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Noorjahan Dauhoo: Chevauchée fantastique

29 octobre 2018, 00:00

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Noorjahan Dauhoo: Chevauchée fantastique

Bien qu’ils soient adultes, on les appele toujours «les enfants de la SACIM». C’est le cas de Noorjahan Dauhoo, qui, enfant, a été opérée en Suisse. Depuis, son père et sa belle-mère l’ont encouragée à repousser les limites du possible. Et elle ne s’est pas fait prier.

Ce sont les autres, et en particulier sa mère, qui n’ont cessé de rappeler à Noorjahan Dauhoo, née Lallmamode, qu’elle est née avec une valve cardiaque déficiente. Grâce à la SACIM et à l’organisation non gouvernementale suisse Terre des Hommes, il a été possible de la remplacer. Une intervention délicate et risquée, pratiquée au début des années 70 alors qu’elle n’avait que deux ans et qui l’a obligée à passer neuf mois dans le canton suisse de Monthey, loin des siens.

De cette étape pourtant marquante de sa vie, elle n’en garde aucun souvenir. Et bien qu’une longue cicatrice lui barre le buste – à l’époque, la chirurgie cardiaque n’était pas ce qu’elle est aujourd’hui – elle ne la voit pas. Ni son mari Anwar d’ailleurs, précise-t-elle. Mais elle est consciente de son passé. Dans d’épais classeurs sont rangées les lettres que leur avaient adressées Terre des Hommes avant et après l’intervention, ainsi que la copie du formulaire signée par ses parents autorisant cette organisation à l’enterrer sur place au cas où l’intervention aurait échoué. Elle sourit en tombant sur la lettre où il est dit que sa convalescence terminée, elle courait partout avec les autres enfants venus du monde entier et montrait des signes d’indépendance.

Elle sait aussi que dès son retour de Suisse, ses parents l’ont emmenée faire des check-up réguliers. Mais depuis, elle n’a jamais eu de problème cardiaque. Des bobos comme tous les autres enfants de son âge certes et souvent de gros rhumes se muant en bronchite et nécessitant des hospitalisations, oui, mais le coeur a, lui, toujours tenu bon.

Autant sa mère, soucieuse de tout, essaie de l’élever dans un cocon, – ne comprenant par exemple pas pourquoi à 13 ans, elle n’a toujours pas ses règles et l’entraînant chez la doctoresse Julia Maigrot, première présidente de la SACIM –, autant son père la laisse s’habiller en garçon comme son jeune frère et en grandissant, il lui apprend même à piloter une moto. Elle a alors 14-15 ans. «Mon papa m’encourageait en me disant que j’étais comme n’importe qui. Ma force vient de tout ce que mon père m’a enseigné.»

Ce dernier veut qu’elle étudie la médecine. Sa mère la décourage sous prétexte qu’avec ce métier, elle n’aura pas de vie sociale. Elle veut être journaliste. Là, encore, sa mère l’abreuve d’idées reçues. «Elle me voyait sillonner trop les routes et finir par me faire violer. Elle disait qu’une fille doit être secrétaire ou enseignante», raconte cette quadragénaire pétillante.

Ce sentiment qu’il n’y a rien qu’un garçon ne puisse accomplir qu’une fille ne puisse sera conforté par feu sa belle-mère Fatma, qui l’adoptera dès le premier regard. «Après ma scolarité au Gaëtan Raynal SSS, je ne voulais pas me marier. Je voulais étudier. J’ai donc suivi un cours de secrétariat. J’étais copine à la soeur d’Anwar Dauhoo. Elle avait dit à son frère qu’elle était amie à une fille gentille mais un peu fofolle. Au sortir du cours un après-midi, lui et sa mère Fatma nous attendaient. Apparemment, les deux m’ont trouvée à leur goût et très vite, ils sont venus demander ma main.»

Noorjahan Dauhoo se laisse alors porter par le courant et se marie à 19 ans. «Ma belle-mère a été une seconde maman pour moi. Autant ma mère me rappelait toujours que j’avais des problèmes de coeur, autant ma belle-mère me poussait à me dépasser. Tout ce que j’ai réussi à faire depuis mon mariage, c’est grâce à elle.»

