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Jérémie de Fombelle : «Le gaspillage alimentaire dans l’hôtellerie inquiète, choque et constitue une honte»

9 janvier 2019, 22:21

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Jérémie de Fombelle : «Le gaspillage alimentaire dans l’hôtellerie inquiète, choque et constitue une honte»

La victoire de LUX* Le Morne à l’édition 2018 de LUX* Innovation Awards sur le thème ‘Innovate to Reduce Waste’ n’a pas été une fin en soi. L’hôtel voudrait étendre le combat contre le gaspillage alimentaire hors de ses frontières. Il organisera le 25 janvier une conférence sur l’écologie et le développement durable avec pour principal invité Nicolas Hulot, le défenseur planétaire de la Nature.

LUX* Innovation Awards n’a plus de secret pour vous qui avez été le récipiendaire de l’édition 2017. Quelles ont été les véritables motivations ayant suscité l’intérêt de LUX* Le Morne à prendre une part active dans l’édition 2018 de ce concours ?
L’innovation est dans l’ADN de LUX*. Chez le groupe LUX*, l’innovation n’est pas une option. C’est un concept qui figure sur les listes des obligations auxquelles nous sommes tenus de souscrire. LUX* Le Morne détenait déjà le trophée du LUX* Innovation Challenge 2017. Nous avions donc un titre à défendre. Le sujet nous tenait particulièrement à cœur. Nous avions de bonnes raisons de prendre une part active dans cette compétition et surtout nous avions à cœur de défendre cette cause.

Quel est votre constat sur le gaspillage alimentaire dans l’industrie hôtelière ?
L’étendue du gaspillage alimentaire dans l’hôtellerie est inquiétante. Elle est choquante. Je ne me priverai pas d’affirmer que le gaspillage dans l’hôtellerie constitue une honte pour l’industrie. Ce phénomène n’est pas présent qu’à Maurice. C’est la situation dans le monde entier. Ce phénomène a pris la forme d’une problématique de dimension globale. Pourquoi faut-il combattre ce gaspillage ? D’abord parce que tout le monde ne mange pas à sa faim dans notre société. Éradiquer le gaspillage alimentaire permettrait d’éradiquer la faim dans le monde, c’est aussi simple que cela. Cette raison pourrait se suffire à elle-même mais elle n’est pas la seule. L’autre raison primordiale qui justifierait amplement un engagement sans retenue contre le gaspillage alimentaire est la protection de la planète. Un excès de production nuit à notre environnement et détruit nos ressources naturelles. Ce qui est en jeu dans la réduction du gaspillage alimentaire c’est la faim dans le monde et la préservation de notre planète.

Quelle a été cette mesure qui a valu à LUX* Le Morne de rééditer l’exploit de remporter une nouvelle fois le trophée de LUX* Innovation Awards ?
La particularité de notre proposition s’articule autour de deux engagements d’envergure. Il s’agit d’abord de proposer moins de produits alimentaires pour éviter le gaspillage. L’autre engagement concerne la redistribution.

Comment ces deux engagements ont-ils été articulés ?
Nous avons fait un travail de recherche sur les habitudes alimentaires de nos clients. L’un des constats nous a permis de comprendre que le client anglais mange plus de viande que son voisin français. Ce travail statistique pour tous les aliments permet d’ajuster nos commandes de nourriture et notre production en fonction des nationalités présentes à l’hôtel.

Qu’en est-il de votre politique de re-distribution?
La consigne a été de ne plus jeter des centaines de kilos de nourriture provenant des buffets et des cuisines. La priorité est d’aller vers les personnes dans le besoin et vers ceux qui ont faim ou n’ont pas les moyens de se nourrir correctement. La nourriture qui reste des buffets ou dans les réfrigérateurs est donc congelée et acheminée vers les bénéficiaires que sont les ONG, les écoles, les centres sociaux. Il s’agit bien entendu de nourriture comestible et non pas des restes des assiettes des clients. Ces restes sont redistribués pour être utilisés comme nourriture d’animaux. Des centres animaliers dont les dog shelters en profitent également. Notre engagement est un engagement ZERO FOOD WASTE, c’est-à-dire que rien ne doit aller à la poubelle et donc à la terre, si ce n’est pour le compost.

