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MedPoint: l’indécente volte-face de la commission anti-corruption

8 janvier 2019, 13:01

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MedPoint: l’indécente volte-face de la commission anti-corruption

Deux mois avant l’audition au Privy Council, l’ICAC change d’avis. Elle décide de se ranger du côté du Premier ministre et de présenter un dossier dont les arguments sont en phase avec ceux des avocats de Pravind Jugnauth, contre le DPP. Et de se faire payer un Queen’s Counsel par les contribuables…

Ce qui se trame depuis Maurice avant que les Law Lords ne se penchent, à partir de ce mois, à Londres, sur l’affaire sans doute la plus attendue de notre histoire politique, soit l’affaire MedPoint, qui déterminera l’avenir politique d’un sitting Premier ministre est surprenant, voire inquiétant, pour notre démocratie. Les (basses) manoeuvres ont commencé afin de sortir Pravind Jugnauth de cette impasse juridique.

En fait, en neuf mois, c’est-à-dire entre le 6 février 2018 et le 22 novembre 2018, la commission anti-corruption, dirigée par Navin Beekarry, un nominé politique des Jugnauth, a changé comme par magie de position quant au rôle qu’elle entend jouer devant le Privy Council. Un changement qui interpelle et qui vise à affaiblir la position du Directeur des poursuites publiques (DPP). Satyajit Boolell a eu la détermination de saisir l’instance suprême de notre système judiciaire afin de clarifier, une fois pour toutes, et au-delà des considérations politiques, la raison d’être de l’article 13 de la Prevention of Corruption Act (PoCA).

«I am the Solicitor Agent for the Independent Commission Against Corruption (ICAC), the abovenamed correspondent instructing Mr Mitleshkumarsingh Roopchand, of Counsel. I have to inform you that the ICAC will abide by the decision of the Board of the Judicial Committee of the Privy Council in the above matter. I am therefore praying for leave on behalf of counsel to be dispensed from appearing before the Board», écrit Me Sultan Sohawon, Solicitor Agent for ICAC, dans une lettre adressée, et datée du 6 février 2018, au Registrar du Judicial Committee of the Privy Council.

Dans les milieux juridiques, cette première position de l’ICAC est, en elle-même, surprenante du fait que, devant la Cour suprême, pendant les débats sur le fond sur l’appel interjeté par Pravind Jugnauth, l’ICAC avait, de façon virulente, contesté tous les arguments avancés par les hommes de loi de Pravind Jugnauth. À l’époque, l’ICAC se rangeait sur la position du DPP, selon laquelle la soeur de Pravind Jugnauth avait un «personal interest» dans la décision de réallouer les fonds pour l’achat de la clinique MedPoint.

«Que vont désormais penser les Law Lords de ces manoeuvres indécentes...?»

Or, maintenant, l’ICAC abandonne cette posture pour se ranger carrément dans le camp du Premier ministre. Dans une communication adressée au Registrar du Privy Council, le 22 novembre 2018, soit moins de deux mois avant que l’appel ne soit entendu par les Law Lords, le même Sultan Sohawon informe le Registrar que «after further consideration of the matter, the ICAC has decided to revise its stand to abide by the decision of the Board. It will now offer submissions in the case».

Ce qu’on peut confirmer c’est que le «Perfected Written Case» (en possession de l’express) soumis par les hommes de loi de l’ICAC est en phase avec les arguments avancés par les hommes de loi de Pravind Jugnauth. Rappelons que le DPP avait avancé quatre points d’appel devant le Privy Council. Or, l’ICAC, désormais, postule que ces quatre points doivent être ruled en faveur de Pravind Jugnauth.

Cette même communication nous apprend que l’ICAC a maintenant décidé de retenir les services d’un Queen’s Counsel, en la personne de Mr Stuart Denney, QC, des Deans Court Chambers, aux frais des contribuables. Soulignons que ce dernier explique qu’il n’a eu que 36 heures pour que son bureau prépare la nouvelle posture de l’ICAC. Cette correspondance est copiée aux hommes de loi britanniques de Pravind Jugnauth.

