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Funérailles exceptionnelles pour Kaya

19 février 2019, 16:09

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Funérailles exceptionnelles pour Kaya

Les obsèques de Joseph Reginald Topize, dit Kaya, se sont déroulées le mercredi 24 février 1999 à Roche-Bois comme il l'a toujours souhaité : une grande manifestation musicale capable de défier la mort et de la transmuer en une grande fête populaire. La célébration s'est passée dans le calme et de manière exemplaire. Pas de mobilisation évidente, mais une présence discrète de la police. Les routes qui ont été le théâtre de scènes de pillage et d'affrontements violents ont laissé la place à un peuple qui pleurait un musicien dans la joie.

L'artiste de Camp Zulu, à Roche-Bois, où il était né, a attiré depuis mardi à 19 heures des milliers de personnes sur le nouveau terrain de football de Roche-Bois qui jouxte les nouvelles infrastructures du port franc.

De loin, on voyait un jeu de couleurs variées et vivantes qui défilaient dans un silence recueilli devant le corps du défunt enveloppé dans un manteau léopard aux teintes jaunes et marron.

Cette proche de Kaya a fait chanter la foule en toute simplicité.

Sous un soleil de plomb, chacun rendait un dernier hommage à Kaya. Cette partie de la cérémonie a duré jusqu'à près de 15 heures.

L'exclusion même dans les cimetières

L'ambiance était à la fête. L'animateur, n'était autre que le défunt lui-même. Il chantait grâce à ses cassettes. Les refrains de ses chansons les plus populaires, comme celui de "Mo pep to racine pé brûlé", par exemple, "étaient repris en choeur. Ceux pour qui sa musique, la mélodie du seggae, était une nouveauté se laissaient transporter par le balancement qu'il impose à tout corps qui n'est pas insensible au rythme

L'une des proches du défunt a pris le micro et, accompagnant la bande magnétique, a fait chanter la foule avec cette simplicité innocente qui caractérise bien souvent les adeptes du rasta.

A un moment, la fête s'est arrêtée. Alors, le cortège d'un autre proche, Berger Agathe, mort sous les balles d'un policier, est arrivé.

"Il disait au policier qu 'il voulait la paix, mais ce dernier n 'a pu modérer sa colère. Son doigt était déjà sur la gâchette. Une vie s'est envolée en un instant", dit quelqu'un dans l'assistance. Le corps du défunt sortait de l'église de Roche-Bois, où ses parents et amis lui avaient rendu un dernier hommage.

Avant d'aller le mettre dans sa tombe, ses proches ont tenu à l'exposer un moment aux côtés de son ami Kaya.

Le portrait de Bob Marley précédait le corps du chanteur de Roche-Bois.

Beaucoup de gens se sont rendus au cimetière pour l'inhumation de Berger Agathe. Devant l'état du cimetière, une personne a dit : "L'exclusion a atteint même le cimetière."

Le cardinal Jean Margéot, exévêque de Port-Louis accompagné du Père Henri Souchon, curé de l'Immaculée conception ont été applaudis. Depuis son départ à la retraite, Mgr Margéot ne se montre que très rarement en public.

Il s'est mis à genoux et a prié devant le corps de Kaya. Il a aussi rendu hommage à sa veuve, Mme Véronique Topize, pour avoir lancé un appel en faveur de la paix.

Manque d'autorité

Avant la levée du corps, Mme Topize a tenu à faire lire un message condamnant la police et le gouvernement (voir hors-texte).

En chemin vers l'église Notre Dame de l'Assomption, le corps du défunt a été promené dans les ruelles de la cité de Roche-Bois.

Cette distance, qui correspond à cinq minutes de marche en temps normal, a été couverte entre 14 h 55 et 16 heures. Pendant ce temps, une foule énorme passait par la route principale pour se rendre à l'église. Notre Dame de l'Assomption était trop petite pour contenir toute l'assistance. Pour une fois, entre l'église et le seggae, il n'y avait plus de barrière. Le seggae a fait son entrée solennelle dans la liturgie de l'église. Sans complexes, par un après-midi exceptionnel. A nouveau, les chansons les plus connues du défunt, entrecoupées par des applaudissements, ont été reprises en choeur par la chorale et tout le monde.

Le cercueil de Kaya, précédé d'une image géante de son guru, Bob Marley, est passé de mains en mains au-dessus de la tête de l'assistance jusqu'auprès de l'autel.

Les cassettes du disparu se sont arrachées.

Refus de la misère

Dans son intervention, Mgr Margéot a salué une fois encore la veuve du chanteur. Rappelant l'importance de la solidarité et de la fraternité, il a lancé un appel à la paix. Les troubles de 1968 sont de mauvais souvenirs et il ne faut pas que Maurice bascule dans l'affrontement entre les communautés, a-t-il souligné. Il a dénoncé ceux qui exploitent les événements de ces derniers jours afin de semer la panique un peu partout. Pour lui, les récents désordres expriment un refus de la misère et un désir de vivre une vie meilleure.

Face à ce défi, tous doivent prendre leurs responsabilités, at-il ajouté. Le cardinal a enfin lancé un appel pour que les communautés cohabitent dans le respect les unes et des autres. "Accepté la différence, pas accepté dominère", a-t-il conclu. C'est en chantant et en dansant que le corps de Kaya a été transporté jusqu'à sa dernière demeure au cimetière de Roche-Bois.