 Sa belle-mère l’encourage par exemple, à poursuivre ses études. Elle suit un cours au Teacher’s Training College auprès de la Mauritius Institute of Education. Son mari, qui est chasseur de cerf, lui enseigne le maniement des fusils de chasse et sa belle-mère l’incite à aller chasser avec lui. Le couple Dauhoo piste et chasse le cerf pendant longtemps dans les chasses du Sud, avant d’arrêter. La mère de son mari l’incite aussi à pratiquer les arts martiaux et la jeune femme y adhère totalement, prenant tour à tour des cours de karaté, de taekwondo et de jiu-jitsu qu’elle n’interrompt qu’au début de ses deux grossesses – elle est mère de Fatima, 23 ans, et de Moobeen, 16 ans. Noorjahan Dauhoo a repris les arts martiaux récemment, notamment le kyokushinkai, autre forme de karaté, mais elle est rentrée à la maison avec tant d’hématomes que son mari lui a gentiment conseillé d’y mettre un terme ou d’y aller mollo.

«L’intervention de la SACIM m’a sauvée la vie et quelque part aussi des carcans sociaux.»

 Noorjahan Dauhoo pratique aussi la chorégraphie égyptienne. Elle a également repris la moto sur les conseils de son mari, qui est propriétaire d’une auberge à Plaine-Verte. Ils ont chacun leur moto et ont offert une moto à leur fille et une mobylette à leur fils. Les Dauhoo font partie d’un club de moto, l’Alpha Squad, avec qui ils vont en randonnées autour de l’île. «Je suis la seule femme qui pilote une moto parmi les 30 membres. On fait le tour de l’île tous les deux mois», précise-telle. D’ailleurs, le jour de l’interview, c’est sur sa moto de 125 centimètres cubes que Noorjahan Dauhoo est venue au siège de la SACIM, à Vacoas.

Sa belle-mère l’a également encouragée à travailler. Noorjahane Dauhoo a enseigné au primaire puis la communication à l’Industrial and Vocational Training Board. En 2009, elle a entrepris des démarches et s’est fait inscrire à l’université de Birmingham et est partie pendant un an afin d’obtenir une maîtrise en enseignement de l’anglais comme langue étrangère. «Les enfants sont restés avec mon mari», dit-elle comme une évidence.

 Elle prend sur elle en 2014 et part enseigner l’anglais en Chine pendant sept mois et ainsi gagner de l’argent pour aider à financer les études de sa fille au Canada. «Je serais restée plus longtemps mais je suis revenue parce que mon fils me le demandait.» Actuellement, elle tient un magasin de pièces de rechange pour motos devant leur maison à Pailles.

Si jusqu’à son mariage, elle s’est soumise à des check-up médicaux, elle a été nettement moins régulière à ce niveau depuis, excepté pour ses grossesses car elle appréhendait, à tort, qu’un de ses enfants ne présente une malformation cardiaque congénitale. «Lorsque je me suis mariée, je me suis dit : stop les checkup, c’est bon, je vais bien. Quand vous avez passé votre vie à aller voir le médecin jusqu’à l’âge de 19 ans, à un moment, vous voulez relâcher un peu la pression. Mais j’ai été obligée de m’y plier avant de partir en Grande-Bretagne, de même qu’avant d’aller en Chine. Tout était okay. Définitivement, je n’aurais pas pu faire tout ce que j’ai fait si je n’avais pas été opérée grâce à la SACIM. Quand je vois des femmes de mon âge, sans aucun problème de santé, qui sont moins résistantes que moi, cela me sidère. J’aurais voulu qu’elles se bougent davantage et accomplissent plus de choses», confie-t-elle.

Sa liberté de pensées et d’actions ne lui attire pas que des amis. «Quand vous êtes une femme et que vous exprimez le fond de votre pensée, cela dérange. Eh bien, je suis désolée pour ceux que ça dérange. J’ai déjà répliqué à une personne sur Facebook que si elle n’était pas d’accord avec moi, elle n’avait qu’à me tuer. À deux ans, j’ai failli mourir mais j’ai tout de même eu une vie bien remplie. La mort pour moi n’est pas une finalité mais une nouvelle aventure qu’il ne faut pas craindre. Quand je dis ou j’écris des choses comme ça, ça déchaîne les passions et on me prend pour une cinglée. C’est le prix à payer lorsqu’on ne peut vous mettre dans une boîte. L’intervention de la SACIM m’a sauvée la vie et quelque part aussi des carcans sociaux.»

Elle est libre dans sa tête. «Mon mari dit qu’il est mon ancrage et que si ce n’était pas le cas, je me serais envolée. Et c’est vrai car je considère que rien n’est impossible pour moi…»