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Relations Maurice-Japon: quand traditions démocratiques et diplomatie économique ne font pas bon ménage

17 octobre 2018, 02:00

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Relations Maurice-Japon: quand traditions démocratiques et diplomatie économique ne font pas bon ménage

 

En recevant Masahisa Sato, le No 3 du ministère japonais des Affaires étrangères, le 21 août, pour une séance de travail devant lancer les relations entre le Japon et Maurice sur de nouvelles bases de coopération, Vishnu Lutchmeenaraidoo, ministre mauricien des Affaires étrangères, était loin de s’imaginer que les efforts ainsi déployés pouvaient être ralentis par un événement extérieur. Une annonce mauricienne d’un renforcement des relations avec le Japon, dans le secteur de l’économie océanique, allait déboucher sur une manifestation contre un éventuel accord de pêche entre les deux pays. Un couac dans les relations diplomatiques, juste avant la tenue de la réunion ministérielle de la 7e édition de la Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (TICAD), les 6 et 7 octobre.

La petite phrase qui a mis le feu aux poudres ? Il s’agissait de l’évocation par Vishnu Lutchmeenaraidoo d’un renforcement des relations avec le Japon en matière de l’économie océanique, dans le cadre d’un accord de pêche. C’était largement suffisant pour mobiliser une manifestation, le 13 septembre, au jardin de la Compagnie, à Port-Louis, contre un éventuel accord avec le Japon. Cela, avant même que le contenu de cet accord, si accord il y a, ne soit connu.

Le Japon était directement visé par rapport à sa posture, considérée comme ambiguë, concernant la pêche à la baleine. «Save the Whales», pouvait-on lire sur une pancarte. Le pays du Soleil-Levant est donc soupçonné de ne pas être en mesure de donner la garantie qu’elle n’utilisera pas le cadre de cet accord pour pêcher la baleine dans la Zone économique exclusive mauricienne. Bref, tout accord avec le Japon est perçu comme une licence pour l’autoriser à pêcher les cétacés.

Cette manifestation est arrivée au mauvais moment pour le gouvernement mauricien. Elle coïncidait, en effet, presque avec la tenue, à Tokyo, les 6 et 7 octobre, de la conférence ministérielle en vue de la préparation de la 7e édition de la TICAD. Cette conférence se tiendra, du 28 au 30 août 2019, à Yokohama.

La TICAD est l’instrument mis en place par le gouvernement japonais pour orienter, évaluer, suivre, exécuter, avaliser ses projets de coopération avec l’Afrique pour les deux prochaines années à venir.

Technologies innovantes

Le Japon pourrait constituer un pion important dans le cadre de l’ambition de Maurice à faire son entrée parmi les pays à hauts revenus. Et pour y arriver, le recours aux technologies innovantes comme la blockchain, la robotique, l’intelligence artificielle, où le Japon fait figure de proue, est déterminant. La dernière aide en date du Japon est l’installation, sur le flanc du Trou-aux- Cerfs, d’un radar pour des besoins météorologiques.

La manifestation au jardin de la Compagnie n’est pas passée inaperçue à Tokyo, même si, ouvertement, le gouvernement nippon pourrait éviter d’en faire une affaire d’État. Toutes les coupures de presse, de même que les reprises sur la Toile, des articles au sujet de cette manifestation sont déjà dans les dossiers du ministère des Affaires étrangères, à Tokyo. Les fonctionnaires japonais n’hésitent pas à demander des explications à qui de droit. Cette manifestation est visiblement mal perçue dans la capitale japonaise. D’autant plus que le terrain pour un renforcement des relations bilatérales vient d’être dégagé.

Besoins scientifiques

Interrogée, une jeune Japonaise de Tokyo réplique: «Il y a beaucoup d’ambiguïté lorsqu’on accuse les Japonais de tuer les cétacés pour les consommer. Personnellement, je n’ai jamais consommé de la chair de baleine.» Une source du ministère japonais des Affaires étrangères, qui ne veut pas être citée, explique que tout comme le Japon est respectueux de la culture des autres, son pays s’attend que les autres nations respectent certaines de ses traditions. Il n’en dira pas plus. Du point de vue de Tokyo, l’accusation portée contre le Japon fait fi d’un moratoire obtenu en 1987 auprès de Commission baleinière internationale, qui n’interdit que la pêche commerciale des cétacés et non sa prise pour des besoins scientifiques.

C’est ainsi que le Japon, jusqu’à ce jour, dispose d’un programme de recherche sur les baleines. Ces recherches permettent au pays du Soleil-Levant de pêcher des cétacés pour des prélèvements de tissus. La chair de l’animal est ensuite commercialisée. C’est dans ce contexte que la viande de baleine est disponible dans certains restaurants spécialisés, comme c’est le cas à Shibuya, un des centres commerciaux les plus mouvementés de Tokyo. Dans ce restaurant, il n’y avait pas grande foule, le jour où nous nous y sommes rendus. Tout le contraire d’autres restaurants nippons, qui offrent d’autres types de plats.

Derrière le rideau, le Japon s’adonne-t-il à la chasse commerciale de la baleine ? Difficile à dire, sans preuves tangibles. Cependant, ce qui est vrai, c’est

l’intention de ce pays de demander l’autorisation de la chasse commerciale de la baleine, qu’il se propose de justifier sur des bases scientifiques.

Toujours est-il qu’au moment où des pays du continent africain, dont le Rwanda et le Kenya, se sont fait représenter par leur ministre des Affaires étrangères à la tête d’une importante délégation, la partie mauricienne ne comprenait que deux personnes, à savoir Usha Chandnee Dwarka-Canabady, secrétaire aux Affaires étrangères, et Radhakrishna Neelayya, manager, Global Outreach Strategic Business Unit, à l’Economic Development Board.

Usha Chandnee Dwarka- Canabady n’avait certes pas le statut de ministre, mais sa maîtrise du dossier Japon–Maurice a fait d’elle la personne idéale pour faire avancer la cause de Maurice dans le cadre du lancement de la 7e édition de la TICAD. Vu l’ambition de Maurice à se hisser au niveau des pays à hauts revenus, il fallait évoquer les facteurs devant permettre au Japon d’aider Maurice à franchir ce palier. Parmi eux, le soutien en matière de technologie innovante et l’aide du Japon dans le domaine de la connectivité.

Mais pour que Maurice soit visible aux yeux du gouvernement japonais, parmi les autres pays africains, il ne faut surtout pas rater le rendez-vous d’août, à Yokohama, lors des travaux de la 7e édition de la TICAD. Maurice se fera-t-elle représenter par une importante délégation ? C’est le souhait de Yoshiharu Kato, ambassadeur du Japon à Port- Louis. «J’espère que le Premier ministre, Monsieur Pravind Jugnauth, y sera…»