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Saint-Brandon: un sanctuaire vierge à protéger

10 novembre 2018, 19:59

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Saint-Brandon: un sanctuaire vierge à protéger

J 1 & 2 - Cap sur l’archipel

Il est 16 h 57, le lundi 15 octobre, lorsque Le Baron quitte Port-Louis. Nous revoilà à bord de ce bateau de plaisance doté de quatre cabines (deux doubles et deux simples) très confortables et bien entretenues. Après un premier départ avorté il y a un mois, en raison d’une panne de GPS, le second voyage est le bon.

À bord, nous retrouvons le capitaine sri lankais Joseph, le chef cuistot Josian, le steward Kanu, le marin Zezi (connu à l’état civil comme Jocelin Capdor), entre autres membres d’équipage. Aussi du voyage, un couple de biologistes marins ainsi que le propriétaire de l’embarcation, Alain Langlois.

À hauteur de l’île Ronde, plus de réseau. Ce n’est que dans cinq jours, au retour, qu’on pourra à nouveau se connecter à notre réseau de téléphonie mobile respectif. En attendant, l’unique moyen de communication à bord : un téléphone satellite qui coûte entre Rs 50 et Rs 100 la minute.

L’érosion à l’Ile-du-Sud a eu raison de la devanture du campement des pêcheurs.

D’expérience, nous savons qui n’y aura pas d’alcool ce soir. Ni à l’apéro, ni au dîner. Les deux premières nuits seront longues. Très longues. D’où l’importance d’embarquer un partenaire de voyage, de bons bouquins et films ainsi que de la bonne musique.

Des raies chauves-souris se livrent à un véritable ballet sans se soucier de notre présence à l’Ile-du-Sud.

Maintenant, on n’a plus qu’à croiser les doigts pour que les antivomitifs pris la veille, comme l’a conseillé Alain Langlois, fassent leur effet. Bonne nouvelle : il suffisait de suivre les conseils à la lettre. Mais, tous les passagers n’ont pas eu cette chance. Surtout ceux qui n’ont pas le pied marin.

Ces «ourit sek» seront embarqués pour Maurice.

J 3 - Des «zwazo lavierz» au village des pêcheurs

Île-du-Sud et Capitaine

Le dîner est servi pour ce «zwazo lavierz».

Mercredi 16 octobre. 32 heures de bateau plus tard, quelle sensation agréable au réveil. Aucun bruit de moteur. L’embarcation ne tangue plus autant que la veille et l’avant-veille. Nous sommes en face de l’île-du-Sud, une des deux seules îles habitées de Saint-Brandon. Les résidents : trois pêcheurs et trois gardes-côtes.

Autour de nous, un lagon aux nuances émeraude et turquoise. L’eau est limpide. À quelques encablures (environ 200 mètres), une étendue de filaos et de veloutiers derrière une lignée de sable blanc. Un campement au toit en tôle vert, littéralement pieds dans l’eau, complète le tableau.

Nous accostons en pirogue. Ici, les Makwa et les zwazo lavierz (des sternes) sont chez eux. De même que les raies chauvessouris, qui se donnent en spectacle, à deux pas de la plage, sans craindre les humains autour. Selon Alain Langlois, le «Blue Lagoon» – un coin protégé des requins – est à tester sans modération pour les passionnés de snorkelling. Nous le confirmons.

Par contre, un élément détonne dans ce tableau. De la plage, l’on peut voir au loin, sur le brisant, la carcasse rouillée du Kha Yang. Ce bateau de pêche a échoué sur les récifs le 1er février 2015. Si les 20 membres d’équipage étrangers ont pu être secourus, l’épave, elle, se dégrade un peu plus chaque jour.

Le «Kha Yang» échoué sur le brisant se dégrade un peu plus chaque jour.

Capitaine. Non, il ne s’agit pas de l’emblématique séga de feu Michel Legris mais plutôt du nom de l’îlot en face de l’îledu-Sud. Un véritable sanctuaire de Makwa, de zwazo lavierz et de bernard-l’ermite. Cette faune nous fait comprendre que nous sommes ici chez elle car celle-ci est loin d’être effarouchée lorsque nous nous en approchons. Par contre, attention où vous posez les pieds, des œufs d’oiseaux jonchent le sol. Des oisillons aussi. Des tortues de mer viennent également y pondre. Nos amis les biologistes marins disent avoir répertorié leurs traces.

Soudain, des chants crépitants nous font lever la tête. Sous un ciel bleu éclatant, une valse s’offre à nous. Celle des frégates. Selon Alain Langlois, ces grands oiseaux marins de couleur noire se posent uniquement dans les cimes des veloutiers ou de bois tabac. Pour se nourrir, ils dérobent les poissons capturés par d’autres oiseaux marins.

Courson

Mercredi à la mi-journée. La balade se poursuit, à bord du Baron, cette fois. Cap sur Courson et Tec-Tec. Les deux îlots ont fait l’actualité l’année dernière pour de mauvaises raisons. Des pêcheurs les ont dénaturés en squattant les lieux. Si des articles de presse ont pu contraindre Mahen Jhugroo, le ministre des Collectivités locales et des îles éparses d’alors, à les faire décamper, des traces de leur passage désolent toujours. Débris de tôle, fioles vides de médicament, briquets, chaussures et piles s’amoncellent ici et là sur Courson. Cet îlot se démarque avec sa petite grotte au fondement en coraux et béton, pieds dans l’eau. Celle-ci abrite une effigie de la Vierge Marie.

