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Depuis la frontière belge, l’embarrassante sous-location des terres

15 mars 2019, 20:04

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Depuis la frontière belge, l’embarrassante sous-location des terres

Quand le monde agricole accepte d’en parler, il pèse chaque mot, tant le sujet embarrasse. Dans le nord de la France, la sous-location des terres, notamment à des Belges, se répand, soulevant de multiples interrogations d’ordre économique, foncier et sanitaire.

«Ils ont de très gros tracteurs, avec une arracheuse, ils viennent avec des remorques spéciales immatriculées en Belgique qui font des navettes», rapporte Stéphane Delmotte, de la Confédération paysanne, qui assure les avoir vus travailler à Oppy et Neuvireuil (Nord).

S’il n’existe pas d’estimation officielle sur la sous-location, interdite, cette pratique se développe, essentiellement dans la filière de la pomme de terre, selon les dires unanimes des agriculteurs et des autorités.

 «Opportunité»

«Dans l’Oise, jusque chez nous aux portes de Paris, on voit arriver des producteurs de pommes de terre belges ou bien d’endives qui repartent avec leur production en camion», confirme Sylvain Versluys, président de la Société d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer) des Hauts-de-France. «La sous-location devient une préoccupation nationale».

D’abord circonscrite à la frontière, la sous-location a été signalée dans la Somme et l’Aisne, selon la Direction régionale de l’agriculture et de la forêt (Draaf) des Hauts-de-France, principale région productrice de tubercules. Et les Belges ne sont pas les seuls à y avoir recours.

Un agriculteur français du sud de la région, confie ainsi, sous le couvert de l’anonymat, chercher des terres en sous-location car «l’acquisition n’est pas facile».

Cet essor s’explique notamment par des contraintes agronomiques -de longues rotations nécessaires pour préserver les sols et éviter les maladies- et la rareté des parcelles libres.

«Je fais attention à mes rotations», justifie l’agriculteur français. «Je n’ai pas une grosse exploitation, donc, mon truc, c’est de cultiver chez les autres, les mettre en stockage chez moi, pour avoir une valeur ajoutée plus importante.»

Et un autre exploitant d’avouer à demi-mot: «dans ma rotation, je reviens tous les six ans, mais si je peux trouver des terres vierges à côté, j’essaie.»

L’intérêt pour les exploitants qui donnent en sous-location est économique, pour compléter leur retraite ou maximiser l’utilisation de leur terres sans se charger des cultures.

«C’est très clair qu’il y a une forte augmentation de demande dans le monde entier de pommes de terre, portée par les surgelés et les chips. Pour beaucoup de producteurs du nord de la France, les relations commerciales avec des acteurs belges qui font des contrats de culture, est une opportunité», estime Romain Cools, de l’association belge des professionnels de la filière Belgapom.

Pour lui, les reproches des Français s’apparentent à du «protectionnisme» et la sous-location par des industriels belges dans l’Hexagone ne serait pas «générale».

«Diversité des formes juridiques»

Certains propriétaires, lorsqu’ils découvrent que leur exploitant sous-loue sans leur accord, essaient de casser les baux, furieux de l’écart avec le montant du fermage, encadré par la loi et qui oscille dans les départements des Hauts-de-France entre 120 et 178 euros annuels par hectare.

«Il y en a assez de voir nos fermages baisser d’année en année et de voir nos locataires, qui ne sont plus des agriculteurs mais des agents immobiliers, sous-louer à 1.200 euros», s’énerve Albert Lebrun, président du syndicat départemental des propriétaires privés ruraux du Pas-de-Calais.

Reste à en apporter la preuve juridique. «Il faut attraper la main dans le sac l’agriculteur», détaille Me Vincent Bué, spécialiste du droit agricole. «On envoie un huissier de justice interroger la personne sur la voie publique, on interroge les gens qui vont sur ce champ, pour savoir s’ils sont mandatés, s’il y a une contrepartie onéreuse»

Une tâche d’autant plus difficile qu’une zone grise existe, entre «entraide entre voisins», échange de terres et perte totale de la maîtrise foncière.

«On a une difficulté pour nommer les formes juridiques sous lesquelles s’effectue la mise en culture des pommes de terres par une entreprise française ou belge qui n’est pas normalement officiellement celui qui exploite la parcelle», avance prudemment Thierry Dupeuble, directeur adjoint de la Draaf, soulignant leur «diversité». Un débat de forme pour cacher un problème de fond ?

Effet sur les prix ?

Derrière cette tendance se cachent en tout cas des enjeux économiques et sanitaires.

«Ce système permet à certaines personnes de rester en activité alors qu’ils sont à l’âge de la retraite et, dans le même temps, on a des jeunes qui souhaiteraient s’installer mais ne trouvent pas de structures», déplore Simon Ammeux, co-président des Jeunes agriculteurs des Hauts-de-France.

Selon lui, «cela renforce ces structures qui sont déjà relativement importantes dès le départ et qui ont tendance à spéculer sur le foncier et à faire monter les prix.»

Pour d’autres, l’un des problèmes majeurs est la fuite de la valeur ajoutée.

«J’ai du mal à jeter la pierre à l’agriculteur français qui sous-loue une parcelle, souvent, il le fait pour des raisons économiques», reconnaît Jean-Christophe Rufin, secrétaire général FRSEA Hauts-de-France.

«Ce qui me gêne, c’est que la plus-value se fait de l’autre côté de la frontière», dans les usines de transformation de McCain et Clarebout notamment, ajoute-t-il, s’interrogeant: «Pourquoi, par exemple, notre sucrerie ferme quand une nouvelle va se construire en Belgique ?». Certains dénoncent ainsi une «concurrence déloyale» des Belges, assurant que leur coût de production est divisé par deux.

Et une inquiétude récurrente: les Belges utilisent-ils bien les produits phytosanitaires autorisés en France ? Selon la Draaf, les plantes contrôlées, souvent sur dénonciation, n’ont à ce jour pas révélé d’utilisation de produits interdits et les plans importés étaient conformes au passeport phytosanitaire européen.