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Post-BAI: la National Insurance Company n’a jamais soumis de comptes audités

5 mars 2019, 14:45

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Post-BAI: la National Insurance Company n’a jamais soumis de comptes audités

Depuis son incorporation le 15 avril 2015, la National Insurance Company Ltd (NIC), créée avec les actifs, passifs et clients de la défunte BAI, et qui compte plus de 130 000 détenteurs de polices d’assurance, n’a jamais soumis de comptes audités. Ni à la Financial Services Commission (FSC), ni au Registrar of Companies. Fin 2018, Ernst and Young (EY) a remis un «disclaimer report» à la direction de la compagnie et au régulateur, la FSC. Alors que celle-ci se refuse à tout commentaire, des langues à l’intérieur de la NIC se délient pour révéler «les inquiétudes d’Ernst and Young» et «le culte du secret».

Pourquoi la NIC a-t-elle décidé de se passer des services du cabinet d’audit EY ? Ni la NIC ni la FSC n’ont, jusqu’à l’heure, répondu à nos questions. Ce que l’on sait par contre, c’est qu’EY, auditeur que la NIC a choisi quelques mois après son incorporation en 2015, a soumis un disclaimer report à la direction vers la fin de 2018. Dans les règles d’audit, ce type de rapport (voir hors-texte) est émis quand les auditeurs n’ont pas eu accès – pour diverses raisons – à toute la documentation et tous les livres de comptes et refusent ainsi d’émettre une opinion. Entre-temps, EY a été évincé au profit de Moore Stephens.

EY de son côté a remis une copie de son rapport à la FSC. Il faut préciser que le rapport d’audit de la NIC était très attendu. D’une part, pour qu’elle se conforme aux dispositions légales imposées à toute société avec le statut de «compagnie» qui l’oblige à présenter ses comptes annuellement au Registrar of Companies. Ce que la NIC n’a jamais fait depuis son incorporation, le 15 avril 2015. Une recherche dans la base de données du Registrar nous conduit à un Balance Sheet (bilan) avec «zéro» inscrit pour tous les items. «Visiblement, cette entreprise n’a pas soumis de comptes depuis son incorporation», confirme le préposé du Registrar à qui nous avons montré ce résultat.

Traumatisme 

Pas de comptes au Registrar et un disclaimer report, voilà de quoi éveiller les soupçons dans un climat où le traumatisme de la mauvaise gestion de la BAI – partiellement dénoncée par l’auditeur KPMG en 2009 – avec la tolérance de la FSC à l’époque, est toujours présent.

Invité à commenter le rapport d’EY et le «limogeage» du cabinet d’audit, la FSC se réfugie derrière la confidentialité que lui impose la Financial Services Act. «Nous ne pouvons répondre à vos questions», écrit la FSC en réponse aux dix questions que nous lui avons envoyées par e-mail. Nous invoquions l’intérêt public, le devoir d’accountability au sujet de l’agent public (la Banque de Maurice a prêté plus de Rs 2 milliards à la NIC), mais surtout l’intérêt des épargnants et détenteurs de polices.

Ce n’est donc pas de la FSC que nous saurons si EY, comme l’affirment des sources au sein de la NIC, au-delà d’avoir soumis un disclaimer report, a également émis cinq critiques sévères, entre autres contre l’état du Balance Sheet de la NIC. Joint au téléphone vendredi après-midi, Rishi Sookdawoor, le Chief Operating Officer (COO) de la NIC – il était également le COO à l’époque de la BAI –, a paru plus coopératif que la FSC. «Nous n’avons rien à cacher. Envoyez-moi un e-mail avec vos questions et nous verrons comment y répondre sans que l’on viole les clauses de confidentialité des lois en vigueur.» Nous attendons toujours la réponse de la direction de la NIC.

Dans sa réponse, il faudra que la NIC confirme ou démente que ce rapport d’EY a été la raison du divorce entre la NIC et EY. Mais dans les faits, EY a été remplacé comme auditeur peu après la soumission de ce rapport. La NIC a choisi Moore Stephens Mauritius, un cabinet d’audit qui certes a une réputation sérieuse, mais qui ne bénéficie pas des ressources et de la réputation des Big 4 (NdlR, EY, PwC, Deloitte, KPMG sont les quatre plus grandes firmes d’audit au monde et dominent les marchés sur toute la planète).

