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ICAC – DPP: un conflit institutionnel

18 janvier 2019, 22:29

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ICAC – DPP: un conflit institutionnel

Le territoire de chacun n’a semble-t-il pas été clairement établi. Et les nouvelles tensions entre le bureau du DPP et l'ICAC, en raison de la volte-face de cette dernière devant le Privy Council, n’arrangent pas les choses.

Le torchon brûle-t-il entre l’Independent Commission against Corruption (ICAC) et le bureau du Directeur des poursuites publiques (DPP) ? Si officiellement les deux institutions préfèrent se taire pour ne pas manquer au devoir de réserve et de discrétion, dans les milieux bien informés, cependant, on confirme que les tensions auraient repris depuis le changement de posture de la commission anti-corruption dans l’affaire MedPoint. L’ICAC, qui avait affirmé qu’elle allait «abide by the decision» lorsque le DPP avait annoncé son intention de faire appel au Privy Council, s’est rangée dans le camp de la défense du Premier ministre, Pravind Jugnauth.

Depuis cet impair institutionnel, un sentiment de méfiance se serait installé entre ces deux law enforcement bodies. Cette affaire, selon de nombreux spécialistes, a créé un conflit institutionnel. Elle suscite également des interrogations sur les risques d’entraver le fonctionnement du bureau du DPP. L’ICAC est-elle en mesure de contourner ce dernier à l’avenir ?

Pour l’avocat Ajay Daby, les rôles des deux institutions sont bien définis dans la loi. «L’ICAC, régie par la Prevention of Corruption Act (PoCA), est une entité indépendante en matière d’investigation. Et le rôle du DPP, énoncé dans la Constitution, est qu’il est l’organe compétent pour initier des poursuites au pénal.» La commission anti-corruption disposant d’une entière liberté dans ses investigations enquête dans les affaires de corruption.

Un ancien membre du comité parlementaire de la commission anti-corruption confirme que, selon la loi, ce sont les membres du conseil d’administration de l’ICAC qui décident quand il faudra initier une enquête. Cela, sans même qu’il y ait une déposition.

Une fois bouclé, le dossier est transmis au bureau du DPP pour un avis légal. Le DPP peut demander d’éclaircir certains points. Après cet examen du dossier, celui-ci décide si l’affaire débouchera sur un procès ou sera rayée. C’est ce que stipule l’article 72 de la Constitution : «The Director of Public Prosecutions shall have power in any case in which he considers it desirable so to do (…) to institute and undertake criminal proceedings before any court of law.» Il n’y aurait ainsi pas d’ambiguïté quant aux dispositions de la loi.

Cependant, l’ancien membre du comité parlementaire affirme que, des fois, l’ICAC décide, par exemple, de ne pas entamer des poursuites sans même informer le bureau du DPP.

Selon l’article 82 de la loi, c’est au DPP de poursuivre tout suspect en justice après que l’ICAC a bouclé son enquête. Notre source souligne que même si l’ICAC et le DPP semblent ne plus regarder dans la même direction, «c’est au DPP de décider s’il faut classer un dossier ou pas. Il a été noté que depuis quelque temps, la commission décide par elle-même de ne pas poursuivre une affaire si elle juge que ce n’est pas nécessaire, sans en informer le DPP»

L’article 82 de la PoCA fait mention de «prosecution». Ainsi, l’ICAC peut aussi initier des poursuites. Ce sont néanmoins des pouvoirs limités, estime le Senior Lecturer Rajen Narsinghen. Car cet article précise également que l’approbation du DPP est obligatoire. «No prosecution for an offence under this Act or Part II of the Financial Intelligence and Anti-Money Laundering Act 2002 shall be instituted except by, or with the consent of, the Director of Public Prosecutions.» Ce qui fait dire au chargé de cours du département de droit de l’université de Maurice que, dans l’affaire MedPoint, il y a possible breach de l’article 72 de la Constitution et atteinte à la séparation des pouvoirs.

Entre l’ICAC, la police et le DPP, la compétition/rivalité a toujours existé, selon plusieurs membres de la profession légale interrogés. Selon Ajay Daby, le territoire de chacun n’a pas été clairement établi. La faute aussi à certaines pratiques de la Cour suprême qui, pendant plusieurs années, a traité l’ICAC comme une «prosecution authority». Cette rivalité commence peu après la polémique sur les pouvoirs d’arrestation de l’ICAC. Des prérogatives qui ont changé depuis. Pour toute arrestation, L’ICAC n’a pas besoin d’aval du DPP mais du commissaire de police.

Pourtant, l’ICAC continue à faire des vagues. En 2015, le bureau du DPP et la commission anti-corruption se sont livrés à une véritable guerre ouverte dans l’affaire Sun Tan. Face aux manœuvres de l’ICAC, le DPP, Me Satyajit Boolell, avait obtenu un ordre de la Cour suprême pour éviter toute arrestation. Pour les observateurs, ces dérapages qui portent atteinte aux principes démocratiques sont principalement liés au fait que le directeur de la commission est un «super political nominee». Il faut changer le mécanisme de nomination, propose un Senior Counsel, qui est aussi d’avis que le patron de l’ICAC doit, au même titre que le DPP et les juges, bénéficier d’un «security of tenure» (garantie de mandat) pour pouvoir résister aux pressions politiques.

Manque de transparence

Les enquêteurs de l’ICAC sont des policiers ou des civils. «Au début, c’était des policiers qui faisaient les enquêtes. Par la suite, il y a eu un nouveau directeur général qui a trouvé que les enquêtes de corruption ne peuvent se faire comme le font les policiers quand ils travaillent sur d’autres délits», explique un ex-membre du comité parlementaire.

Par ailleurs, il affirme que l’ICAC n’est redevable qu’envers ce comité. Cependant, les élus n’ont nullement le droit de poser des questions sur les enquêtes qui ne sont pas bouclées. «Le comité peut simplement s’intéresser à l’administration de la commission ou encore aux affaires qui ont pris n devant une cour de justice ou qui n’ont pas eu de suite. Mais souvent, il est difficile de savoir quelles sont les affaires qui ont été classés.»