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A Hong Kong, hommes et femmes ne sont pas égaux pour bâtir

17 février 2019, 11:22

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A Hong Kong, hommes et femmes ne sont pas égaux pour bâtir

Grâce à une curiosité héritée de l’ère coloniale britannique, William Liu a le droit, du seul fait d’être un homme, de construire une maison dans son village du nord de Hong Kong avec des conditions privilégiées. Mais au nom de l’égalité, il rejette ce droit de naissance lucratif.

Le jeune homme de 22 ans habite les «Nouveaux Territoires» cédés à Londres par la Chine en 1898 en vertu d’un bail de 99 ans, dans la partie continentale du territoire semi-autonome.

Selon une politique coloniale toujours en vigueur, tout homme qui peut retracer ses origines jusqu’à la fin du XIXe siècle peut édifier une maison de trois étages sur sa terre sans acquitter les taxes normalement dues ou acquérir un terrain à bâtir à prix réduit auprès du gouvernement.

Dans une mégapole où le mètre carré figure parmi les plus chers du monde, ce droit exclusivement masculin représente une manne non négligeable.

Mais des défenseurs de l’égalité le contestent en justice au nom de la lutte contre la discrimination, à la fois contre les femmes et contre les millions des Hongkongais exclus du marché immobilier.

William Liu, villageois et démocrate, se dit d’accord avec ceux qui ont saisi la justice. «C’est une politique injuste et je ne vais pas m’en servir», dit-il à l’AFP.

«Réduire les inégalités»

Il s’insurge contre son caractère discriminatoire, mais aussi contre le fait que des promoteurs immobiliers au carnet d’adresses bien rempli ont réussi à s’en servir pour construire.

La politique dite «des petites maisons» a «été détournée au bénéfice d’une petite poignée de gens qui travaillent avec les promoteurs pour faire de l’argent», accuse-t-il.

Selon le centre de recherches spécialisé Liber Research Community, une maison sur quatre construite en vertu de cette politique dans les Nouveaux Territoires l’a été par des promoteurs ayant conclu des accords secrets avec des villageois pour se servir de leurs droits fonciers. Les autorités ferment largement les yeux, maintient Liber.

La politique dite des «droits des ding», le mot cantonnais désignant les descendants mâles, avait été instaurée en 1972 par les Britanniques comme mesure provisoire pour améliorer les conditions de vie des agriculteurs. Et elle a perduré après la rétrocession de Hong Kong à la Chine en 1997.

Ces droits sont âprement défendus par le puissant Heung Yee Kuk, organisme qui domine la vie rurale depuis des décennies et vote toujours en faveur de Pékin dans le processus électoral complexe de désignation du chef du gouvernement de Hong Kong.

Hong Kong souffre d’un manque criant de logements. Pour améliorer la situation, le gouvernement propose de dépenser au moins 500 milliards de dollars hongkongais (57 milliards d’euros) pour construire des îles artificielles, au grand dam d’opposants qui dénoncent un projet dangereux pour l’environnement et coûteux.

Pour Chan Kim-ching, fondateur de Liber, le gouvernement doit revoir le système d’allocation foncière de fond en comble dans les Nouveaux Territoires. En particulier, débloquer des terres régies pour l’instant selon les «droits des ding».

«Ce serait mieux pour l’environnement, ça réduirait un peu les inégalités et ça répondrait à la demande de logements, tout en même temps».

Longue attente

Le gouvernement comme le président de l’organisme Heung Yee Kuk, Kenneth Lau, se sont refusés à commenter ce statut, arguant de la procédure judiciaire en cours.

Ce sujet constitue depuis longtemps une pomme de discorde entre les anciennes familles de villageois et les autres Hongkongais. Ces familles, qui bénéficient aussi d’autres droits spéciaux, notamment en matière d’inhumation, sont souvent considérées comme injustement privilégiées.

Cependant, les villageois se plaignent de devoir attendre des années leur permis de construire, même lorsqu’ils possèdent le terrain.

Yelena Yung explique qu’elle a été discriminée en tant que femme par les «droits des ding» mais y être néanmoins favorable car ses deux fils en ont bénéficié. Ils ont obtenu leur permis de construire après plus de dix ans d’attente.

«Qu’on ne me parle pas d’égalité entre les sexes alors qu’ils n’autorisent même pas les garçons à construire des maisons», déclare-t-elle à l’AFP. «C’est déjà très dur pour eux d’obtenir des permis de construire, sans parler des filles. Ils doivent d’abord résoudre ce problème».

Stanley Ho, un villageois hostile au statut, a grandi dans un hameau de quelques dizaines d’habitants au coeur d’un parc naturel. Il raconte avoir vu les champs céder la place aux maisons, des arbres anciens être abattus pour construire des routes illégales afin de faciliter les travaux de construction.

Il demande au gouvernement de travailler de concert avec Heung Yee Kuk, les écologistes et les représentants des communautés rurales pour abolir «cette politique injuste» tout en améliorant les conditions de vie des villageois.

«Notre génération doit se faire entendre, nous devons contrôler notre espace», dit-il. «Sans quoi, les promoteurs le feront».