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Jan Maingard raconte «Samuel» son papa agent secret....

10 novembre 2018, 14:47

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Jan Maingard raconte «Samuel» son papa agent secret....

L’homme est comme une gemme aux multiples facettes. D’Amédée Maingard, disparu en 1981, on connaissait surtout celle de capitaine d’industrie, qui a posé les solides fondations de l’hôtellerie et de l’aviation à Maurice. Or, la facette la moins connue de lui, parce qu’il l’a conservée secrète sa vie durant, est son rôle d’agent secret, enrôlé dans les forces spéciales britanniques durant la Seconde Guerre mondiale et parachuté en France occupée pour organiser et armer les résistants. Son fils Jan y remédie dans un magnifique livre très documenté, intitulé Ils l’appelaient Samuel, qui sera lancé jeudi prochain.

On a beau avoir lu des livres sur la Seconde Guerre mondiale, sur l’insoutenable barbarie des envahisseurs allemands, sur les réseaux de résistance en France et vu de nombreux films sur le sujet et même avoir vu le documentaire du Français Michel Vuillermet sur Amédée Maingard, faisant notamment état de son passé d’agent secret. Mais ce très beau documentaire n’a fait qu’effleurer ce rôle d’agent secret.

Or, en lisant le livre Ils l’appelaient Samuel, compilation des lettres qu’Amédée Maingard a écrites à ses parents, des photos prises à des moments distincts de son engagement dans les Special Operations Executive (SOE), des documents inédits qu’il a laissés derrière lui et d’autres que son fils Jan a récupérés sur la toile et auprès des archives de résistants et d’historiens, jamais la Seconde Guerre mondiale ne nous a paru aussi proche qu’à travers ses yeux et ses actes de bravoure.

«Les Irréguliers de Baker Street»

On y découvre d’abord un Amédée Maingard de 21 ans qui, en 1938, part en Grande-Bretagne pour faire des études supérieures et devenir expert-comptable. Il y est lorsque la guerre est déclarée. Ce jeune et intrépide Mauricien se sent tellement interpellé par l’invasion allemande en Pologne jusqu’à l’occupation française et par la barbarie nazie qu’il décide de s’engager volontairement dans l’armée britannique. C’est ce qu’il écrit à ses «Bien chers parents», le samedi 1er juin 1940.

«Une guerre cruelle et barbare ravage encore aujourd’hui notre beau pays de France. Des histoires lamentables de la barbarie allemande, qui nous sont parvenues, nous emplissent d’horreur et nous imprègnent d’une haine grossissante de jour en jour.» Il est recruté comme Lance Caporal dans le King’s Royal Rifle Corps. Mais Amédée Maingard veut de l’action et essaie de faire jouer ses contacts tant à Maurice qu’à Londres pour rejoindre les Higher quarters.

Ce sera chose faite en 1942. Cette année-là, son ami, le Mauricien Jean Larcher, engagé comme lui, est le premier à intégrer une école d’officiers. Le besoin de recrues se faisant sentir et vu l’impatience d’Amédée Maingard, Jean Larcher soumet son nom et celui d’un de leurs amis, Marcel Rousset. Ils sont tous deux convoqués au War Office et interviewés par le capitaine Selwyn Jepson, recruteur du SOE. Amédée Maingard passe le premier. On le bombarde de questions : est-il prêt à représenter l’Angleterre en France occupée ? Est-il disposé à sauter en parachute ? Est-il prêt à risquer sa vie ? Amédée Maingard ne demande que cela. Jepson ajoute qu’il va subir «un entraînement intensif avant d’être parachuté en France occupée afin d’aider les résistants français, leur apprendre le maniement des armes légères anglaises et américaines, l’utilisation de maints explosifs et enfin de les armer». Il accepte. Le recruteur a beau l’informer qu’il a 50 % de risque de ne pas en sortir vivant, qu’il risque d’être arrêté et torturé, voire exécuté, avoir «a slow and painful death» et que l’Angleterre ne pourra rien faire pour lui et qu’il n’existera pas aux yeux des Anglais, il est partant.

C’est ainsi qu’il est embauché dans les SOE, F section. Les SOE, organisation secrète mise en place par Winston Churchill après l’invasion de la France, jouit d’une indépendance exceptionnelle. Cette instance ne répond ni au ministère de la Guerre, ni à l’Intelligence Service. Churchill la nommait «The Ministry of Ungentlemanly Warfare». Ceux qui connaissent son existence en parlent comme «l’Armée secrète de Churchill», «Les Irréguliers de Baker Street» alors que les agents l’appellent «La Firme». Le mot d’ordre de Churchill à leur égard est «Set Europe Ablaze» et ils sont «licenced to kill at will» l’occupant. Au gré de ce collector de 346 pages qui sort des presses de l’Imprimerie et Papèterie Commerciale Ltée, nous suivons les traces d’Amédée Maingard, recruté parmi les 470 agents secrets dont 39 femmes. Tous sont formés à l’école préparatoire, à l’école d’endurcissement, à l’école d’entraînement au saut de parachute, à l’école de finition spéciale.

