Publicité

L’Allemagne dit adieu à la houille et à ses «gueules noires»

21 décembre 2018, 19:31

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

L’Allemagne dit adieu à la houille et à ses «gueules noires»

 

Les «gueules noires» de la Ruhr plongent une dernière fois vendredi dans leur houillère de Bottrop. Une page majeure de l’histoire allemande se tourne, faite de solidarité ouvrière et de cathédrales industrielles désormais obsolètes.

Après des semaines de documentaires et d’éditions spéciales, tout le pays pourra suivre à la télévision à partir de 16H00 (15H00 GMT) cet adieu solennel à la houille, en présence du président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker et du président allemand Frank-Walter Steinmeier.

«Glückauf Kumpel!»: vêtus de leurs casque et uniforme blanc, les mineurs se lanceront un ultime «Bonne chance camarade!», leur phrase rituelle lorsqu’il fallait percer une «veine» et conjurer le danger toujours présent.

Puis ils remonteront un dernier bloc de charbon, «l’or noir» allemand envoyé aux oubliettes par la houille étrangère à bas coût, pendant que la chorale charbonnière de la Ruhr entonnera le Steigerlied, l’hymne traditionnel des mineurs.

Les galeries creusées pendant 150 ans, soit six générations de mineurs, à la pioche puis à la foreuse, seront ensuite scellées et progressivement noyées par les eaux de ruissellement.

Depuis onze ans déjà, les 1.500 salariés de la fosse de Prosper-Haniel se préparaient à cette fermeture annoncée, dans une Ruhr qui a compté jusqu’à 600.000 mineurs après la Seconde guerre mondiale.

- Usant et risqué -

Dès jeudi, les églises et cathédrales de la région ont organisé des messes dédiées alors que les clubs de football rhénans, Dortmund et Schalke en tête, ont rendu hommage avant les rencontres à leurs racines minières.

Car les hauts fourneaux qui se dressaient sur les collines rhénanes depuis le XIXe siècle et ces mines descendant jusqu’à 1.500 mètres sous terre représentaient bien plus qu’un outil de travail.

«Au fond», il y avait une société ouvrière et masculine avec son jargon, son entraide, ses échanges sans détour et sa passion pour le foot, qui se prolongeait à l’église et au comptoir des «Kneipe» (bistrots).

Mais derrière cette solidarité, il y avait aussi un labeur usant et risqué. Le «coup de grisou» dans une mine tchèque, qui a tué jeudi 13 mineurs, est venu à nouveau rappeler combien ce métier est dangereux.

Le quotidien Bild dressait jeudi le portrait d’un ouvrier décédé lundi lors du démontage d’une fosse d’anthracite à Ibbenbüren, et a publié vendredi un supplément consacré à cette fermeture, avec des portraits des mineurs et en Une un grand «Merci pour le charbon».

«Merci !», a également écrit vendredi sur Twitter le ministre allemand de l’Economie, Peter Altmaier. «Nous devons énormément de choses aux mineurs: chaleur, prospérité et sécurité», a-t-il déclaré.

- Soif de lignite -

Dans la Ruhr, déjà frappée par le déclin de son autre fierté industrielle, la sidérurgie, une difficile reconversion s’annonce, doublée d’une mise en valeur touristique des anciens sites.

Depuis que Berlin a programmé en 2007 la fermeture des houillères, les autorités rhénanes tentent de faire du bassin minier un pôle de compétitivité, dense en universités, centres de recherche et start-ups.

Et pour éviter un choc trop brutal, l’Allemagne a subventionné les mines, avec au total 40,15 milliards d’euros depuis 1989. 2,7 milliards supplémentaires sont prévus d’ici 2022 pour accompagner la transition.

Mais l’adieu à la houille est toutefois loin de signifier l’abandon du charbon.

Près de 40% du mix électrique allemand repose encore sur ce minerai, sous ses deux formes: la houille importée et plus encore son cousin très polluant et bon marché, le lignite.

Le pays compte ainsi plusieurs immenses mines de lignite à ciel ouvert. Et les centrales au charbon venues d’Australie ou de Chine turbinent à plein régime, y compris dans la Ruhr.

La première économie européenne est en effet lancée dans une transition énergétique périlleuse, et a besoin du charbon pour accompagner la sortie du nucléaire, tandis que la montée en puissance des renouvelables pose des problèmes de transport et de stockage.

Produire de l’énergie «avec uniquement le soleil et le vent, nous ne pourrons pas le faire avant un moment», admet Bernd Tönjes, dirigeant de l’entreprise qui doit fermer la mine, dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung.

Pressé par ses engagements climatiques, le gouvernement dévoilera début février les grandes lignes de son plan d’abandon progressif du charbon, pour l’heure attendu à l’horizon 2050.