Le combat de LUX* Le Morne contre le gaspillage s’arrête-t-il à votre participation aux Innovation Awards pour satisfaire un besoin de prestige ?
Loin de là ! Notre engagement est radical et total et s’inscrit sur le long terme. Il ne se limite pas à ce concours. Aujourd’hui, nous gérons un hôtel où le concept de «zero food waste» est inscrit dans notre mode de fonctionnement. Cet engagement ne sera jamais remis en question. C’est un acquis. Cet engagement ne signifie nullement que nous avons atteint notre objectif à 100 % par rapport à notre détermination à éliminer sinon à réduire au minimum les risques de gaspillage alimentaire. Nous pouvons et devons faire davantage pour préparer juste la quantité nécessaire pour satisfaire les besoins de consommation de nos clients. Notre programme de lutte contre le gaspillage alimentaire n’implique pas que nous en tant que gestionnaire de l’hôtel. Ce programme requiert également la contribution de nos clients. D’où la nécessité de mettre en place des mesures simples et pratiques qui aident les clients à participer naturellement à notre programme de lutte contre le gaspillage alimentaire. Nous avons introduit deux mesures à cet effet. Nous avons privilégié un système de service à la carte par rapport au buffet. Grâce à cette mesure, le client est placé dans une situation où il ne peut prendre que la quantité dont il a besoin. Nous nous sommes rendu compte que la dimension des assiettes pourrait potentiellement favoriser une tendance à la remplir au-delà de son appétit réel. C’est pourquoi nous avons décidé de réduire la taille des assiettes. Ce n’est certainement pas pour rationner l’appétit du client mais pour l’amener à participer de façon concrète et non-contraignante à notre programme de lutte contre le gaspillage alimentaire.

Quelles pourraient être les retombées économiques et sociales escomptées par LUX* le Morne sur les coûts d’opération avec l’application des mesures préconisées dans le cadre de ce concours sur l’innovation ?
Avec du bon sens et des partenariats ciblés, la réduction du gaspillage alimentaire peut bien permettre de faire des économies. L’équation est on ne peut plus claire : la réduction de la quantité de matières premières à la cuisson amène inévitablement une réduction du coût des achats de ces produits. Ce programme de lutte contre le gaspillage alimentaire a également un volet social. Il a débouché sur la mise en route d’un partenariat avec FoodWise, une ONG jeune et dynamique. Son rôle en marge de notre programme de lutte contre le gaspillage alimentaire est primordial. Au cas où notre mécanisme de lutte n’est pas parvenu à éliminer les restes, FoodWise intervient. Cette ONG joue un rôle de trait d’union entre donateurs et bénéficiaires de ces restes qui sont proposés comme nourriture pour animaux. FoodWise assure la logistique du transport de cette activité. Qui enlève à LUX* Le Morne la responsabilité de prendre en charge le coût du transport de ces restes.

«L’enjeu derrière la lutte contre le gaspillage alimentaire, c’est le combat contre la faim et la préservation de la planète»

Les mesures en vue de réduire les déchets impliquent-elles obligatoirement une politique de gestion et de traitement de ses conséquences lorsque le gaspillage s’est révélé une opération difficile à mettre en place ?
Dans tout ce que vous faites, il faut y voir un sens profond. Quand une démarche a du sens, les ressources viennent souvent naturellement. Le fait que tout le monde au LUX* Le Morne et parmi nos partenaires a épousé la défense de la cause «zero food waste» a rendu la partie technique et logistique presque facile. Il n’est pas interdit de penser que le fait d’agir éthiquement et de façon responsable donne des ailes et permet de redoubler notre énergie. J’en suis convaincu.

Dans quelle mesure, la petite révolution que LUX* Le Morne s’est offerte pourrait-elle faire partie d’une politique nationale de lutte contre le gaspillage ou pour la réduction des déchets à la source ?
Seul, LUX* Le Morne ne changera pas grand-chose à la problématique du gaspillage alimentaire. Il faut agir ensemble. Je suis très heureux d’annoncer la tenue du premier «Zero food waste Forum» au niveau national. Il se tiendra le 25 janvier au LUX* Le Morne et nous avons réussi à réunir autour de la même table des acteurs de l’hôtellerie à Maurice. La plupart des groupes hôteliers y seront représentés. Mais également des institutions, la grande distribution, des restaurateurs, des ONG et des personnalités. Le forum sera animé par l’ONG FoodWise. Cette activité permettra de partager les meilleures pratiques en termes de combat contre le gaspillage alimentaire et les témoignages pouvant potentiellement faire du combat contre le gaspillage alimentaire une priorité nationale.