Il raconte la série d’entraînements qu’il doit faire. Excellant en morse, on fait de lui un opérateur radio et il est envoyé dans une école spéciale pour la sécurité. Toutes ces formations font de lui un agent redoutable, sachant manier des codes, se déguiser, utiliser des encres spéciales, forcer des serrures, saboter des usines, des chemins de fer, des stations électriques, usurper d’autres identités et converser avec un étranger «afin d’innocemment lui donner la première moitié d’un mot de passe et en recevoir la seconde. Bonne seconde moitié voulait dire bon interlocuteur et aide assurée», écrit-il.

Formateur de 15 000 résistants

Il est fin prêt vers septembre 1942 avec «de faux papiers, des centaines de milliers de francs, un pistolet colt .45 et un comprimé suicide – lethal tablet – de cyanure de potasse.» Leurs vêtements sont confectionnés par des tailleurs français. Après plusieurs faux départs, il est parachuté dans les collines près de Tarbes en France le 13 avril 1943, non sans avoir écrit, quatre jours plus tôt, une dernière lettre poignante à ses parents et dans laquelle il parle d’un «danger constant» qui est proche, d’une «grande mission» à accomplir.

Il rejoint le réseau Stationer en tant qu’expert radio et a pour chef Maurice Southgate, alias Hector. Son nom de code à lui est Samuel. Le réseau Stationer couvre une grande partie du Sud-Ouest de la France, le Puy de Dôme, l’Allier et l’Indre. Il forme de nombreux résistants au maniement des radios et devient second du réseau à partir de 1944. Lorsque Hector est arrêté par la Gestapo le 1er mai 1944, Amédée Maingard prend la direction du réseau, qui est alors rebaptisé Samuel/Shipwright.

Il fait tout ce dont il a été entraîné pour, c’est-à-dire qu’il commande, forme, sabote, arme 15 000 résistants qui dépendent de lui et a même l’audace de se moquer des Allemands, lorsque trois d’entre eux, qui fouillent le train où il se trouve, demandent : «Fo papié sil fou plé». Du tac au tac, Amédée Maingard réplique «Faux papiers ? Jawohl, Herr General, les voici», raconte Jan Maingard dans la préface de ce magnifique livre.

Bien que son père ait reçu huit décorations à l’issue de la guerre dont la Légion d’honneur et la prestigieuse Distinguished Service Order, Jan Maingard, qui n’aime pas les mots galvaudés, ne considère pas son père comme un héros. «La guerre a fait de lui l’homme qu’il est devenu. Comme le dit l’écrivain de guerre britannique Anthony Kemp, s’il avait été blessé, arrêté, torturé et tué, là on aurait pu dire qu’il a été un héros. Il était simplement là, à ce moment précis, à cette époque-là et a fait montre de cran.»

Autant Jan Maingard a énormément échangé avec son père jusqu’à sa disparition en 1981, Amédée Maingard dont ses amis disaient de lui qu’il était «un choqué de guerre» à son retour à Maurice, n’a jamais parlé de cette facette de sa vie à ses enfants. À sa femme Jacqueline Raffray certes car elle a dactylographié certaines de ses lettres manuscrites qui pâlissaient. Jan Maingard, sa sœur et son frère allaient fourrager dans ses affaires lorsqu’il était absent de la maison. «Nous savions qu’il avait conservé tous ses papiers, documents, photos dans une valise bleue et dans des caisses en carton et nous allions les examiner en cachette. Mais lui n’en a jamais fait état. Je crois qu’il avait commencé à rédiger un manuscrit rien que pour se défouler de cette guerre traumatisante et des horreurs qu’elle a engendrées.»

Jan Maingard a mis 30 ans à mettre de l’ordre dans les affaires de son père et un an à tout compiler et à se renseigner auprès d’historiens et d’archives de résistants pour aboutir à «Ils l’appelaient Samuel».

Ce livre révèle aussi que le général de Gaulle ne fut informé que tardivement de l’existence des SOE F section, ce qui entraîna une certaine méfiance entre la France et l’Angleterre. De Gaulle ne fut averti du débarquement allié en Normandie que la veille et Pearl Witherington, une des femmes agents des SOE section F, l’explique ainsi : «Les Anglais, quand on leur demande de ne pas dire quelque chose, ils ne le disent pas. Allez demander ça à un Français : il le dit à son meilleur copain, qui le dit à son meilleur copain et ça ne finit jamais. C’est pour cela qu’ils n’ont jamais dit à De Gaulle la date du débarquement.»

Ce livre collector nous apprend aussi l’engagement des Indiens aux côtés de l’Allemagne nazie en 1942, composant la 95e brigade et dépendant directement de la Wehrmatch. Les Indiens avaient été encouragés à suivre cette voie par le nationaliste Chandra Bose qui pensait qu’en pactisant avec les Allemands, l’Inde pourrait recouvrer son indépendance en cas de défaite de l’Angleterre.

Avec «Ils l’appelaient Samuel», Jan Maingard a simplement voulu montrer que son père a eu une contribution dans l’Histoire mondiale. «C’est un pan de vie d’homme et je suis content que les gens sachent qu’il n’est pas resté les bras croisés.»

Édité à 1 000 exemplaires, «Ils l’appelaient Samuel» est en vente à Rs 1 000 à l’Atelier à Port-Louis.