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Swadicq Nuthay: Il est faux de croire qu’il faut attirer le maximum de FDI pour générer une meilleure croissance»

22 novembre 2018, 09:59

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Swadicq Nuthay: Il est faux de croire qu’il faut attirer le maximum de FDI pour générer une meilleure croissance»

Swadicq Nuthay s’invite dans la problématique du moment autour de la croissance économique et la baisse des exportations. Ce sont surtout les composantes des investissements directs étrangers (FDI) qui doivent intéresser les autorités. Et l’économiste d’ajouter que le monde n’est pas à l’abri d’une nouvelle crise.

On assiste actuellement à une polémique entourant le taux de croissance entre MCB Focus et le bâtiment du Trésor, plus spécifiquement l’Economic Development Board. Quelle lecture faites-vous ?
Les projections de croissance économique reposent sur des hypothèses et des estimations de l’évolution future des facteurs de production qui sont sujets à des variations constantes. Donc, c’est loin d’être une science exacte. La croissance économique désigne la variation positive de la production de biens et de services dans une économie sur une période donnée, généralement une période longue. Et l’indicateur le plus utilisé pour la mesurer est le produit intérieur brut (PIB).

Sincèrement, je ne comprends pas trop ce débat autour de ce sujet. Pour moi, les composantes de la croissance économique sont bien plus importantes que le quantum. Sans négliger le rôle de l’ensemble des facteurs de production, nous devons privilégier une croissance davantage axée sur le progrès technique et l’innovation. Sur le long terme, seul le progrès technique et l’innovation sont capables de rendre plus productive une économie et lui permettre de produire plus, c’est-à-dire d’avoir de la croissance.

La baisse des exportations est diversement commentée actuellement. MCB Focus y voit une source d’inquiétude alors que l’EDB repousse d’un revers de la main cette analyse, affirmant que cette situation est liée à la transformation des industries traditionnelles du pays. Qu’en pensez-vous ?
Tout l’écosystème du secteur manufacturier a changé pendant plus d’une décennie. Les acheteurs ne détiennent plus de gros stocks avec, pour résultat, un manque de visibilité pour les opérateurs. De plus, l’avènement de l’e-commerce, voire des achats en ligne, a complètement changé le business model de ce secteur.

Par ailleurs, la grosse majorité de nos opérateurs sont des entreprises familiales qui ont un accès limité aux marchés de capitaux et qui ont jusqu’ici eu recours principalement à leurs propres ressources et aux banques commerciales pour financer leurs opérations et investissements.

Vu que cette industrie est considérée comme étant à haut risque, les banques sont réticentes à augmenter leur exposition à ce secteur. Résultat des courses : nombreuses sont ces entreprises qui n’ont pas investi dans de nouveaux équipements et autres technologies de pointe. Avec comme conséquence une baisse de productivité et de compétitivité à tous les niveaux.

L’EDB s’est fixé comme objectif d’attirer des investissements de l’ordre de Rs 250 milliards d’ici les dix prochaines années. Est-ce un objectif réalisable même dans les moyen et long termes ?
À mon avis, bien plus que le quantum d’investissements directs étrangers (FDI) qui atterrissent dans le pays, c’est beaucoup plus les composantes de ces investissements qui doivent nous intéresser. Car c’est une mauvaise conception de croire qu’il faut à tout prix attirer le maximum d’investissements directs étrangers pour générer une meilleure croissance.
 
Nous devons privilégier non seulement une stratégie pour attirer des investissements étrangers directs dans des secteurs à haute valeur ajoutée mais également attirer des talents et professionnels étrangers qui viendront apporter leur expertise au développement du pays. Comme mentionné plus tôt, dans le long terme, seulement le progrès technique et l’innovation sont capables de rendre plus productive une économie.

Revenons à l’international avec dix ans de crise financière. Où en sommes–nous aujourd’hui ? Le monde est-il à l’abri d’une nouvelle crise ?
Nous avons aujourd’hui deux sources d’inquiétude. La première est le niveau d’endettement qui n’a cessé d’augmenter à travers le monde, pas seulement au sein des économies émergentes mais aussi au niveau des pays développés où des sous-secteurs, comme l’industrie du schiste aux États-Unis ou le secteur du logement en Australie, qui sont fortement endettés. La seconde relève de la politique des banques centrales.

Mais il n’y a pas que ces deux problèmes. Car il y a parallèlement le taux d’intérêt qui a connu de fortes hausses aux États-Unis. Les dernières indications montrent que la Federal Reserve Bank continuera à hausser le taux d’intérêt lors des prochains trimestres. Toutes ces variables pointent vers un fait : le monde se dirige vers des lendemains difficiles pour des entités et des pays déjà financièrement dans le rouge. Les choses se préciseront au fur et à mesure que nous avançons.

Malgré les difficultés auxquelles font face les pays émergents, la réalité est qu’une grosse part de la croissance mondiale est tirée par ces pays. La croissance des économies des pays développés ne peut pas être découplée de la croissance économique des pays émergents.

Il existe une illusion temporaire qui amène certains à penser que les pays industriels se développent plus solidement et qu’une telle croissance ne dépend pas de celle enregistrée dans des marchés émergents. Cette posture sera appelée à être démolie si les pays émergents commencent à montrer des signes de ralentissement.

Tout compte fait, l’économie mondiale est plus fragile qu’elle ne l’était il y a dix ans.

Estimez-vous que l’économie mondiale soit au bord d’une nouvelle crise ?
Il y a au moins quatre raisons qui peuvent démontrer que l’économie est confrontée à une nouvelle crise.

