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Précarité: Dans son fauteuil roulant, Laurent se sent aussi libre que le vent…

30 septembre 2018, 16:40

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Précarité: Dans son fauteuil roulant, Laurent se sent aussi libre que le vent…

Pourquoi est-ce toujours aux plus vulnérables que la vie ne fait pas de quartier ? C’est la question qui nous trotte en tête lorsque nous prenons connaissance de celle que mène cette trentenaire, originaire du Dockers Village de Baie-du-Tombeau. Très jeune, Sharon Ovide emménage avec un homme et tombe enceinte deux fois. À 19 ans, elle accouche de son aînée Shannon, une fille parfaitement constituée, qui a 18 ans aujourd’hui. Si la deuxième grossesse de Sharon Ovide se déroule sans heurts, elle apprend sur le tard qu’elle est enceinte de jumeaux. Et bien avant l’accouchement, son compagnon décide de la quitter et de jouer les abonnés absents.

Juste après la naissance de Laurie et de Laurent, le personnel hospitalier vient l’informer que ses bébés doivent être placés en incubateur car ils ont une malformation aux jambes. Le cas de Laurent est beaucoup plus grave que celui de sa soeur Laurie car son buste ne semble pas être connecté à son jambes. En grandissant, les deux bébés sont plusieurs fois opérés. C’est trois opérations pour Laurie qui lui permettent de marcher lorsqu’elle est en âge de le faire mais en boitant lourdement. Et une douzaine d’interventions pour Laurent dont l’état ne s’améliore pas d’un iota, au grand désespoir de sa mère. Laurent se déplace en se traînant à terre.

Lorsque les jumeaux sont en âge d’être scolarisés, ils fréquentent une maternelle de la localité. Et lorsqu’ils doivent intégrer le primaire, elle réussit à obtenir un petit fauteuil roulant du ministère de la Sécurité sociale. Elle y fait asseoir Laurent au quotidien et le pousse jusqu’à l’école Serge Coutet à Baie-du-Tombeau. Dans l’après-midi, c’est le même scénario lorsqu’elle le récupère pour regagner la maison de sa mère où elle a trouvé refuge depuis qu’elle est seule. Difficile dans de telles circonstances pour Sharon Ovide de trouver un emploi car à tout moment, l’école peut l’appeler par rapport à la santé de Laurent. De ce fait, les Ovide vivent des allocations de la Sécurité sociale. «Bizin konn koupé ek transé ek sakrifié», raconte la mère de famille.

Mais pas question pour elle de garder son fils à la maison. Pour ses enfants et malgré leur handicap, elle veut un développement le plus intégral possible. Pour faire admettre Laurent dans une école secondaire, c’est la croix et la bannière. Elle frappe aux portes de plusieurs écoles dans sa zone. Elle n’essuie que des refus en s’entendant dire que «zamé zot inn pran sa kalité zenfan-la. Mo sorti laba mo larm koulé mo dir ou».

Mais Sharon Ovide est tenace et ne lâche pas prise. Elle va jusqu’à raconter ses déboires à Finlay Salesse, rédacteur en chef de Radio One, qui l’encourage à saisir l’Equal Opportunities Commission. Ce qu’elle fait. Une école portlouisienne accepte sa soeur mais pas Laurent. Sharon Ovide reprend alors son bâton de pèlerin et retourne vers Radio One. Finlay Salesse sort de ses gonds contre le ministère de l’Education qui plaide alors l’ignorance. Toujours est-il que le ministère réussit à placer Laurent au SSS Port-Louis Nord. Celui-ci a besoin d’un fauteuil roulant manuel et Sharon Ovide se tourne cette fois vers le National Solidarity Fund qui lui propose de financer à moitié l’achat d’un fauteuil roulant manuel. «Zot inn met Rs 40 00 et monn met Rs 3 000.»

