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En Inde, deux statues aussi politiques que gigantesques

3 septembre 2018, 12:49

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En Inde, deux statues aussi politiques que gigantesques

 

Dans un coin reculé d'Inde, une armée d'ouvriers érige la plus haute statue de la planète, représentant un héros de l'indépendance du pays. Un emblème non dépourvu de symbolique politique   à l'instar d'une autre effigie colossale en projet.

En proie à un accès de nationalisme et de gigantisme aux mains des nationalistes hindous, l'Inde est engagée dans la construction de deux statues titanesques. La première est en cours d'achèvement dans le Gujarat (ouest), bastion du Premier ministre Narendra Modi. La seconde, annoncée pour 2021, figurera un célèbre roi-guerrier hindou dans la baie de Bombay.

Chacune mesurera le double de la statue de la Liberté de New York. Coût de ces chantiers: environ 800 millions d'euros.

Le taille de ces statues et le choix des personnages qu'elles représentent  tous deux emblèmes nationalistes hindous  ne sont cependant pas anodins, alors que l'Inde entre en campagne électorale en vue des élections législatives de l'année prochaine.

Le Bharatiya Janata Party (BJP), parti au pouvoir depuis 2014 à New Delhi, «s'approprie des icônes depuis quelque temps», note Sudha Pai du Indian Council of Social Science Research.

Au Gujarat, la "Statue de l'Unité", en l'honneur de l'un des personnages-clés de l'indépendance, Sardar Vallabhbhai Patel, culminera bientôt à 182 mètres de haut au barrage Sardar Sarovar.

Sur ce chantier, des milliers de travailleurs s'affairent actuellement à poser le revêtement en bronze en vue de l'inauguration programmée pour le 31 octobre, date anniversaire de la naissance du premier ministre de l'Intérieur de l'Inde post-coloniale.

Aussi appelé «l'homme de fer de l'Inde», pour la façon dont il a négocié le ralliement d'États princiers à la nation fraîchement émancipée, Patel est une figure politique révérée par les nationalistes hindous.

Ceux-ci considèrent que l'Histoire l'a injustement oublié au profit de Jawaharlal Nehru, premier chef de gouvernement du pays et issu des rangs du parti du Congrès, formation actuellement dans l'opposition.

«Patel a été utilisé pour effacer l'héritage de Nehru. Le BJP veut changer la façon dont l'Histoire est perçue et montrer que la droite était tout aussi importante dans la lutte de l'Inde pour la liberté» contre le colon britannique, analyse Sudha Pai.

 Aéroport Shivaji, gare Shivaji... 

Les positions de Patel, socialement conservateur et économiquement favorable aux milieux d'affaires, sont assez proches de celles du BJP d'aujourd'hui, explique Ghanshyam Shah, ancien professeur à l'université Jawaharlal Nehru de New Delhi.

"Chaque Indien regrette que Sardar Patel ne soit pas devenu le premier Premier ministre" d'Inde, avait déclaré M. Modi en 2013.

En mettant en avant la place de Patel dans l'histoire indienne, la droite hindoue cherche à contrecarrer le legs de Nehru et sa famille, qui ont dirigé l'Inde moderne durant plusieurs décennies.

«Modi a énormément utilisé le legs de Patel dans ses campagnes électorales. Il utilisera très vraisemblablement la Statue de l'Unité durant la campagne à venir, mais je m'inquiète de la façon dont cela influencera les électeurs», estime Ghanshyam Shah.

En 2016, le Premier ministre indien a également posé à Bombay la première pierre d'un mémorial controversé du roi marathe Chhatrapati Shivaji, le montrant chargeant épée au vent sur son cheval.

Prévue pour s'élever sur un affleurement rocheux en pleine mer face à la mégapole, la structure du Shivaji devrait dépasser celle du Patel de 30 mètres  en prenant en compte les piédestaux.

Notoire pour avoir combattu l'empire musulman des Moghols au XVIIe siècle, ce chef de guerre hindou est un héros régional au Maharashtra, État dont Bombay est la capitale. L'aéroport de la ville, la principale station ferroviaire ainsi qu'un parc sont déjà baptisés d'après Shivaji, dont le nom est souvent invoqué par le personnel politique local.

Les travaux préliminaires de la statue ont débuté pour récupérer des terres à la mer. Le complexe devrait notamment accueillir un musée, un amphithéâtre, un cinéma et des activités pour touristes.

Défenseurs de l'environnement et pêcheurs locaux s'opposent au projet en raison des dégâts que le chantier pourrait causer à l'écosystème.

Mais une facture d'ores et déjà faramineuse  36 milliards de roupies (440 millions d'euros), peut-être davantage et une date butoir rapprochée font que nombre d'habitants de la capitale économique doutent toutefois que le Shivaji soit achevé en 2021 comme prévu.