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Rosemond Saminaden: «Aucune compensation ne pourra effacer la souffrance d’un peuple déraciné»

17 novembre 2018, 10:56

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Rosemond Saminaden: «Aucune compensation ne pourra effacer la souffrance d’un peuple déraciné»

Rosemond Saminaden, dit Ti Frer, est une figure respectée de la communauté chagossienne. À 82 ans, la sagesse incarnée du GRC est toujours à la pointe du combat pour la reconnaissance de son peuple.

C’est un octogénaire en très bonne forme qui nous accueille chaleureusement dans sa coquette demeure, à Morcellement Îlois, à Baie-du-Tombeau. Calé dans son fauteuil sous sa petite varangue, Rosemond Saminaden suit la retransmission des débats parlementaires à la radio. Notre hôte est friand de politique.

Il admet qu’à partir des années 80, plusieurs politiciens ont apporté leur aide au peuple chagossien, mais à chaque fois, on n’est pas allé jusqu’au bout. La dernière initiative est de sir Anerood Jugnauth. Et Rosemond Saminaden lui en est reconnaissant.

Le plus âgé du Groupe réfugiés Chagos (GRC) faisait partie des délégations qui s’étaient rendues aux Nations unies, à New York, et par la suite à La Haye. C’est avec émotion qu’il se remémore les plaidoyers des défenseurs de la cause chagossienne devant les instances onusiennes. «Aucune compensation ne pourra effacer la souffrance d’un peuple déraciné», rappelle le doyen.

Rosemond Saminaden poursuit : «Nous avons une culture, un art culinaire, une manière d’être, nos moeurs et des expressions artistiques bien à nous. Quand on nous a déportés et jetés sur les quais de Port-Louis, c’était pour éliminer un peuple.» L’homme, toujours meurtri, estime qu’on a voulu enlever aux Chagossiens leur identité. Il nous informe qu’une universitaire écossaise travaille avec le GRC pour recueillir tous les éléments constitutifs de l’identité chagossienne. 

Ti Frer, né à Peros Banhos, y vit jusqu’à l’âge de 15 ans. Il émigre alors à Diego Garcia, où il travaille comme artisan à la forge jusqu’en 1973. La gorge nouée, le vieux sage fait le récit de ce jour funeste quand les derniers Chagossiens sont contraints de quitter l’île pour ne jamais y revenir.

«Tout quitter»

«On est au début du mois de mai, un dénommé Todd, représentant de l’administration de la British Indian Ocean Territory, demande à l’administrateur des îles de réunir tous les habitants. Là, il annonce que les îles seront fermées et que nous devons rentrer à Maurice ou aux Seychelles», raconte Rosemond Saminaden. Il fait remarquer que depuis des mois auparavant, les îles n’étaient plus approvisionnées en produits alimentaires. «Nous étions forcés de tout laisser derrière nous, nos animaux, nos objets personnels. Nous n’avions droit qu’à un matelas et un sac», ajoute le vieil homme. Le voyage sur le Nordvaer, un vieux navire sans assurance, était pénible. «Nous avons rallié Maurice dans la cale», précise-t-il. Un peu à la manière de nos ancêtres, les esclaves, il y a quatre siècles.

Quand les Chagossiens arrivent à Maurice, ils n’ont nulle part où aller. Le capitaine Savy, un Seychellois, leur permet de rester quelques jours à bord de son navire, jusqu’à ce que le gouvernement mauricien décide de loger ces sans-abri dans les Dockers Flats, à Baie-du-Tombeau. Et commence alors le calvaire de ces déportés.

Comment ont-ils survécu dans un environnement inconnu, voire hostile, sans argent, sans logis convenable et sans travail ? «Il a fallu beaucoup de courage, ceux de la jeune génération doivent une fière chandelle à leurs mères, grands-mères et tantes. Ces femmes n’ont pas hésité à braver la répression policière pour faire entendre nos revendications.» Ainsi commença le combat. Et Rosemond Saminaden, en dépit de ses 82 ans, est toujours prêt à se mettre en première ligne.

Son parcours

  • 1936-51 : Grandit à Peros Banhos et à Diego Garcia ;
  • 1951-1967 : Vit à Maurice ;
  • 1967 : Retour aux Chagos ;
  • 1973 : Déporté à Maurice.