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Surendra Bissoondoyal: «On donne priorité aux académiciens sans valoriser l’expérience»

22 novembre 2018, 00:40

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Surendra Bissoondoyal: «On donne priorité aux académiciens sans valoriser l’expérience»

Les cours d’ingénierie de la Rushmore Business School font à nouveau débat. La TEC vient de nommer les membres du comité indépendant chargé de l’enquête sur l’accréditation. Quelles en seront les retombées ? Pourquoi les instituts tertiaires se retrouvent souvent au centre des crises ? Surendra Bissoondoyal, président de la TEC, s’explique. 

La TEC a nommé Patrice Doger de Spéville à la tête du comité indépendant sur l'accrédition de la Rushmore Business School pour ses cours d’ingénierie. Donc, vous soupçonnez bien des irrégularités ?
À la Rushmore Business School, des irrégularités ont été évoquées. Franchement, nous ne savons pas. Peut-être que c’est une bonne chose. S’il y en a eu, il faut qu’un comité indépendant se penche dessus, d’où la nomination de Patrice Doger de Spéville et ses assesseurs pour le présider. Le travail va commencer incessamment. Le délai fixé est d’environ un mois. 

Que reprochez-vous au juste aux officiers d’accréditation ?
Nous avons commencé avec le board de la TEC en mars 2015. Donc, on ne sait si «l’irrégularité» s’est produite avant ou après. Mais ni moi ni les membres du board ne savons ce qui leur est reproché. On a demandé au directeur, mais il n’a pas répondu clairement…

Quel directeur ? 
Celui de la TEC. En même temps, l’accréditation ne se fait pas au petit bonheur. Une demande est d’abord faite par l’institution selon des critères établis sur les infrastructures, les chargés de cours, etc. Des officiers d’accréditation en sont responsables. Mais ce ne sont pas eux qui décident. La TEC dispose d’un sous-comité composé de trois membres, dont Michael Atchia à la présidence. Ils épluchent toute la documentation et font des recommandations au comité de la TEC. Si les critères sont remplis, l’accréditation est allouée pour une année. Et ce, même si le programme dure trois ans.
 
Que se passe-t-il après un an ? 
Nous observons la performance de l’établissement pendant une année. Et si tout fonctionne bien, nous accordons l’accréditation pour les années correspondant à la durée du cours. L’établissement doit en faire la demande une nouvelle fois. Pour revenir à la Rushmore Business School, le programme en ingénierie n’a pas été conçu par l’établissement lui-même. En fait, il émane de la Leeds Beckett University, en Angleterre, et est dispensé par la Rushmore. Cette université étrangère a aussi un droit de regard dessus. 

Donc, pour la polémique entourant la Rushmore Business School, votre comité enquêtera pendant un mois. Et après, son rapport finira-t-il dans un tiroir ? 
Non… jamais… pas du tout. Le rapport du comité sur la Rushmore sera publié sur notre site web, comme nous l’avons d’ailleurs annoncé pour l’institution du comité indépendant. Certains des officiers d’accréditation sont toujours à la TEC, tandis qu’environ deux ne sont plus en service. Je ne sais si le comité ira les chercher. D’après moi, le problème se situe ailleurs…

Mais le problème, il est où ? 
Tous ces cours en médecine, ingénierie, droit, notamment, nécessitent l’enregistrement auprès des professional bodies. Si on a complété un BSC entre autres programme, cela ne veut pas dire qu’on peut déjà exercer la profession. Il y a un «council» qui devra procéder à un examen ou exigera certaines qualifications. Il déterminera alors si ces étudiants sont aptes à travailler comme professionnels. Avec une accréditation pour un cours, cela ne veut pas dire qu’on est déjà avocat, ingénieur… Alors que si on fait un BA en français ou un BSc en mathématiques, le problème ne se pose pas. On peut intégrer l’emploi immédiatement. 

Au sein de la TEC, il subsisterait des conflits sur le leadership notamment. Vous demeurez le seul commandant à régner ? Quel est le rôle de Sid Nair, directeur exécutif de la TEC, dans le fond ? 
Chaque pays possède son propre management. Un Mauricien connaît tous les rouages et règlements. Donc, qui peut faire quoi ? À Maurice, nous avons un board qui est l’autorité suprême de la TEC, par exemple. Il y a un Chairman et 7-8 membres. Toute décision importante revient au comité. Et le Chief Executive Officer (CEO) l’exécute. Quand on prend un étranger, peut-être que dans le pays où il exerçait, il n’y avait pas de board mais d’autres structures. En principe, à l’étranger, comme dans le secteur privé à Maurice, un CEO a beaucoup plus de pouvoir. 

Je ne suis pas l’unique commandant. Personne ne peut l’être. C’est le board qui décide. Le rôle du directeur exécutif est de voir les décisions et comment les mettre en œuvre. Évidemment, ce n’est pas un clerk. Il donne son avis lui-aussi. Pourquoi avons-nous recruté quelqu’un de l’extérieur ? Pour avoir une vue de ce qui se passe dans le monde pour améliorer notre système. 