Le moins que l’on puisse dire, affirment nos sources, c’est que l’entourage de Pravind Jugnauth a d’ores et déjà sorti l’artillerie lourde pour mettre toutes les chances de son côté, quitte à confirmer que l’ICAC n’est qu’un instrument politique. Que vont désormais penser les Law Lords de ces manoeuvres indécentes, qui risquent, au-delà de la personne de Pravind Jugnauth, de projeter l’image d’une République bananière ?

Parmi les personnes que nous avons contactées, l’on se demande comment une institution, créée par la PoCA, qui avait initié l’enquête et qui avait décidé, par la suite, devant la cour intermédiaire, qu’il y avait matière à poursuites sous l’article 13 de la PoCA, décide, désormais, soudainement, que Pravind Jugnauth a été poursuivi à tort ? C’est ce qu’on appelle un virage à 180 degrés !

Jusqu’ici, peu d’informations filtrent sur le changement drastique de posture de l’ICAC. En effet, comment peut-on expliquer que la commission dirigée par Navin Beekarry ne défende plus l’article 13 de la PoCA, alors qu’elle avait initié toute l’affaire ? Et qu’est-ce qui explique ce changement d’opinion entre le 6 février et le 22 novembre ?

Les deux lettres que Sultan Sohawon a fait parvenir au Registrar du JCPC

En février 2018, la commission avait dit qu’elle n’allait pas intervenir...

 

Or, en novembre dernier, la commission a décidé de se payer un QC et de soumettre des «submissions.»

 

 

La chronologie des événements

<p style="text-align: justify;"><strong>Janvier 2010. </strong>La question du rachat de la clinique Med-Point pour la mise sur pied d&rsquo;un hôpital gériatrique est soulevée.</p>

<p style="text-align: justify;"><strong>18 juin 2010.</strong> Pravind Jugnauth, alors ministre des Finances, se retire de la session du Cabinet présidée par le Premier ministre Navin Ramgoolam, en déclarant ses intérêts dans le dossier de l&rsquo;achat de la clinique MedPoint.</p>

<p style="text-align: justify;"><strong>23 décembre 2010.</strong> Pravind Jugnauth signe le mémo, en tant que ministre des Finances, autorisant le rachat de la clinique MedPoint pour la somme de Rs 144, 701, 300.</p>

<p style="text-align: justify;"><strong>22 septembre 2011. </strong>L&rsquo;ICAC procède à l&rsquo;arrestation de Pravind Jugnauth sous une accusation de conflit d&rsquo;intérêts. Il est poursuivi en vertu de l&rsquo;article 13 (2) de la Prevention of Corruption Act de 2002.</p>

<p style="text-align: justify;"><strong>14 mars 2014. </strong>Le Directeur des poursuites publiques (DPP) indique qu&rsquo;il y a suffisamment de preuves pour que des poursuites soient initiées contre Pravind Jugnauth.</p>

<p style="text-align: justify;"><strong>30 juin 2015.</strong> Pravind Jugnauth est reconnu coupable de conflit d&rsquo;intérêts dans l&rsquo;affaire MedPoint. Les magistrats Niroshni Ramsoondar et Azam Neerooa le condamnent à 12 mois de prison.</p>

<p style="text-align: justify;"><strong>25 mai 2016.</strong> Pravind Jugnauth avait fait appel du jugement devant la Cour suprême. Il est acquitté par le chef juge Kheshoe Parsad Matadeen et le juge Asraf Caunhye.</p>

<p style="text-align: justify;"><strong>22 juin 2017. </strong>La Cour suprême permet au DPP de contester l&rsquo;acquittement de Pravind Jugnauth devant le Conseil privé.</p>

<p style="text-align: justify;"><strong>Mi-décembre 2017. </strong>Le dossier complet ayant trait à l&rsquo;appel du DPP contre l&rsquo;acquittement de Pravind Jugnauth est envoyé au secrétariat du Conseil privé.</p>

<p style="text-align: justify;"><strong>15 janvier 2019.</strong> Le Conseil privé entendra l&rsquo;appel du DPP contre le verdict d&rsquo;acquittement en faveur du Premier ministre dans l&rsquo;affaire MedPoint.</p>