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Enquête: le modus operandi des politiciens pour «donn enn bout travay»

3 octobre 2018, 22:32

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Enquête: le modus operandi des politiciens pour «donn enn bout travay»

 

Les listes émises par le bureau de l’emploi pour remplir des postes dans la fonction publique ou des organismes parapublics peuvent-elles être manipulées dès le départ pour s’adapter aux caprices de ceux qui sont au pouvoir ? C’est en tout cas la théorie mise en avant, après qu’il a été établi dans l’édition de l’express de lundi que plus de la moitié des recrues de la Central Water Authority (CWA) proviennent de deux circonscriptions, Stanley-Rose-Hill et Rivière- des-Anguilles-Souillac. Selon une enquête réalisée par l’express, ce subterfuge est tout à fait possible et c’est même une pratique à laquelle se sont adonnés tous les gouvernements. Durant la réalisation de ce sujet, nous avons rencontré un ancien conseiller au ministère de l’Emploi. Cette source qui nous a expliqué comment les politiciens s’y prennent.

«Quand je pense à ceux qui faisaient renouveler leur carte de chômeur à chaque trimestre, année après année, alors qu’ils n’avaient aucune chance face à ceux qui étaient choisis par les députés et ministres avec la complicité des fonctionnaires, cela me donne des cauchemars la nuit». Des années après son passage à l’Hôtel du gouvernement, il se dit rongé par sa conscience qui ne l’a «jamais vraiment laissé en paix». Incursion dans le modus operandi des listes «préfabriquées».

Etape 1: La demande

Imaginons qu’un ministère (sous peu importe quel ministre de n’importe quel parti) doit recruter 100 GeneralWorkers. C’est un «petit » boulot, où on accepte ceux qui ont échoué le Certificate of Primary Education. Ce ministère demande une liste de personnes éligibles au ministère du Travail. Cette liste doit supposément provenir de la base de données des chômeurs.

Etape 2: La répartition des «quotas»

Mais parallèlement, les politiciens au pouvoir discutent entre eux et négocient «leur part». «Pour moi ministre commanditaire, ce sera 80. Tu verras pour les 20 autres», peut par exemple dire «le commanditaire» des jobs. Et il envoie 80 noms, adresses et numéros de téléphone.

«Voir pour les 20 autres» équivaut à la loi du plus fort. Chaque député ou ministre essaie de caser le maximum de ses «dimounn». Mais l’issue dépend de la hiérarchie. Un «petit ministre» ne pourra pas broncher si, par exemple, quelqu’un de plus haut placé dans la hiérarchie de son parti décide de «prendre» les 20. Au final, un petit tableau est dressé. Et chacun envoie le nombre de noms qui lui est alloué au ministre du travail.

Etape 3: La «vraie fausse liste»

Légalement, le ministère de l’Emploi doit impérativement fournir au commanditaire une liste de chômeurs générée par ordinateur. C’est là qu’un premier fonctionnaire du ministère du Travail devient complice. La liste qu’il demande à l’ordinateur de générer va inclure les 100 noms recommandés par les politiciens.

Avant cela, les politiciens impliqués dans l’étape 2 s’assurent que leurs protégés ont bien renouvelé leur carte de chômeur. Et là encore, s’ils se sont déjà inscrits dans la base de données. Il arrive souvent que ceux qui seront recrutés ne se soient inscrits que quelques jours avant la génération de la liste par ordinateur. On a même déjà dû générer une liste une nouvelle fois parce qu’un petit malin n’avait pas eu le temps de s’inscrire comme chômeur et son «protecteur» demandait qu’on l’attende.

La liste soi-disant computer- generated – le terme le plus approprié est computer- manipulated – devrait comporter 125 à 140 noms, pour brouiller les pistes. Elle est signée par le ministre de l’Emploi et envoyée au ministère «commanditaire».

Officiellement le ministre de l’Emploi n’en sait rien. S’il y a un problème il dira : «C’est l’ordinateur du fonctionnaire, je ne sais pas.» Mais les noms des 100 «clients» sont bien sur cette liste. Comment ? Le logiciel n’est qu’une base de données. Il suffit de faire la requête qu’il faut à l’ordinateur et celui-ci vous donnera la liste souhaitée. «Garbage in, garbage out» : c’est la base même de tout logiciel informatique.

Etape 4 : Les fausses interviews

Les fonctionnaires du ministère recruteur, ceux qui vont conduire les entretiens d’embauche, sont aussi complices. Leur ministre à eux leur a aussi refilé les 100 noms. L’exercice est une pure farce. Les 25 à 30 autres n’ont absolument aucune chance. A moins qu’il y ait un gros problème, par exemple, le casier judiciaire d’un des 100 clients n’est pas vierge. On aura donc 99 recrutés sur commande, et un sur la base du mérite. Voilà comment certains chômeurs enregistrés depuis des années ne sont jamais recrutés et que d’autres, fraîchement sur la base de données sont employés par l’état.

Le timing

Les politiciens font bien attention de procéder à cet exercice durant les quatre premières années de leur mandat. Car les candidats sont embauchés sur une «probation period» d’une année avant d’être définitivement employés par l’État. Un changement de pouvoir avant cette échéance pourrait bien aboutir à leur limogeage «sans frais» avant qu’ils n’aient pu être employés par l’État.

L’état d’esprit des fonctionnaires

Quel fonctionnaire refuserait de se soumettre à la requête de son ministre ? Ils ne se voient pas comme des complices du clientélisme. Ils pensent aussi être condamnés à se plier au système. Mais ce sont eux qui peuvent changer cet état de choses. S’ils ne font rien, cette injustice risque de durer éternellement.

Une réponse de Callichurn attendue

Quid de la version du ministre du Travail, Soodesh Callichurn ? Joint au téléphone, il n’a pas voulu commenter mais nous a demandé de lui envoyer nos questions par mél, que nous reproduisons ci-dessous. Les réponses du ministre sont attendues aujourd’hui

● Est-ce vrai que la liste des noms contient également ceux suggérés par des ministres et députés ?

● Est-ce que c’est vrai que la liste générée par ordinateur inclut des noms donnés par ceux au pouvoir ?

● Cela est-il arrivé que les noms suggérés ne se trouvent pas dans la liste électronique, car ceux concernés n’ont pas fait estampiller leur carte de «chômeur» ?

● Si toutes les procédures sont suivies, comment expliquer le fait que des personnes ayant les mêmes qualifications et qui attendent depuis 20 ans n’ont pas été retenues alors que des candidats nouvellement inscrits ont pu, eux, se faire embaucher ?