Elle pousse alors Laurent partout dans son fauteuil, que ce soit dans les rues du Docker’s Village ou à l’église, où elle l’emmène régulièrement. «Si mo pas ti krwar dan Bondié, kot mo ti pou été zordi ? Mové lespri pas parfwa dan mo latet sitan mo dekourazé mé ler mo mazinn bann zanfan, mo raviz mwa», confie-t-elle avec sincérité.

«Sa fer mwa plézir. Mo éna enn sansasion liberté extraordiner.»

La travailleuse sociale Rozy Khedoo la connaît depuis longtemps et l’aide comme elle le peut. C’est d’ailleurs grâce à cette dernière que Sharon Ovide est en contact avec Caritas Ile Maurice, qui lui fait régulièrement des dons. Il y a environ quatre mois, la travailleuse sociale reçoit un appel d’Armoogum Parsuramen, directeur de la Global Rainbow Foundation, qui aide bon nombre de personnes porteuses de handicap. Il veut savoir si elle connaît un enfant qui aurait besoin d’un fauteuil roulant électrique.

Bien que le handicap ne soit pas le domaine d’expertise de Rozy Khedoo, qui a longtemps encadré les enfants déscolarisés et les mères célibataires, la travailleuse sociale pense immédiatement à Laurent et met Sharon Ovide en contact avec Armoogum Parsuramen. Un matin, la mère de famille reçoit un appel de ce dernier qui l’invite à le rejoindre à l’usine Ariva à Baie-du- Tombeau. Sharon Ovide n’en croit alors pas ses yeux…

C’est ainsi que Laurent reçoit un fauteuil roulant électrique flambant neuf coûtant au bas mot Rs 48 000. En voyant l’engin, le visage de Laurent s’illumine. La tristesse qu’il ressentait après l’échec de chaque opération s’est envolée. Fini le sentiment de révolte qu’il pouvait parfois éprouver face à son état semi-végétatif. Il est heureux et sa mère l’est tout autant. «Mo fer tou zafer, mo al partou. Mo kapav al laboutik mo tousel, al get kamarad, al lamer ar mo bann kouzin-kouzinn lor sa fotey-la.» Laurent a même participé, sur son nouveau fauteuil motorisé, au pèlerinage du Bienheureux Père Laval le 8 septembre dernier, Sharon le suivant sur sa mobylette. «Ca fer mwa plézir. Mo ena enn sansasion liberté extraordiner», confie l’adolescent, le visage rayonnant.

Son seul regret est qu’il n’aille pas à l’école avec. Sharon Ovide a de bonnes raisons pour l’en empêcher. Les conducteurs, dit-elle, roulent trop vite et brutalement et elle ne veut pas qu’il arrive malheur à son garçon. De ce fait, elle a laissé l’ancien fauteuil roulant à l’école pour ne plus avoir à le trimballer au quotidien et paie un transport pour aller déposer Laurent à l’école et le récupérer à la fin des classes.

Une autre bonne raison à cette opposition est que le recteur de l’école veut que Laurent se déplace dans son ancien fauteuil pour susciter la compassion et la solidarité des autres élèves de l’établissement. Rozy Khedoo qui est ravie aussi, trouve toutefois que le National Solidarity Fund a les moyens nécessaires pour offrir de tels fauteuils électriques aux handicapés mais ne le fait pas. «L’État peut mieux faire dans la prise en charge des handicapés. Il ne faut pas tout laisser sur les épaules des organisations non gouvernementales.»

Le dernier point noir au tableau de Sharon Ovide c’est d’être obligée de vivre chez sa mère. «Mo mama bien zanti ek get bien mo zanfan mé mo tia kontan gagn enn ti lakaz pou momen ek mo bann zanfan. Mo kapav ramas mo kas ek ser-seré, met enn dépo Rs 20 000 parla. Mé li bizin dan rézion Porlwi ou pli lwin Pointe-aux-Sables akoz lékol mo garson. Nou ti pou pli alez dan nou ti kwin… »