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Kris Ponnusamy: «Il faut un mécanisme pour éliminer les ingérences politiques»

20 octobre 2018, 16:57

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Kris Ponnusamy: «Il faut un mécanisme pour éliminer les ingérences politiques»

Actuellement, les recrutements dans le secteur public sont récurrents. Tout comme ceux des «amies proches» du pouvoir. Le cas Bhowantee (Ashna) Rampadaruth a d’ailleurs été évoqué au Parlement, mardi. L’affinité est-elle une condition exclusive pour être embauché ? Kris Ponnusamy analyse la situation.

La vague de recrutements dans la fonction publique traduitelle de la pure stratégie politique pour les élections de 2019 ?
Une fois le budget voté, les ministères et départements ont une dotation pour leurs activités, dont le recrutement. Les chefs de département rapportent le nombre de postes vacants. Mais aucune date n’est fixée pour les remplir. Une fois que l’argent est là, on peut mettre la machine en marche pourvu que les formalités soient bien complétées. Et ce, en s’assurant que les postes ont bien été établis, puis en respectant un scheme of service, soit un profil dûment approuvé par la Public Service Commission (PSC) notamment.

Mais les récentes manœuvres ne sont pas dissociées de la campagne électorale…
Il peut y avoir une activation ou réactivation du recrutement actuellement. Si les politiciens ont décidé de remplir tous les postes vacants d’urgence, évidemment, ils iront dans ce sens-là. La commission fera son calendrier selon sa capacité. Elle ne travaille pas jour et nuit. Les postes plus urgents vont passer. Les autres attendront.

Quels sont les postes les plus urgents à remplir ?
Chacun propose ses degrés d’urgence. Le ministère de la Santé aura besoin de médecins, d’infirmiers, etc. À l’Éducation, on demandera des enseignants pour le Nine-Year Schooling. Un des plus gros recrutements survient au sein de la police avec une centaine de nouveaux effectifs. Puis, l’exercice de promotion interne comprend 200 autres policiers. Au sein de l’Éducation, on emploie une centaine d’enseignants. Les infirmiers sont sujets à de gros exercices de recrutement. Le tout revient à des milliers.

Citant les cas de Bhowantee Rampadaruth, Joanne Esmyot, Pushpanjali Luchoo et Vijaya Sumputh, des «amies proches» de ministres, certains estiment que paradoxalement, les recrutements par affinité semblent s’amplifier. Pourquoi ?
Ces recrutements ne relèvent pas de la PSC mais des ministres et ministères. Ces recrutements hors PSC tombent sous le contrôle des ministères concernés et reçoivent l’aval du Cabinet puis ils suivent une autre filière…

Celle des ministres ?
Le ministre est responsable de la bonne marche de son ministère et des corps parapublics. L’ennui, c’est que dans la plupart des cas, il n’y a pas de scheme of service pour ces postes à remplir.

Pourquoi ?
Je suppose que cela arrange les politiciens et donne une certaine flexibilité à ceux ayant une certaine expérience. Majoritairement, ce sont des postes contractuels agréés par le ministre et avalisés par le Cabinet. Mais sur quelle base la personne estelle nommée ? Par affinité ? Oui, parce qu’elle est normalement choisie par le décideur politique. Quand on dit affinité, peut-être que l’individu a donné un coup de main à la campagne électorale et qu’il faut la récompenser. Ou alors la personne est de la famille. C’est un système très flexible qui peut poser des problèmes…

Flexible ou plutôt fermé ?
Les ministres peuvent avoir cette flexibilité. Si on devait passer par la commission, il y aurait un profil avec des qualifications et un critère d’âge spécifiques, des restrictions, etc. Cela ne fait pas l’affaire des politiciens.

Donc, il faut être un(e) ami(e) privilégié(e) pour être recruté(e) ?
La PSC a ses propres règlements. Et si un fonctionnaire du service civil est insatisfait de sa non-sélection, il peut approcher tel tribunal et aller jusqu’à la Cour suprême. Pour le recrutement hors commission, il n’y a pas de recours. Le Cabinet nomme celui qu’il veut pour présider les boards. Si on veut un système de bonne gouvernance, il faut établir un profil de tous les postes. Et ce, aussi bien pour la PSC, la Local Government Services Commission, la Disciplined Forces Service Commission (DFSC) et les comités des compagnies parapubliques. Cela déterminera quelles sont les personnes les plus aptes à devenir Chairperson. Cette pratique se fait dans plusieurs pays. Il suffit que Maurice suive le bon exemple pour que nous ayons moins de cas où les proches du pouvoir sont nommés. Si les recrues sont compétentes, il n’y a aucun mal.

Les recrutements par affinité influent-ils sur l’image du pays ?
Cela ne projette pas une bonne image sur Maurice, un petit pays où tout se sait. La crédibilité du gouvernement peut en être affectée et, au-delà, celle des institutions. Il faut parvenir à y mettre de l’ordre pour pouvoir suivre les bonnes pratiques.

