que ces Jeux serviraient de tremplin vers les Jeux africains.

 

«Ce n’est pas le sport qui est malpropre mais il y a en sport une poignée de dirigeants malpropres.»

<p>&nbsp;</p>

La préparation s’est-elle bien déroulée ? Se poursuit-elle à votre satisfaction ?

Je suis un peu déçu, à dire vrai. Certaines fédérations ne jouent pas le jeu. Certains sportifs ne sont pas sérieux. C’est mi-figue, mi-raisin. Les footballeurs ne vont pas aux entraînements. Il y a des choses qui ne marchent pas dans toutes les disciplines. Comme l’éternel question d’autorisation accordée aux présélectionnés qui travaillent d’aller s’entraîner. Tout le monde ne joue pas le jeu. Ce n’est pas la veille des Jeux qu’il faudra accorder une telle permission.

Le succès d’un athlète suppose un soutien phénoménal de la part de sa famille, de son employeur et de l’Etat. Sinon, sa tâche devient plus difficile.

Et la rénovation des sites qui abriteront les 14 disciplines ? Vous affichez toujours la même sérénité à ce chapitre ?

Le gouvernement met le paquet. Je suis très satisfait. Les JIOI sont synonymes de renouvellement de matériels, de rénovation. C’est une bonne chose pour le sport, pour le futur aussi. Les infrastructures, c’est ce dont nous avons besoin.

Si nous ne remportons pas les JIOI cette fois, ce sera dans dix ans. Nous l’emporterons alors grâce à l’adoption d’un plan stratégique. Il nous faut dix à douze ans pour arriver à des résultats et à la victoire.

Nous avons la « matière première », le gouvernement soutient le sport. Il faut que toutes ces conditions continuent d’être réunies après les JIOI.

Complexe de Côte d’Or ou pas, Maurice organisera, selon vous, de grands Jeux pour cette dixième édition ?

Oui. Côte d’Or abritera un grand complexe où le sport sera roi. Il y a tout ce qu’on peut espérer dans cette région. En Zambie, et dans d’autres pays d’Afrique, j’ai vu de grands complexes sportifs se transformer en ville. L’espace autour est urbanisé. Il s’enrichit de restaurants, de centres de loisirs.

Le complexe de Côte d’Or est situé au cœur de l’île. Il y a encore beaucoup de développements possibles autour de cette infrastructure. C’est une bonne initiative du gouvernement.

Et le sport mauricien qui vient d’entamer la seconde moitié d’un autre cinquantenaire ?

Nous avons fait beaucoup de progrès. Mais ce n’est pas suffisant. Nous avançons au petit trot, malheureusement. Nous avons toujours été des amateurs. Si nous voulons des médailles aux Jeux Olympiques ou aux Jeux du Commonwealth, nous devons commencer à courir. Nous sommes en retard par rapport à nos amis africains. Pas tous les pays africains, certains.

Quitte à me répéter, il nous faut un planning sur dix ans, une stratégie capable de produire une révolution. C’est à ce prix que nous irons de l’avant.

Y a-t-il encore des raisons de se réjouir ou faut-il désespérer ?

Il ne faut pas désespérer. Il faut mettre le paquet. Nous en avons les moyens. Nous avons les finances nécessaires. Nous pouvons investir davantage dans le sport. Le gouvernement peut.

Dans beaucoup de domaines, nous sommes numéro un. Pourquoi pas devenir numéro un en sport en Afrique ? Les Seychelles ont donné l’exemple en suivant mes conseils à la lettre.

L’affaire impliquant un dirigeant à la longévité impressionnante dans un détournement massif d’argent destiné au badminton local donne à réfléchir à nouveau sur la mission du dirigeant ?

Il faut imposer des critères à tous ceux qui veulent devenir membres d’une fédération. Tout comme on demande aux sportifs de produire un certificat de moralité, je me demande s’il n’est pas temps d’exiger pareil certificat dans le cas des dirigeants aussi.

Le « bond » que signe tout membre au Registrar est dérisoire. Je me demande s’il ne faut pas en augmenter le montant.

Faudra-t-il bientôt envisager d’inclure dans nos lois la déclaration des avoirs pour les dirigeants sportifs également ?

Dans le cas concernant le détournement d’argent en badminton, il le faudrait, je pense. A Maurice cependant, il y a de petites sommes en jeu. Personne ne peut s’enrichir grâce au sport. Il est difficile de s’enrichir avec Rs 2 millions destinées à une fédération. C’est le « bond » qu’il faut porter à Rs 100 000 ou Rs 200 000. Un « turn over » de Rs 2 millions est trop faible. Et le ministère de la Jeunesse et des Sports (MJS) exerce un contrôle strict.

