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Saint-Sylvestre: les oubliés de la société n’ont pas le coeur à la fête

30 décembre 2018, 20:15

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Saint-Sylvestre: les oubliés de la société n’ont pas le coeur à la fête

Alors que des milliers de Mauriciens s’apprêtent à accueillir 2019 comme il se doit, pour d’autres, la Saint-Sylvestre sera un jour comme les autres…

La date et le calendrier changeront, mais pas leur quotidien. Solitude, porte-monnaie et ventre vides seront au rendez-vous pour ces oubliés de la société, ceux que la vie a conduit sur le trottoir. Pour eux, le cœur est loin d’être à la fête.

Il est 11 heures en ce vendredi 28 décembre. Les choses s’activent dans les rues de la capitale même si le ciel fait grise mine. Les grands comme les petits s’attaquent au shopping. Les supermarchés grouillent de monde… boissons, nourriture ou encore feux d’artifice, il faut faire le plein pour la soirée du 31.

Christophe Couronne confie qu’il n’a même pas fêté Noël.

Un peu plus loin, du côté de La Saline, à quelques pas à proximité du cimetière, sous un arbre, deux frères : Jose Mario et Sylvain Laboudeuse. La conversation, animée, tourne autour des sujets d’actualité, comme à l’accoutumée. L’un deux est sans domicile fixe alors que l’autre a eu plus de chance et a trouvé refuge chez une sœur dans la localité.

Sirkonstans lavi

Mario, lui, ne sait plus trop quel âge il a. Après 70 ans, il a arrêté de compter. «Mo travay dan simityer apré aswar mo dormi anba bistop», dit-il, le regard perdu dans le vide. Cela fait 10 ans qu’il vit ainsi.

Jadis, il avait une épouse. Une famille. «Nous n’avions pas d’enfant. Sé bann sirkonstans lavi ki finn oulé mo retrouv mwa la.» Attention, n’allez pas croire qu’il s’en plaint. Il a le cœur rempli de gratitude. Parce que la vie lui a offert un frère qui ne le quitte pas d’une semelle.

Sylvain est à ses côtés durant des heures chaque jour. D’ailleurs, il travaille lui aussi dans le cimetière. «Nou fouy tom. Sé enn travay toulézour sa. Nou rési gagn nou ti kas.» Même si ce n’est pas assez pour louer une maison, avoir un toit.

Sylvain a pu trouver un endroit ou dormir à la tombée de la nuit. C’est déjà ça. Toutefois, sa sœur étant elle-même en situation précaire, il doit se faire tout petit. «Limem li dan problem. Dé fwa mo pansé ek mo dir ki mo pa ti bizin enn fardo pou li…» Son frère aîné, lui, préfère vivre seul. «Kan ou tousel ou pli san traka… ou pa bizin dépann lor personn», renchérit Mario.

Leur journée se résume au travail, qui se termine aux alentours 10 h 30 et aux moments passés sous leur arbre, alors que les heures défilent. Fêter le Nouvel An ? Ils n’y ont même pas pensé. Ils esquissent tous deux un sourire gêné. La tristesse prend le dessus. «Ou koné dépi kan nou pa finn manz enn bon manzé?» Ce sera donc un jour comme les autres pour les frères Laboudeuse.

Quid d’un «ti boutey» ? S’ils arrivent à réunir l’argent nécessaire, ils pourront peut-être prendre un verre, histoire d’oublier. «Bizin bwar enn ti grog mem pou latet pa fatigué…»

Léker fermal

Autre lieu, même misère. Christophe Couronne a 33 ans. À le voir, difficile de croire qu’il est SDF. Pourtant, il avoue avoir passé la plupart de sa vie dans la rue. Il a commencé depuis peu à squatter une petite maison en ruine, du côté de La Saline. «C’est toujours mieux que de dormir n’importe où dans la rue.»

Son calvaire à lui a débuté alors qu’il n’était qu’un enfant. Son père est décédé et sa mère étant alcoolique, il fait de nombreux va-et-vient dans des shelters. Parvenu à l’âge adulte, il a préféré faire sa vie loin de sa mère qui, selon lui, le forçait à faire des choses «inacceptables».

Christophe ne veut plus parler de ce passé qui le fait toujours souffrir. «Mwa ek mo ti ser finn konn zis soufrans dan nou lavi. Toutefois, ma sœur a pu se marier et avoir une vie décente. Je suis content pour elle.»

Lui, c’est autre chose. N’ayant pas fait d’études, il doit se contenter de petits boulots ici et là. «Mo fer zis tou. Mo fer manev mason. Mé séki mo pli kontan, sé kwi. Mo konn fer minn, boulett…» Pour pouvoir sortir enfin de cette pauvreté extrême, il aurait souhaité obtenir de l’aide. «Si mo ti kapav gagn enn ti trisik, mo ti pou vann manzé. Ek sa kas-la mo koné mo ti pou kapav trasé pou mo népli viv dan lari.»

Comment Christophe envisage-t-il de passer le réveillon ? Il n’y pense même pas. «Nwel mem mo pa finn fer. Mo ti tousel. Mo pans mo bann zanfan ki lwin. Léker fermal.» Car oui, l’homme de 33 ans a deux enfants en bas âge qui sont actuellement à Rodrigues. Il est séparé de leur mère. Le 31 décembre, il ne sait même pas s’il pourra «alim enn ti foyé pou kwi enn ti zafer. Kan ariv zour-la nou geté ki kapav préparé. Leker-la népli la pou fer fet…»