Comment assurer plus de transparence dans ce processus ?
Il y a cinq à huit ans, les syndicats avaient demandé que les entretiens soient enregistrés comme preuves en cas de contestation. Une autre proposition était que la PSC rédige un rapport factuel sur chaque sélection pour publication. Ces propositions sont sur la table et doivent être mises en pratique par la commission. Avec de telles mesures, les gens sont avisés, ont moins d’interrogations et moins de doutes.

Faut-il un garde-fou pour veiller au bon recrutement dans le service public ?
Les commissions sont censées être responsables. On n’a pas besoin d’instituer un autre corps pour veiller sur elles. Mais en cas de non-satisfaction des décisions de la commission ou de maldonnes, les fonctionnaires peuvent se tourner vers le Public Bodies Appeals Tribunal, qui agit précisément comme garde-fou. Pour l’emploi de personnes par affinité, je ne vois pas quel organisme pourrait superviser ce qui se passe à la commission. La transparence est vitale. Dans ce cas, le mode de recrutement est connu, la sélection est publique. D’autant que si c’est officiel, on peut attirer l’attention des autorités sur toute faille dans le système et améliorer le fonctionnement de la commission.

Des critiques sont émises à l’égard des critères de recrutement traduisant un nivellement vers le bas, par exemple, pour la police. Pourquoi ce changement ?
La DSFC pourrait y répondre. Mais généralement, la commission a elle-même approuvé les scheme of service pour ces postes bien établis. C’est une obligation de les respecter. Les paramètres physiques spécifiques doivent être observés. Au cas échéant, la commission doit y répondre. Il existe un autre débat : la représentativité. Par exemple, pour un recrutement dans la force policière, on ne peut avoir tous les effectifs d’une seule communauté dans un pays comme Maurice. Ce n’est pas bon pour le système. Les gens se sentent en sécurité avec une bonne représentativité. Ce, à travers le monde entier. C’est légitime et bien pour le système, mais est-ce que cela se fait au détriment des compétences ? Dans ce cas, y aura-t-il des sanctions de la part de l’Equal Opportunities Commission ? Il faut en débattre.

En sus des qualifications académiques et de l’expérience, le «background» de la recrue ne devrait-il pas être disséqué ?
Dans le passé, avant d’entrer dans la fonction publique, il y avait une enquête sur les candidats. Pour des raisons politiques, on y a mis un terme. Les politiciens ont décidé que ce n’était pas nécessaire. Toute action a son bon et mauvais côté. Si l’enquête est mal faite, cela peut aussi causer préjudice à une personne compétente. On comprend qu’il y a plusieurs problèmes. Des gens ont été nommés mais ont un casier judiciaire chargé et non communiqué au moment des faits.

Dans les ministères, les listes de privilégiés, intouchables et des «dimounn» des politiciens circulent-ils toujours ?
Les choses ont bien changé. À l’époque, il y avait une grande rigueur. Le responsable allait dans une direction et ne cherchait pas de raccourcis. Aujourd’hui, il y a des ingérences politiques flagrantes car les règlements ne sont pas suivis. Il faut un mécanisme pour éliminer les ingérences politiques. Soit la vraie bonne gouvernance. Dans beaucoup de démocraties, le rêve des gens est «less government but more governance». Même les ministres doivent apprendre ce que c’est. Il y a un gros problème au niveau des politiciens et parfois, au niveau des administrateurs qui ne sont pas bien formés ou qui se laissent aller. Mais les politiciens doivent passer par une école pour exercer comme ministre car on ne le devient pas du jour au lendemain. Les ministres ne connaissent pas les rouages.

Quelles sont les compétences recherchées pour ceux à la tête des postes à responsabilité ?
Dans la fonction publique, il faut protéger son intégrité, être compétent et dévoué. Par conséquent, il faut veiller à ce que le recrutement soit bien fait. Il faut évaluer les institutions. Celles-ci sont nommées, puis le Chairperson. Après, c’est fini. Il n’y a pas d’évaluation sur la performance de la recrue. Qui va faire cela ? Cela doit être entrepris par des entités indépendantes. On n’est pas arrivé à ce stade à Maurice.

 

Bio express

<p style="text-align: justify;">Kris Ponnusamy a été élève au collège Royal de Port-Louis. Il est devenu <em>&laquo;Clerical Officer&raquo; au &laquo;Chief Secretary&rsquo;s Office&raquo; </em>sous l&rsquo;administration britannique. Après ses études, il a été nommé <em>&laquo;Administrative Officer&raquo;.</em> Il a gravi les échelons, exerçant aux ministères du Tourisme, de l&rsquo;Information, des Affaires étrangères, entre autres. Il a notamment été chef de Cabinet et <em>&laquo;Senior Chief Executive&raquo;</em>. Il a pris sa retraite après 42 ans de carrière.</p>