La Fédération internationale de badminton a subi le plus gros préjudice. Mais est-ce que quelqu’un à Maurice peut porter plainte à la police, peut se constituer partie civile ?

Le gouvernement peut ! L’ICAC aussi. Il y a l’argent des contribuables aussi dans cette affaire. A titre d’exemple, la fédération internationale envoie de l’argent pour la participation de six badistes aux Jeux Universitaires. La fédération locale fait sa sélection et puis demande au MJS de financer leur participation. Il y a certaines compétitions aussi où la fédération internationale envoie de l’argent à la fédération africaine.

Les parents ont payé de leur poche pour les Jeux Universitaires alors qu’ils avaient été financés déjà. L’ICAC, la police peuvent se saisir de cette affaire. Les parents peuvent porter plainte. Kate Foo Kune n’a perçu que Rs 100 000 des Rs 700 000 qui lui étaient destinées. Rs 70 à Rs 80 millions ont été détournées. Cette fraude a été possible avec la complicité de douze pays.

Vous aviez annoncé une enquête locale dans l’affaire Jessika Rosun. A-t-elle démarré ?

J’avais dit que je ferai une enquête locale une fois l’affaire terminée en Australie. Je ne peux faire une enquête simultanée car l’affaire a été portée devant la Haute Cour en Australie. Elle sera prise sur le fond le 16 janvier. C’est une affaire grave.

Face à de tels comportements - dirigeant dilapidateur de fonds, dirigeant prédateur sexuel, dirigeant voleur de luminaire en plein Village des Jeux -, comment redonner confiance aux sportifs qui suent sang et eau pour briller et par là même faire avancer leur sport et le sport mauricien en général ?

(Long silence embarrassé) Je ne trouve pas mes mots. Ce n’est pas le sport qui est malpropre mais il y a en sport une poignée de dirigeants malpropres. Est-ce que certaines personnes sont venues au COM au nom de leurs intérêts personnels ? C’est la question que je me pose. Aujourd’hui, c’est moi qui me retrouve avec tous ces problèmes sur les bras.

Ne vaudrait-il pas mieux finalement prendre ses distances de tout ce qui est instance dirigeante du sport et faire du sport pour soi à titre privé ?

Ce qui est embêtant, c’est que l’athlète dépend énormément du dirigeant. Demandez à un athlète ce qu’est le CSR ? Les athlètes ne connaissent pas le sport, le pouvoir du COM, du MJS. C’est le rôle de la fédération de les éduquer. Il y a encore des fédérations qui n’informent pas leurs athlètes sur le rôle du COM, du MJS. C’est à nous d’éduquer les fédérations et de leur dire comment informer leurs athlètes.

Le CIO nous a demandé de traiter directement avec les athlètes, surtout en boxe.

Une raison de plus pour le sportif d’être découragé…

Beaucoup d’athlètes n’ont plus confiance en leur fédération. C’est le cas en haltérophilie. C’est le cas en badminton où l’argent offert par la fédération internationale et la fédération africaine a été détourné.

Les 10es JIOI vont coïncider avec le départ à la retraite de Vivian Gungaram, un dirigeant qui a marqué l’histoire de l’athlétisme à Maurice. Nul n’est irremplaçable, selon la citation, mais ne fait-il pas un peu exception de par sa maîtrise des dossiers, ses compétences dans plusieurs secteurs et sa longévité ?

J’ai toujours dit, quand je présente Vivian à mes homologues d’Afrique, que son seul défaut c’est qu’il est trop sérieux. Il n’est pas souple du tout. S’il se retire, ce sera une grande perte pour la communauté sportive.

Vivian a ses défauts mais ses qualités surpassent de loin ses défauts. Il est regrettable qu’il se retire. C’est trop tôt. Peut-être qu’il va revenir sur sa décision. Il peut encore servir le sport quelque part. Il ne peut se retirer complètement. Le sport a besoin de quelqu’un comme lui.

Y a-t-il une relève en mesure de prendre le relais d’hommes de ce calibre ?

Personne n’est irremplaçable. Mais je dois reconnaître qu’on ne rencontre pas tous les jours quelqu’un comme Vivian.

Il faut espérer que cette page qui se tourne pour le sport mauricien contiendra dans un paragraphe la victoire de Maurice aux 10es JIOI pour que l’histoire se conclue sur une bonne note et inspire les générations à venir… 

Vivian occupe une place importante dans le comité technique du COJI. Ce ne sera pas bon s’il lâche tout, comme ça, d’un coup. Il doit conserver une occupation en rapport avec le sport. J’espère pour lui que ces Jeux coïncideront avec la victoire de l’équipe de Maurice. Il est un monument de l’athlétisme. Il est aussi instructeur. Il a encore beaucoup à donner.