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Saga MedPoint: pour ceux qui ont raté quelques épisodes

13 janvier 2019, 22:30

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Saga MedPoint: pour ceux qui ont raté quelques épisodes

C’est une série que même la ministre des Collectivités locales doit être en train de suivre avec attention. Le feuilleton MedPoint a été diffusé pour la première fois en janvier 2010 et le dernier épisode se jouera mardi devant le Privy Council. Entre, il y a eu plusieurs rebondissements: arrestations, condamnations, appels interjetés, changements de position et scénarios improbables. Retour sur cette affaire qui risque de bouleverser le paysage politique. Recap.

Première saison

Nous sommes en janvier 2010. Rajesh Jeetah tient le rôle du ministre de la Santé et décide d’acheter la clinique MedPoint pour la transformer en hôpital gériatrique. Le prix est alors de Rs 75 millions. Quelques mois plus tard, les Mauriciens vont aux urnes et un gouvernement PTr-MSM-PMSD arrive au pouvoir. Les rôles sont redistribués. Pravind Jugnauth devient le ministre des Finances et Maya Haoomanjee endosse la blouse de ministre de la Santé.

L’achat de MedPoint est toujours d’actualité, to buy or not to buy that is the question. L’affaire est débattue lors du Conseil des ministres le 18 juin. Pravind Jugnauth se retire des discussions, affirmant que d’aucuns pourraient y voir là un conflit d’intérêts (NdlR, toute situation qui peut susciter un doute raisonnable sur l’impartialité et l’indépendance d’un professionnel). Pour cause: sa sœur, Shalini Malhotra, est actionnaire de MedPoint à 23 %. Cependant, le 23 décembre 2010, c’est Pravind Jugnauth lui-même qui signera le mémo autorisant l’achat. Entre-temps, le prix de la clinique a atteint Rs 144 701 300. Le vendeur encaisse la somme un peu avant le 31 décembre, ce qui lui évite de payer Rs 10 millions de Capital Gains Tax, impôts qui devaient être prélevés dès janvier 2011, selon une nouvelle loi. Voilà donc le cœur de l’intrigue. Est-ce que Pravind Jugnauth avait le droit de signer ce fameux mémo tout en sachant que sa sœur était actionnaire de MedPoint ? Comment le prix de la clinique a-t-il grimpé en flèche en si peu de temps ? Est-ce que l’affaire a été conclue à la hâte dans le but d’éviter les impôts ? Une nouvelle actrice fait dès lors son apparition à l’écran: l’Independent Commission Against Corruption (ICAC).

Deuxième saison

Maya Hanoomajee est arrêtée le 22 juillet 2011. Mais avant elle, le Chief Government Valuer et le Principal Government Valuer ont également été interpellés. Le 26 juillet, c’est le grand divorce. Le MSM quitte le gouvernement. Mais les rebondissements ne s’arrêtent pas là. Le 26 septembre, Pravind Jugnauth est arrêté. L’enquête sur le conflit d’intérêts débute. Le 9 avril 2013, Maya Hanoomanjee est blanchie. Mais l’ICAC ne chôme pas. La commission anti-corruption compile toujours le dossier à charge contre Pravind Jugnauth, puis le soumet au Directeur des poursuites publiques (DPP). Le 14 mars 2014, ce dernier décide qu’il y a assez de preuves pour poursuivre Pravind Jugnauth. L’ICAC est tout à fait d’accord.

Comme dans toute série qui se respecte, il y a des histoires d’amour et de haine qui parsèment les épisodes. Après l’idylle avec le PTr qui a connu une fin abrupte à cause de MedPoint, une nouvelle histoire commence entre le MSM et le MMM. Mais elle ne va pas durer non plus. En 2014, le MMM rompt les fiançailles. La raison évoquée: MedPoint…

Décembre 2014. Le MSM revient au pouvoir et Pravind Jugnauth est de nouveau ministre. Mais le 30 juin 2015, il est condamné à 12 mois de prison, et sa sentence est commuée en travaux communautaires. Il démissionne et fait appel devant la Cour suprême. À ce moment, l’ICAC estime toujours que Pravind Jugnauth doit être condamné et soumet des «written submissions» contre lui. L’affaire est entendue et le 25 mai 2016, Pravind Jugnauth est blanchi. Il devient Premier ministre peu après. Mais MedPoint est loin d’être de l’histoire ancienne. Tel un ex trop collant, la clinique refait son apparition. Le DPP porte l’affaire devant le Privy Council et évoque quatre points d’appel…