En premier lieu, il y a le taux d’endettement énorme auquel l’économie mondiale est confrontée aujourd’hui. Cela a d’ailleurs été confirmé par la Banque des règlements internationaux qui n’a cessé de tirer la sonnette d’alarme ces derniers temps. Ce n’est pas que le montant de dettes publiques et privées est inquiétant mais la détérioration de la qualité de ces dettes l’est.

Certains chiffres à cet effet sont effrayants. À l’instar de la dette globale qui à la fin de décembre 2017 se chiffrait à USD 237 trillions contre USD 167 trillions en 2007, soit une hausse de 42 % de celle qui prévalait avant la crise de Lehman Brothers, selon l’Institut de finance internationale. Idem pour le ratio de la dette publique aux États-Unis qui a augmenté aujourd’hui à plus de 105 % du PIB comparé à 65 % en 2008, avec des projections qu’elle continuera à grimper. Dans la zone euro, la dette a aussi pris l’ascenseur, comme en Espagne à 98 % du PIB ou en Italie à 130 % du PIB.

Ensuite, il y a le programme d’assouplissement quantitatif qui a laissé des actifs record de USD 15 trillions aux banques centrales et d’espace limité pour une politique monétaire robuste face à un nouveau choc économique. 

On relève aussi que la politique centriste, très forte dans certains pays en 2008, a cédé depuis dans toutes les principales économies mondiales, laissant la place à un populisme d’extrême gauche et d’extrême droite.

Enfin, il y a quelque part une chute au niveau de la confiance et d’un affaiblissement dans l’ordre international. La preuve est les États-Unis, qui ne poursuivent pas seulement une politique de la «chaise vide» dans des forums internationaux comme le G-7 et le G-20, mais qui adoptent également une stratégie d’intimidation vis-à-vis de certains pays dans le monde.

Doit-on comprendre, selon votre analyse, que le monde n’a pas changé depuis la chute de Lehman Brothers ?
Quelque chose a certes changé. La crise financière a certes donné une nouvelle impulsion à des devises alternatives et des véhicules d’investissement comme le bitcoin et d’autres crypto-monnaies qui se développent dans un environnement caractérisé par une perte de confiance dans le système financier conventionnel.

Je dois ajouter qu’octobre 2018 a marqué le dixième anniversaire de l’avènement de bitcoin, né incognito quelques mois après la faillite de Lehman Brothers, évaluée aujourd’hui à plus de USD 110 trillions.

Justement, on parle beaucoup ces derniers temps de la crypto-monnaie, dont le bitcoin. Comment évaluez-vous son importance aujourd’hui ?
La crypto-monnaie ou, plus particulièrement, le bitcoin, a des propriétés qui s’imposent à l’échelle mondiale : il est sans frontière, décentralisé et potentiellement capable de changer positivement la sphère financière et économique. Aujourd’hui, il n’a pas seulement une valeur d’échange mais il est aussi utilisé comme une classe d’actif. Il est utile parce qu’il a été construit sur des protocoles ouverts, ce qui signifie que toute personne peut l’innover et l’améliorer pour mieux intégrer dans le système.

Ce qui m’amène à souligner qu’aujourd’hui, avec la crypto-monnaie, nous quittons l’économie traditionnelle basée sur des réseaux centralisés pour passer à une autre basée sur un système décentralisé.

Entre-temps, non seulement la valeur du bitcoin a connu une hausse exponentielle mais il a aussi permis le développement d’autres crypto-monnaies. Aujourd’hui, tout un écosystème est en train de se développer à travers le monde.

À Maurice aussi, on assiste à une phase de développement de la crypto-monnaie. La FSC a déjà émis un livre blanc sur le «digital asset» incluant la crypto-monnaie.

L’écosystème est en ébullition et sans nul doute cela représentera une fenêtre de développement colossal pour notre secteur financier.

Et quid de la technologie blockchain et de son rapport avec le bitcoin ?
Il est clair que la blockchain est l’avenir. Elle pourrait révolutionner plusieurs secteurs de l’économie, à commencer par les services financiers et bancaires.

Pour faire simple, la blockchain est une technologie permettant de stocker et transmettre des informations de manière transparente, sécurisée et sans organe central de contrôle. Elle ressemble à une grande base de données qui contient l’historique de tous les échanges réalisés entre ses utilisateurs depuis sa création. La blockchain peut être utilisée de trois façons : pour le transfert d’actifs (monnaie, titres, actions…), pour une meilleure traçabilité d’actifs et produits et pour exécuter automatiquement des contrats.

Le bitcoin est le cas d’usage le plus connu de la blockchain. Il a été créé en 2008 par un certain Satoshi Nakamoto. Il désigne à la fois un protocole de paiement sécurisé et anonyme et une crypto-monnaie. N’importe qui peut accéder à cette blockchain et donc utiliser des bitcoins. Pour ce faire, il suffit de créer un portefeuille virtuel, téléchargeable sur les stores d’applications. La crypto-monnaie permet d’acheter des biens et services et peut être échangée contre d’autres devises.

À Maurice, la technologie blockchain est à une étape embryonnaire. Certes, les perspectives de développement sont réelles avec des implications positives pour l’économie du pays. Nous pouvons attirer les développeurs et experts dans ce secteur et faire de Maurice le ‘hub’ pour l’Afrique. L’Afrique a un appétit gigantesque pour la Fintech et la technologie basée sur la blockchain.