Cette année, plusieurs bras de fer ont eu lieu entre l’ancienne directrice de l'université de Technologie (UTM) et le syndicat des employés. Après son départ, la situation ne semble pas être désamorcée. Pourquoi cette université et les instituts tertiaires locaux sont souvent en crise ?
Je n’appellerai pas cela une crise. Dans tout institut sujet à la démocratie, il y a des student unions et staff unions qui font souvent des demandes. Dans le cas de l’UTM, cela a été fait à la hâte. On a pris deux ou trois instituts distincts qu’on a mis ensemble. Quelqu’un m’a récemment dit que les problèmes restent les mêmes là-bas. Je ne sais quelles sont les anomalies internes. Si les étudiants et personnel voulaient la tête de la directrice, maintenant qu’elle est partie, la situation aurait dû s’améliorer. 

Pour les autres institutions locales, il y a deux aspects. Premièrement, Maurice est un tout petit pays où on magnifie toujours les problèmes. Deuxièmement, il y a un manque de vrai management. On donne priorité aux académiciens sans valoriser l’expérience. 

Le Quality Audit commandité par la TEC sur l’UTM avait confirmé de graves manquements en juin 2018. Votre rapport a-t-il changé les choses ?
On a informé l’institution des manquements observés. On leur donne le temps pour y remédier. Pour l’UTM, on n’a pas encore revu l’état des choses. D’ailleurs, les choses vont bientôt changer…

Et comment ? 
La TEC fait l’accréditation et l’audit à la fois, ce qui n’est pas une très bonne chose. Avec le Higher Education Bill, présenté au Parlement en novembre 2017, nous disposerons d’une part de la Higher Education Commission, et d’autre part, de la Quality Assurance Authority. Celle-ci se chargera exclusivement de l’audit et agira en toute indépendance.

D'innombrables universités étrangères s’implantent à Maurice mais souvent n’arrivent pas à assurer les services. Prenez-vous des sanctions contre les contrevenants ?
Bien sûr. Si elles ne fournissent pas le service promis à la base, elles doivent fermer boutique. On ne peut faire une école de médecine avec juste quatre salles de classe. D’ailleurs, il manque un teaching hospital à Maurice. À ce propos, Médine a un projet pour une école de médecine avec un hôpital également. À Montagne-Blanche, l’Anna Medical College dispose de médecins à la direction et entend travailler à proximité de l’hôpital de Flacq. Ce type de structures contribuerait à l’internship. 

Justement, au chapitre de la médecine, le D. Y. Patil avait des étudiants qui exerçaient la médecine sans enregistrement avec le Medical Council. Idem pour l'UTM avec ses diplômes sans faculté de médecine. Sans oublier la Mauras School of Dentistry. Comment laisse-t-on de tels instituts mettre en péril l'avenir des jeunes ? 
C’est malheureux. Ce n’est pas correct. Ce sont les étudiants qui en pâtissent. Mais on peut les rediriger vers d’autres instituts tertiaires. Le contrôle existe. Par exemple, la TEC va sur place pour voir comment ils dispensent les cours dans la pratique comparé à ce qu’ils avaient mentionné en théorie au moment de la mise en place. D. Y. Patil, par exemple, était bien équipé mais ne disposait que de 3 à 4 salles de classe à Ébène. Mauras est parti car les diplômes n’étaient pas à la hauteur. 

Il faut être plus sévère maintenant avant de donner l’autorisation à certaines institutions pour offrir des formations professionnelles incluant l’ingénierie, la médecine etc. Le système de contrôle s’est amélioré. Peut-être qu’il y a encore des manquements. S’il y a plus de contrôle, tant mieux. Il faut aussi mieux former les gens, notamment pour devenir Accreditation Officer ou encore Quality Control Auditer. 

Arrivés à terme, les programmes tertiaires sont souvent obsolètes, engendrant plus de chômage des diplômés. Comment améliorer la situation de l'enseignement supérieur ?
Au Singapour, lorsque les étudiants terminent le cycle secondaire, 25 % vont à l’université et 40 % intègrent les polytechniques. À Maurice, nous n’avons que trois instituts polytechniques. Et pour l’université, seule 2 à 3 % y sont inscrits. À l’université de Maurice, le taux d’inscription est moins de 10 000. Et pour les autres établissements tertiaires, cela avoisine les 10 000. Il faut surtout miser sur les filières technologiques qui sont dominantes dans le monde du travail. Cela ne veut pas dire que tout le monde doit devenir IT professional. Mais chaque métier dispose de ces éléments et il faut les intégrer dans la formation. 

 

 

Bio express

<p style="text-align: justify;"><strong>Lauréat du collège Royal de Port-Louis en 1956, Surendra Bissoondoyal a effectué un BSc Honours en Mathématiques en Angleterre. À son retour en 1965, il devient enseignant. Rejoignant le <em>Teachers Training College</em>, il suit une formation de six mois en Australie, suivi d&rsquo;un diplôme en administration de l&rsquo;éducation à la <em>Leeds University.</em> De 1975 à 1984, il est secrétaire au Mauritius Institute of Education. Ensuite, il dirige le <em>Mauritius Examinations Syndicate</em> jusqu&rsquo;en 1997, où il prend sa retraite. De 1988 à 2005, il a été pro-chancelier et chairman du conseil à l&rsquo;Université de Maurice. Ancien conseiller au ministère de l&rsquo;Éducation de 2000 à 2005, il est à la présidence de la TEC depuis 2015.&nbsp;</strong></p>