L’Etat refuse de donner la garantie qu’il achètera la clinique à Rs 2 milliards

Il faudra aussi que la NIC démente que les deux principales inquiétudes d’EY (la firme en aurait émis cinq au total) sont la surévaluation des actifs et le faible ratio de liquidité. Ce ratio est un calcul comptable qui place les actifs liquides (du cash) face aux actifs (assets) et passifs (dettes et sommes payables aux détenteurs de polices d’assurance). En somme, plus ce ratio est élevé, plus la compagnie d’assurances dispose de moyens rapides pour payer au cas où un nombre important de souscripteurs déciderait de cash out (retirer leur argent).

Or, non seulement ce ratio serait faible mais les actifs de la NIC seraient surévalués. Hormis celle des terrains à Curepipe et à Castel, l’évaluation la plus discutable, c’est celle du bâtiment abritant la clinique Wellkin et loué à CIEL. Cette dernière avait acheté les opérations de la clinique pour Rs 700 millions sans le bâtiment, qu’elle loue de la NIC. Le bâtiment est évalué à environ deux milliards de roupies dans les livres des comptes.

Or, cette évaluation pose certains problèmes. Pour convaincre CIEL d’acheter, le ministère des Finances lui avait proposé la location du bâtiment à Rs 60 millions par an et une priorité d’achat à terme. Or, des experts estimeraient que cela diminue la valeur comptable du bâtiment. «Aucun comptable n’accepterait de lister un bâtiment loué à Rs 60 millions par an, comme un actif de deux milliards de roupies, dans son Balance Sheet quand ce sont les activités du locataire qui donnent de la valeur au bâtiment. Que vaudrait le bâtiment sans les services médicaux offerts par CIEL Healthcare ? À terme, CIEL risque de se baser sur le faible montant du loyer et de son avantage concurrentiel en tant que propriétaire des services médicaux pour négocier l’achat du bâtiment à un prix bien en dessous des deux milliards de roupies», explique une source proche du dossier à la NIC. «Le casse-tête est encore plus important quand on considère que cet actif précis représente à lui seul près de 30 % de la valeur totale des actifs de la compagnie d’assurance», conclut-il.

Rendement de 3 %

En effet, Rs 60 millions de loyer signifient un yield (rendement) de 3 % sur un bâtiment de Rs 2 milliards, ce qui est à peine acceptable pour un bâtiment à usage multiple ou général. Or, quand le bâtiment est fait «sur mesure» ou est davantage spécialisé, le yield doit forcément être plus élevé parce que sa vente éventuelle intéressera bien moins de clients. 8 %, 10 % ou même plus, dans certains cas. Avec CIEL Healthcare comme un des très rares acheteurs possibles, 3 % constituent un rendement empoisonné ! Pour pouvoir intéresser la reprise de l’ex-Apollo Bramwell après l’échec d’Omega Ark, on prenait la décision d’établir un loyer plus «doux». Aujourd’hui, la conséquence paraît se faire sentir.

C’est dans ce contexte que, selon nos informations, EY et NIC n’ont pu s’entendre. La compagnie d’assurances a obtenu une letter of support du gouvernement (l’actionnaire) qui écrit que «si le besoin se fait sentir, nous achèterons le bâtiment abritant Wellkin à près de Rs 2 milliards». Cependant, EY a invoqué les règles internationales et a exigé que la NIC recherche une letter of guarantee du gouvernement mauricien.

Ce que le ministère des Finances a refusé, après avoir consulté le State Law Office, car ce chiffre devrait alors être comptabilisé dans la dette publique. Non satisfait de la letter of support «qui ne garantit rien», EY a donc émis une disclaimer opinion sur l’ensemble des comptes de la NIC. Les relations se seraient gâtées entre les deux parties et NIC a mis un terme au contrat d’audit d’EY. Reste à savoir si NIC et/ou la FSC avoueront cette tournure des événements.

Les types de rapports d’audit

«Disclaimer report»

EY a soumis un disclaimer report après avoir audité les comptes de la NIC. Un disclaimer report est effectué quand la compagnie d’audit estime que le cadre de la tâche que lui a confiée la compagnie est trop restreint pour qu’elle puisse émettre une opinion sur la viabilité de l’entreprise et sa conformité aux règles comptables et aux lois en vigueur. Faute de pouvoir tout consulter pour avoir une vue d’ensemble, l’auditeur présente alors un disclaimer report.

«Adverse report»

L’auditeur estime que les comptes de l’entreprise ne reflètent pas sa position financière ou que celle-ci n’est pas conforme aux règlements en vigueur.

«Qualified report»

Un mélange des conditions qui poussent à un disclaimer report et celles qui conduisent à un adverse report.

«Unqualified report»

L’auditeur est satisfait des comptes tels que l’entreprise les lui a présentés. Tout est conforme aux lois en vigueur et aux règlements comptables.