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La Réunion: les gilets jaunes maintiennent la pression

29 novembre 2018, 09:00

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La Réunion: les gilets jaunes maintiennent la pression

«Pa met podium, pou al met li an ler la ein.» St-Denis, La Réunion, 7 heures du matin, hier. Dans la foule, où les gilets jaunes prédominent, une voix, celle d’un homme, s’élève. Elle vient des tripes. Sa réaction, exprimée en créole réunionnais, survient après la proposition d’installer un podium pour Annick Girardin, ministre des Outre-mer, qui devait s’adresser à la foule, au rond-point de Gillot, à cinq minutes de l’aéroport, quelque trois heures plus tard. Soit tout juste après sa descente d’avion. Ce sera sa première rencontre avec des gilets jaunes réunionnais, devant un barrage, à leur douzième jour de manifestation…

La foule attend la ministre de pied ferme. Corruption, inégalités, baisse du pouvoir d’achat, pauvreté… Ce sont les mots qui reviennent le plus lors des diverses interventions. Les discours sont les mêmes, les expériences différentes. Parmi les gilets jaunes, l’on distingue beaucoup de femmes. Le poing en l’air, elles ne se tairont pas. «Mais madame, ce sont nous les mères de famille. Ce sont nous qui remplissons le chariot à chaque fin de mois», répond à l’express une secrétaire employée dans une mairie de l’île. En plus, rajoute-t-elle, avec le taux de chômage en hausse, même si ses enfants sont adultes, elle les soutient toujours financièrement.

La précarité, la sensation d’être laissés pour compte provoquent un sentiment de ras-le-bol. Mais il ne s’agit pas, pour la foule, de se laisser prendre par les émotions – il faut présenter sa plaidoirie de façon posée et articulée à la ministre. Le mot d’ordre est donné par quelques têtes pensantes qui sortent du lot, de par leur discernement : respect.

Droit à la parole

Respecter le droit à la parole de l’autre, ne pas se laisser gagner par ses émotions… aussi viscérales soient-elles. En trois heures, la foule grossit à vue d’oeil. Un défilé de motocyclistes, vêtus de leurs gilets jaunes, fédère la foule. Ces gilets jaunes partagent entre eux une franche camaraderie, presque soulagés d’être unis dans l’incertitude du lendemain, la souffrance, le ras-le-bol. Une unité qui insuffle l’espoir. L’espoir que les choses vont changer…

Une unité qui oscille aussi entre espérance et colère. Et c’est cette dernière qui dominera à l’arrivée de la ministre – la colère. Le sentiment d’injustice refait surface. La foule se jette sur Annick Girardin, histoire de se faire entendre. Entourée d’une armada de policiers en civil, la ministre des Outre-mer esquisse un sourire. Dans une tentative de paraître confiante de convaincre la foule. Un vain effort. La foule ne se laissera pas amadouée, pas aujourd’hui. La ministre se fera même huée.

«Nous entendons dire qu’en métropole, nous ne serions que 3 000 chômeurs qui manifestent. On va vous montrer qui nous sommes», lance un homme, qui s’est emparé du micro. Tour à tour, jeunes, chômeurs, cadres du privé, mères de famille, entrepreneurs, fonctionnaires, personnel médical se succéderont…

Ils ont tous un vécu différent, des revendications différentes mais se sentent tous «délaissés par la République». «Le 15 du mois, nous n’avons plus un sou. Nous n’arrivons pas à nourrir nos enfants», déplorent plusieurs mères au foyer. Alors que David, un entrepreneur, doit travailler jusqu’à 12 heures par jour pour ensuite dépenser ses revenus sur les taxes.

Mais c’est surtout la différence entre la métropole et La Réunion qui dérange. «Le salaire médian en métropole est de 1 650 euros, alors qu’ici, il est de 1 150 euros. Où sont passés nos 500 euros ?» se demande Stéphane, un jeune professionnel, à la ministre des Outre-mer. Surtout que, souligne-t-il, le coût de la vie est beaucoup plus élevé à La Réunion qu’en métropole. «Sans compter que 20 % de la population réunionnaise la plus riche touche 42 % des revenus, presque la moitié», déplore-t-il.

Un autre jeune déplore la politique de «one size fits all» d’Emmanuel Macron. «Sa politique fiscale qui marche en France tue nos petites et moyennes entreprises !» soutient-il. Il exige aussi plus de transparence autour de l’importation. «Il y a une vraie mafia ! Il faut absolument lancer des contrôles sur la taxe de l’octroi de mer et la marge des profits des importateurs.»

Face à ces requêtes, Annick Girardin a été à l’écoute. Elle ne pouvait faire autrement. Mais elle n’a pas convaincu la foule. Lorsqu’elle lui demande d’enlever les barrages, la réponse des gilets jaunes est unanime : pas avant des résultats tangibles…

 

Morgane, 23 ans: «Je demande au peuple de ne rien abandonner»

