Publicité

Chauves-souris: A qui profite le crime ?

26 mars 2019, 11:25

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Chauves-souris: A qui profite le crime ?

A l’origine, la situation est pourtant des plus évidentes : une espèce clef des écosystèmes, endémique, unanimement reconnue comme menacée depuis des années, est abattue sans relâche par un gouvernement sourd à la mise en garde scientifique et aveugle à tout sauf ses intérêts propres. La moitié de la population de ce bouc-émissaire massacrée, la production agricole chute de 70 %, mais qu’à cela ne tienne, point de retenue, on persévère. Un monument naturel de l’île est ainsi mis en péril, les cycles écologiques perturbés, et la santé et le bien être de vos enfants ombragés. Tout cela pour quelques litchis de moins, qui pourraient être protégés, des chauves-souris mais aussi surtout d’autres prédateurs bien plus voraces, par des filets, ou simplement dédommagés. Mais sur les terres du défunt dodo, la chevrotine coûte moins cher que les litchis, semble-t-il, et la poudre peut donc voler plus vite que les idées. Elle est, c’est certain, bien plus spectaculaire et vendeuse. En semant la discorde par une démagogie clientéliste, le gouvernement espère probablement récolter des votes. Amis Mauriciens, ne soyons donc pas dupes et sachons reconnaître nos adversaires.

Malgré nos meilleurs efforts pour nourrir un débat civil, intelligible, et factuel, les exclamations infondées et attaques ad hominem de certains interlocuteurs n’ont eu de cesse de brouiller les propos. Je ne peux donc qu’imaginer la difficulté du peuple mauricien à s’entendre dans cette cacophonie. Outre de répondre succinctement aux dénigrements de M. Hardy, “expert en chauves-souris” il paraîtrait, qui a cru bon de remettre en cause ma crédibilité dans ce quotidien, je m’attellerai ici à offrir quelques pistes simples de lecture permettant au lecteur de facilement discerner par lui-même raisonnements fallacieux et manipulations.

Je commencerai donc par l’apostrophe suivante au gouvernement et autres détracteurs de la science. Nous avons, de notre côté, avancé des dizaines de références scientifiques dans les revues académiques les plus prestigieuses pour étayer la validité de nos arguments. Où sont donc les preuves de ce que vous prétendez à tue-tête ? Quelles publications scientifiques utilisez vous donc pour soutenir vos décisions ? En vérité, tels papiers scientifiques n’ont été cités, car aucun n’existe. Je mets ici publiquement au défi le gouvernement de produire ne serait-ce qu’une seule publication académique soutenant ses allégations quant à la taille présumée de la population, le statut de l’espèce, ou l’efficacité d’un abattage. La communauté scientifique dans son ensemble soutient nos positions et rejette radicalement les vues du gouvernement. Pas une seule voix parmi les académiciens ne s’est élevée contre nous, et même les journalistes ne nous ont pris en défaut durant leurs investigations. J’appelle donc, en sus, nos opposants à démontrer le sérieux de leurs propos en fournissant le nom d’au-moins un expert international partageant leurs décisions. A ces deux défis, je peux sans risque prédire que le gouvernement ne donnera suite et vous invite par avance à en tirer les conclusions qui s’imposent.

Pire, les positions gouvernementales elles-même sont incohérentes à souhait. Un lecteur à la langue bien trop hardie nous faisait l’injonction de préciser qui donc oserait prétendre que le renard volant mauricien est menacé. La réponse est pourtant bien simple et accessible à qui n’a pas la paresse de ne vouloir la chercher. Toutes les études scientifiques actuelles sans exception qualifient l’espèce de fortement menacée et l’UICN l’a classée comme tel de manière continue depuis les années 1980 ! Mais la liste ne s’arrête pas là… Le gouvernement de l’île Maurice, en la personne de Kevin Ruhomaun, est co-auteur de la dernière évaluation UICN qui a conclut que l’espèce est plus en danger que jamais ! Par ailleurs, le Ministre Mahen Kumar Seeruttun en personne a mentionné dans une interview la nécessité d’un programme de conservation. Je m’étonne donc qu’aucun sceptique n’ait sommé ces autorités, plutôt que nous, de démontrer en quoi l’espèce est menacée, et dans la foulée, n’ait exigé une explication quant au paradoxe de ces multiples abattages.

Il serait grand temps de questionner ce gouvernement, pompier-pyromane, tantôt à la gâchette facile mais le plus souvent prompt au mutisme coupable. Pourquoi donc ce silence quand interrogé sur les lieux, dates et méthodes d’abattages ? Pourquoi ignorer les demandes d’interview des journalistes ? N’est-ce pas des plus étranges pour ceux qui ont été les hérauts d’un “Freedom of Information Act”, cette hypothétique promesse restée vaine ?

Au final, si il n’y a qu’une seule question à se poser pour discerner en un éclair le bon grain de l’ivraie, ce serait la suivante : à qui donc profitent ces abattages ? Contrairement à ce que l’on lit entre les lignes de certains, non, absolument pas à des scientifiques soit-disant complotistes. Je rassurerai ici les paranoïaques : les renards volants n’utilisent pas les fruits subtilisés comme bakchich pour nous corrompre à fermer les yeux sur leur nombre apocalyptique et les laisser répandre la mort sur l’île. Ce n’est guère non plus le plaisir d’endurer des missives aussi irrationnelles qu’insolentes qui nous motive. En vérité, nous n’avons strictement rien à gagner par nos prises de positions et, au contraire, perdons du temps, de l’argent privé, et des nerfs à tenter de mettre en garde le publique et empêcher des actions néfastes à son encontre. Peut-on, sincèrement, se convaincre d’autant de désintéressement de la part des gens qui s’expriment régulièrement contre nous ? De M. Hardy, le chasseur de chauves-souris ? Pis, de ce frêle gouvernement qui voit anxieusement poindre les urnes à l’horizon ? Ne vous trompez donc pas de cibles, chers amis, car les démarches actuelles ne bénéficient qu’à une poignée, et certainement pas aux planteurs malheureusement utilisés comme “idiots utiles” dans cette guerre sale de l’information et auxquels l’on ne fait que mentir honteusement sur de fausses solutions.

Je ne pourrais, bien malgré moi, terminer cette lettre en faisant totalement fi des accusations d’incompétence et d’opportunisme que M. Hardy a portées à mon égard dans ces pages. Répondre exhaustivement à son affligeante indélicatesse me forcerait à un exercice que la bienséance m’interdit. Je me contenterais de mentionner que, parmi les projets de recherches internationaux sur les chauves-souris insulaires que je dirige, j’ai été le premier à mettre en lumière les conflits entre agriculture et renards volants à Okinawa (Japon), où je travaille depuis des années en toute confiance avec les planteurs à la mise en place de mesures protections efficaces (l’ananas et la canne à sucre, cultivés localement, sont bien plus difficiles que les arbres à protéger). Je ne suis donc en rien un ennemi des agriculteurs, bien au contraire. On me pardonnera donc, au vu de ma formation et de mon expérience, la prétention de pouvoir soutenir avantageusement la comparaison avec l’expertise de mon inquisiteur, qui étrangement ne semble pas, lui, s’embarrasser de justifications quant à sa propre autorité affichée d’expert en matière de chauve-souris. A l’endroit du gouvernement aussi, je ne peux que m’inquiéter de telle prétention mue non pas par une objectivité travaillée mais par la force dangereuse d’un ego borgne. L’humilité, elle, n’a jamais tué, et évite bien souvent le ridicule et l’irréparable.