Troisième saison

Rebondissement. Nous sommes quelques jours avant que les Law Lords du Judicial Committee of the Privy Council (JCPC) n’écoutent l’affaire. L’ICAC, qui, pendant tout ce temps, avait travaillé ses dossiers contre Pravind Jugnauth, décide de changer de position. Finalement, elle se rangera du côté de Pravind Jugnauth. Dans les séries, tout est possible.

Dans le jugement en appel, les juges ont estimé que la poursuite n’a pas démontré qu’il y a eu conflit d’intérêts. Le DPP demande donc au Privy Council si ce délit doit être vraiment prouvé, ou est-ce suffisant qu’un Mauricien, «juste et raisonnable» (si si, il y en a), ait la perception qu’il y a un conflit d’intérêts.

Dans ses «written submissions» en 2015, l’ICAC avait fait savoir que les faits ont établi la participation de Pravind Jugnauth dans cette affaire et que de toute façon, son comportement a donné l’apparence d’un conflit d’intérêts et que de ce fait, tous les éléments pour une condamnation sous la Prevention of Corruption Act (PoCA) sont réunis. Mais trois ans après, l’ICAC a changé d’avis. Finalement, elle pense que la poursuite doit prouver le délit et que la perception de «l’homme juste et raisonnable» ne compte pas dans le délit.

De plus, Pravind Jugnauth s’était retiré du Conseil de ministres le 18 juin 2010 en déclarant ses intérêts. Dans le jugement en appel, les juges ont déclaré qu’il a fait preuve de bonne foi. «Mais est-ce que la bonne foi est une défense suffisante ?» demande le DPP au Privy Council.

Sur ce point, dans le dossier soumis avant que le jugement ne passe en appel, l’ICAC avait fait savoir qu’elle pense que la logique de Pravind Jugnauth est dépourvue de sens. S’il s’était retiré du Conseil des ministres pour ne pas participer aux décisions, il aurait également dû «kosté lwin» de toutes les procédures entourant l’affaire MedPoint et ne pas signer le mémo. Aujourd’hui, l’ICAC estime que si Pravind Jugnauth ne pense pas que sa sœur avait un intérêt dans la décision, c’est que la poursuite a échoué quand il s’agit de prouver le délit vu que l’intention n’y était pas…

Dans le jugement en appel, la Cour Suprême avait expliqué que la vente de la clinique à l’État n’implique pas forcément un «intérêt personnel» pour la sœur de Pravind Jugnauth. Le DPP demande alors au Privy council de statuer sur le fait que si un proche d’un «public official», actionnaire d’une compagnie privée, obtient un contrat de l’État, constitue ou pas une forme d’«intérêt personnel»

En 2015, l’ICAC en était convaincue. Non seulement Shalini Malhotra détenait 23 % des actions, mais elle était également présente devant le notaire pour la vente, avait fait ressortir la commission anticorruption. D’ailleurs, le conflit d’intérêts ne doit pas être jugé sur les bénéfices qui ont été engrangés mais sur les agissements du «public official». Aujourd ’ hui , l’ICAC estime que la poursuite n’a pas démontré qu’il y a eu des bénéfices qui ont découlé de cette décision et que de ce fait, il n’y a pas de «problème».

Finalement, les juges de la Cour suprême ont estimé qu’en signant le mémo, Pravind Jugnauth n’avait pas «trouvé» l’argent pour le rachat de la clinique. Il a simplement réalloué des fonds qui avaient déjà été identifiés pour cette transaction. Mais le DPP veut savoir si un «public official» peut prendre part à l’exécution d’un contrat dans lequel ses proches ont des intérêts.

Selon l’ICAC en 2015, ce geste a été définitif. Ce n’était pas qu’une simple signature administrative, c’était l’accord final. Mais plus tard, la commission a estimé que finalement, non, il ne peut pas y avoir de bénéfices personnels pour les actionnaires car les fonds avaient déjà été identifiés et que la signature les a simplement alloués. Le prochain épisode se déroulera à Londres mardi. Don’t miss it.