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	<figure class="image" style="display:inline-block"><img alt="" height="330" src="/sites/lexpress/files/images/morgane-gustave.jpg" width="620" />
		<figcaption>Morgane Gustave, 23 ans, étudiante à l&rsquo;école d&rsquo;infirmières.</figcaption>
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Sac au dos, baskets aux pieds, sans oublier l’incontournable gilet jaune, elle faisait partie des manifestants regroupés devant la préfecture de St-Denis, hier. Elle, c’est Morgane Gustave, 23 ans, étudiante à l’école d’infirmières. Elle tend une oreille attentive à un des orateurs qui demande à ses pairs de se rendre devant Réunion 1ère, où la ministre Annick Girardin «s’est rendue à la sauvette», à l’issue des consultations qu’elle a eues avec des représentants des gilets jaunes, entre autres, à la préfecture. «Allez-vous les suivre ?», nous lui avons demandé. «Nous ne devons pas abandonner. Je demande au peuple de ne pas abandonner, sinon tout ce qu’on a fait n’aura servi à rien», réplique-t-elle tout de go. La jeune femme dit participer à la mobilisation depuis le premier jour, soit le samedi 17 novembre. Durant ces 12 jours de crise sociale, elle était, elle, à son quatrième déplacement pour soutenir cette indignation citoyenne. Une fois au barrage de Port-Est et trois fois devant la préfecture. Hier, elle y était, avec ses parents, avec qui elle dit partager les mêmes revendications. Pour Morgane, si elle ne fait pas entendre son mécontentement maintenant, après, il sera trop tard. Concrètement, elle réclame une baisse des taxes diverses, des impôts et, surtout, de l’octroi de mer, qui est une taxe imposée à La Réunion sur les produits importés. «Ce n’est pas possible qu’un pack de yaourts, qui coûte 2 euros 15 centimes en métropole, coûte 4 euros 99 centimes ici, en promotion !»

 

 

<p style="text-align: justify;">Jérôme d&rsquo;Export-Grondin: &laquo;Y&rsquo;en a marre que la mairie prenne le crédit pour notre travail&raquo;</p>

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	<figure class="image" style="display:inline-block"><img alt="" height="330" src="/sites/lexpress/files/images/jerome-dexport-grondin.jpg" width="310" />
		<figcaption>Jérôme d&rsquo;Export-Grondin est très actif auprès des jeunes de son quartier.</figcaption>
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Il ne travaille pas, mais Jérôme d’Export-Grondin est très actif auprès des jeunes de son quartier. Il les accompagne. «Y’en a marre que nous nous travaillons pour les jeunes et après quand il faut prendre des photos, on voit la mairie. C’est la mairie qui prend le crédit pour notre travail», lance-t-il. Sur le plan personnel, Jérôme d’Export-Grondin est chômeur. Et la précarité le touche personnellement. C’est pour cela que quand l’idée d’une mobilisation se forme sur les réseaux sociaux, il se déplace le matin même sur un carrefour pour y créer un barrage. «Il faut que ça cesse», assène-t-il. Il pense aussi aux jeunes qu’il accompagne. Le taux de chômage ne cesse d’augmenter, ainsi que le coût de la vie, dit-il. D’ailleurs, le jeune homme a été invité à représenter les gilets jaunes lors d’une rencontre avec Annick Girardin. Ce dernier a fait forte impression aux autres manifestants pendant cette rencontre retransmise en direct.

 

 

Tati Renée: «J’ai travaillé toute ma vie et ma retraite est un enfer»

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		<figcaption>Renée Cathay, alias Tati Renée, a 75 ans.</figcaption>
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Renée Cathay, alias Tati Renée, a 75 ans. À cet âge, elle s’attendait à ce dont on lui avait promis. Soit une vie de retraitée douce et sans tracas. Mais cette ancienne cuisinière est bien loin du compte. Avec ses quelque € 400 à chaque fin de mois, celle qui a trois enfants et des petits enfants ne cesse de se battre contre la précarité. «Tous les jours, c’est un tracas. Tous les jours, c’est une bataille contre les impôts, les mutuelles. Il ne nous reste rien», lâche-t-elle. La septuagénaire exprime son soulagement devant une prise de conscience collective. «Il était temps que nous nous montrions solidaires !» Et elle n’aurait raté cela pour rien au monde. Tati Renée s’est réveillée aux aurores pour accompagner sa nièce au barrage de Gillot, près de l’aéroport. Ce qui lui plairait ? Une meilleure retraite, mais surtout qu’on redonne aux citoyens réunionnais leur pouvoir d’achat pour qu’ils puissent vivre et pas seulement survivre.

 

 

Alexia Guillaume, 38 ans: «Une réponse concrète ou ce sera la révolution»

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	<figure class="image" style="display:inline-block"><img alt="" height="330" src="/sites/lexpress/files/images/alexia-guillaume.jpg" width="620" />
		<figcaption>Alexia Guillaume, une hadicappée de 38 ans.</figcaption>
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Elle a quitté sa maison à Bras-Panon à 3 heures du matin, hier, pour être à l’heure au barrage de Gillot, avant l’arrivée de la ministre Annick Girardin. Alexia Guillaume, une hadicappée de 38 ans, a tenu à faire partie de ces gilets jaunes et veut à tout prix faire entendre ses revendications à la ministre des Outre-mer. Pour cela, elle a couché toutes ses doléances sur le papier, la veille au soir. Comme elle n’a pas eu l’opportunité de s’exprimer au barrage de Gillot, elle s’est présentée à la préfecture, où la ministre Annick Girardin a fait escale hier. Ce, munie de son précieux document.

D’ailleurs, lors de l’entretien devant la préfecture, Alexia a ressorti cette longue liste de revendications de son sac pour nous en parler. On en retient, entre autres, une augmentation des plus bas salaires par 1 500 euros minimum, une baisse de 50 % des prix des produits de première nécessité, application d’un même prix pour les produits locaux comme en France, des soins médicaux gratuits pour les plus vulnérables comme les personnes à besoins spéciaux, les personnes âgées et celles à mobilité réduite.

Annick Girardin vous a-t-elle écouté ? nous lui avons demandé. «Tout va dépendre du bon vouloir de madame. Elle m’a écouté d’une oreille. J’attends une réponse concrète ou ce sera la révolution, la guerre civile. C’est une révolte pour le moment, mais on s’y approche», affirme Alexia Guillaume.

 

Anne-Lise Mestry & Karen Walter (de La Réunion)