Quels sont les secteurs où le phénomène de gaspillage est le plus criant et que doit-on faire pour y remédier ?
Point n’est besoin de pointer du doigt tel ou tel secteur. Tout le monde doit se retrousser les manches. Bien sûr que tous – parmi lesquels, les hôteliers et les grandes surfaces – ont beau- coup de travail. Le combat contre le gaspillage doit commencer à la maison même. Le combat contre le gaspillage est une démarche qui devrait faire partie des préoccupations de chaque citoyen. On ne peut plus continuer à gaspiller un tiers de notre nourriture.

L’élimination du gaspillage alimentaire en milieu touristique est-elle un objectif atteignable en raison de la cohabitation de plusieurs cultures dans un même environnement ?
Je ne sais pas si l’on peut éradiquer le gaspillage à 100 % dans l’hôtellerie et la restauration. Sans doute pas complètement. Cependant, il est possible de réduire drastiquement l’ampleur de ce phénomène si la démarche s’inscrit dans une tentative d’éradiquer la faim. Pour y parvenir, il est primordial d’être ensemble. Tous ensemble. Au LUX* Le Morne nous en avons fait la démons- tration. Nous avons effectivement réduit les achats alimentaires d’un demi-kilo par jour et par client tout en commençant à redistribuer la nourriture à ceux qui en ont besoin. C’est la preuve que c’est possible ! Tout le monde en sort gagnant.

Quels sont les moyens déployés pour éviter le gaspillage alimentaire ?
Tout le monde à l’hôtel a pris sa part. Le chef, le directeur financier, les jardiniers (pour le compost), la direction. Le tout était orchestré par une «équipe commando» en charge de «make it happen !». Cependant, si la question concerne les moyens budgétaires mis en œuvre, il est bon de préciser que le seul moyen prérequis c’est le temps. Le temps, c’est de l’argent. Il faut être prêt pour investir du temps et inscrire la lutte contre le gaspillage en haut de la liste de nos priorités. Outre le facteur temps, on a recours à une compost box, à quelques congélateurs et à des boîtes isothermes pour la nourriture. Bref, il n’y a pas de gros moyens requis.

N’y a-t-il pas le risque que certains puissent arguer que vous faites de l’économie sur le dos de vos clients ?
C’est possible mais certainement pas dans un contexte actuel où on observe la posture très prononcée chez de nombreux clients à placer le tourisme durable et équitable comme critère fondamental dans le choix des destinations. C’est un projet qui leur plaît. Ils le soutiennent pleinement. À partir du moment où le projet est bien expliqué, les clients ne peuvent que le soutenir. Le service en mode buffet et à la carte au sein de LUX* Le Morne est toujours aussi qualitatif, voire plus encore. On ne rationne personne. Il faut sortir de l’idée que le luxe c’est la quantité, l’abondance ou même la surabondance et donc le gaspillage. Cette idée est totalement dépassée. Le luxe est tout autre chose. Les mentalités changent.

Qu’en est-il des personnalités qui ont manifesté un intérêt pour soutenir la cause de LUX* Le Morne dans le combat contre le gaspillage alimentaire ?
Nombreuses sont les personnalités qui soutiennent ou parrainent notre projet. Il y a bien sûr Nicolas Hulot qui soutient plus que jamais cette cause. C’est un grand honneur pour nous. Mais aussi des célébrités de Hollywood comme Andy Serkis, sans oublier le bureau de la présidence de la République, des membres de l’Assemblée nationale et, plus important, les membres de notre équipe. Ils sont très nombreux en effet et cela montre bien l’urgence du sujet.

Est-ce chose facile de sensibiliser les membres de votre équipe à un tel mouvement ?
Le plus important est de comprendre et reconnaître le sens de ce que nous entreprenons. Si ce que nous entreprenons est vide de sens, il ne faut pas s’étonner de se sentir seul et de ne pas trouver de «followers». Je pense sincèrement que mon équipe a compris que la lutte contre le gaspillage est une priorité et un devoir citoyen. Ainsi, s’engager pour cette cause est venu tout naturellement aux équipes du LUX* Le Morne.