Tec-Tec

À quelques minutes de pirogue de là, un banc de sable avec une végétation clairsemée surprend. Entouré d’une mer turquoise, il doit son nom à la vaste étendue de coquilles d’un blanc immaculé qui ont été rejetées sur la plage. Celles du Tec-Tec, ce mollusque apprécié en bouillon. Craquant sous les pieds, les coquilles y ont été transportées par les flots. À l’inverse de Courson, la seule trace de squatteurs ici est la dizaine de pirogues valant Rs 150 000 l’unité qui y ont été abandonnées.

Avocaire

Notre prochain arrêt semble être le théâtre parfait d’un film d’horreur de Stanley Kubrick. Avocaire abrite des vestiges submergés de ce qui reste de la maison habitée par Langlois au temps où il administrait Saint-Brandon. Une grotte qui trône au beau milieu de cette île, habitat des Makwa et des zwazo lavierz… Par contre, à ne pas manquer à peine descendu du bateau : un bain de pied aux côtés des lamam, ces petits poissons scintillant à la surface de l’eau et qui circulent en banc.

Raphaël

L’île la plus habitée de Saint-Brandon est la dernière escale du jour. De l’extérieur, des maisons, un énorme radar et une case de générateur inclinée sautent aux yeux. Avec ses 30 habitants – des pêcheurs en majorité, des météorologues et des gardes-côtes – Raphaël est également l’endroit le moins préservé sur notre itinéraire. Pas de mer turquoise ici. Durant la traversée du Baron à la terre ferme, outre une ourite se faufilant sous des coraux, on aura aussi vu des blocs de béton largués dans le fond marin.

Au cœur du village des pêcheurs

À Raphaël, la chapelle pieds dans l’eau où, de temps à autre, un prêtre va officier.

Une allée de sable bordée de maisons en dur sous tôle, une petite chapelle en bord de mer, la maison de l’administrateur qui héberge pour le moment des visiteurs, des ourit sek, des poules, des coqs et un chiot. Voilà à quoi se résume Raphaël, de l’intérieur. Pas une femme n’y habite. La plupart des résidents sont attroupés sous des arbres et attendent l’heure du dîner.

Direction l’autre bout de l’île. Le long d’un sentier broussailleux : des panneaux solaires fonctionnels ici et hors-service là. Un bâtiment abritant l’autre équipe de gardes-côtes dépêchés à Saint-Brandon. En face, un cimetière où reposent des ex-résidants des lieux, dont l’un avec son verre. Mais aussi, des dortoirs délabrés et des équipements abandonnés par le constructeur d’un hélipad.

17 h 53. La marée monte. C’est l’heure de regagner Le Baron. Ce soir, grâce à Ti Gérard et ses amis, carpaccio de Babone à l’apéro. Et de la carangue et des frites au dîner.

Des policiers coupés du monde

Ils ne semblent pas dépasser la trentaine. Les trois jeunes hommes dépêchés sur l’IDS (c’est comme cela qu’ils appellent l’île-du-Sud lors de leur communication radio) pour assurer la sécurité y ont débarqué deux jours plus tôt seulement. Ce, bien malgré eux. L’un, visiblement pas insensible de voir d’autres âmes qui bougent sur l’IDS, confie que ce transfert coupé du monde sera difficile. Surtout pour les fêtes de fin d’année, loin de la famille.

J 4 - Chaloupe et Cocos : le meilleur pour la fin

Chaloupe n’a rien à envier aux plus belles plages du monde.

Jeudi 18 octobre. 9 heures. Le Baron, qui a levé l’ancre de Raphaël, tôt le matin du quatrième jour, vient de mouiller à quelques encablures de Chaloupe. Ce banc d’un sable farine accessible en pirogue ou en zodiac (canot en caoutchouc), est entouré d’une eau claire, tantôt azur, tantôt turquoise. Il est dénué de végétation. Les seules taches sur le sable immaculé : une pirogue et un casque de construction blanc transportés par les vagues.

Après Chaloupe, direction Cocos. Ici, la verdure est plus luxuriante que dans les autres îles visitées. Pas question d’accoster Cocos de front en raison des forts courants. Pour accéder à la plage, il faut faire le tour. Et là, nous sommes accueillis par une tortue s’élançant près de notre embarcation et des zwazo lavierz qui défilent au-dessus de nos têtes. Il faut, ensuite, traverser une jungle de massifs, de plants de coton et de cocotiers ainsi qu’une importante population de Makwa et de zwazo lavierz. Une cabane en tôle équipée de deux lits sans matelas a résisté aux intempéries. Ici aussi, une grotte a été érigée.

La destination finale est époustouflante. La plage de Cocos n’a rien à envier à Anse Source d’Argent et à Anse Lazio, qui sont considérées comme les deux plus belles plages des Seychelles. Hormis les rochers de granite, tout y est. Voire plus. Le sable fin. Des marques laissées par des tortues sur la plage. La mer turquoise où l’on nage aux côtés des carangues et des tortues vertes. Un véritable trésor pour la République de Maurice.

En bateau ou en hélico

La voie maritime est, pour le moment, le seul moyen de se rendre dans l’archipel. À l’inverse d’Agalega, pas de piste d’atterrissage là-bas. Par contre, un hélicoptère peut atterrir à Raphaël sur ce qui reste d’un «hélipad» de la police qui a coûté Rs 22,4 millions aux contribuables. Cette infrastructure, dont la moitié a été emportée par les flots, devait servir en cas de recherche et de sauvetage dans la région. Pour le moment, elle sert de piste de jogging aux gardes-côtes.