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Joannie Salmine: l’importance de rester vraie

26 août 2018, 23:30

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Joannie Salmine: l’importance de rester vraie

En tant que Guide Runner, soit coureuse accompagnatrice d’une athlète aveugle, cette jeune éducatrice de Lizié dan la main pourrait s’enorgueillir d’avoir été médaillée d’or au 100 mètres handisports aux Jeux des îles de l’océan Indien de 2015, même si c’est par disqualification de la véritable paire gagnante que cette médaille est tombée dans leur escarcelle. Tout comme Joannie Salmine pourrait tirer quelque fierté à être la plus jeune conseillère de la mairie de Quatre-Bornes, malgré le fait que c’est en raison de la noyade de la conseillère Alvina Rughooputh qu’elle y a fait son entrée. Or, ce n’est pas dans la nature de cette jeune femme de 25 ans de pavoiser.

L’important pour elle est «de rester vraie et humble, de ne jamais oublier d’où l’on vient et de ne pas se conformer à ce que les autres et la société attendent de moi mais de rester moi». Une échelle des valeurs d’abord transmises par Clairette, sa mère, femme au foyer, qui a élevé neuf enfants, dont huit garçons, et Eric, son père, contremaître dans une firme privée et conseiller municipal du MSM à Quatre-Bornes.

Des principes peaufinés grâce au côtoiement des religieuses de Lorette de Quatre-Bornes, surtout «Srs Jacqueline et Marie-Ange», et qui ont été gravés dans la pierre au contact des aveugles de Lizie dan la main où elle a d’abord agi comme bénévole pendant trois ans, avant d’y être employée comme éducatrice durant les deux dernières années.

Et cela, en dépit d’une licence en tourisme obtenue après quatre ans d’études à l’université de Maurice, filière qu’elle a vite abandonnée en raison des horaires extensibles. «Les horaires de l’hôtellerie ne me convenaient pas car la famille est importante pour moi.»

Joannie Salmine a choisi de faire du bénévolat à Lizié dans la main car avant elle, sa mère aidait aussi cette organisation à titre bénévole. Elle découvre qu’avec les aveugles, rien n’est acquis. «Les aveugles ressentent les choses, y compris aux inflexions de la voix. Les encadrer m’a appris à laisser tomber le masque et à être vraie et à dire les choses sans filtre», dit-elle, avant de préciser que sachant que toutes les vérités ne sont pas toujours bonnes à être entendues, elle sait quand elle doit faire preuve de tact.

«Les aveugles ressentent les choses, y compris aux inflexions de la voix. Les encadrer m’a appris à laisser tomber le masque et à être vraie et à dire les choses sans filtre.»

En 2015, elle tombe des nues lorsque la direction de Lizié dan la main lui demande d’être Guide Runner pour la jeune Andora Asaun, qui aime le sprint et qui a du potentiel sur 100 mètres. Course handisport qui présuppose avoir la main liée à celle de l’athlète non voyante qui doit obligatoirement avoir les yeux bandés, la diriger par la voix durant la course et accorder ses foulées à celles de cette dernière. «Cela demande une entente parfaite, une course au même rythme et beaucoup de coordination. En fait, il faut une confiance aveugle entre le Guide Runner et l’athlète non voyante.»

Joannie Salmine accepte sans vraiment savoir dans quoi elle s’engage. Pendant sept mois, elle suit des cours théoriques animés par la Visually Handicapped Federation, et Andora Asaun et elle s’entraînent régulièrement aux stades Germain Commarmond à Bambous et à Rose-Hill. Si leur entente est bonne, elle n’est cependant pas parfaite car les deux jeunes filles sont différentes. En mars-avril 2015, elles sont envoyées en Italie où elles participent à leur première compétition, soit le 100 mètres handisports. Elles sortent dernière avec un temps de 17 secondes alors que la championne, une Brésilienne, l’emporte en 13 secondes.

«Je ne suis pas forcément d’accord avec les dynasties familiales. Mais si une personne a les qualifications requises et fait ses preuves, ce n’est pas parce qu’il est fils de M. Untel qu’il ne doit pas être nommé. De toutes les façons, chacun a son opinion dessus.»

Deux mois plus tard, elles participent aux Jeux des îles à la Réunion. Si, au départ, elles sont trois paires en lice, les Seychelloises se désistent et elles doivent affronter les Réunionnaises. Au départ de la course, elles mènent. Mais durant les derniers 25 mètres, elles faiblissent et se font battre par la paire réunionnaise.

Une victoire toutefois contestée car l’aveugle réunionnaise n’a pas couru les yeux bandés. Cette dernière est disqualifiée et la médaille d’or revient à la paire mauricienne. Si Joannie Salmine a un léger goût amer en bouche par rapport à cette victoire acquise par disqualification, elle finit par se laisser gagner par les manifestations de joie de la délégation.

De retour au pays, les deux femmes, très conscientes de leurs différences, stoppent tout entraînement, Andora Asaum poursuivant ses études et son Guide Runner son parcours. Sauf que la fédération leur a fait savoir l’an dernier qu’elles doivent remettre leur médaille en jeu lors des prochains Jeux des îles à Maurice en 2019. Elles ont alors dû reprendre l’entraînement quatre fois la semaine à Rose-Belle.

Cette fois, c’est Joannie Salmine qui a posé ses conditions. «En 2015, je suivais Andora. Cette fois, c’est ensemble que nous allons nous entraîner et surtout courir comme si nous n’étions qu’une seule personne.» La jeune aveugle a accepté. Si bien que depuis, leur temps s’est amélioré, passant à 16 secondes.

«Nous avons pour objectif de passer à 15 secondes, voire à 14 secondes, jusqu’à décembre. Cela demande beaucoup d’entraînements, de discipline sportive et alimentaire, et une confiance à toute épreuve. La compréhension entre nous s’est améliorée. Elle me considère désormais comme sa grande sœur et m’écoute.»

Pravind Jugnauth est toujours entouré de sa femme et de ses filles. Je me retrouve dans ces valeurs familiales-là.»

De son côté, Joannie Salmine, qui vient d’entamer un diplôme en coaching sportif auprès de l’université de Technologie de Maurice, ne veut pas mélanger le professionnel et le personnel, et garde une certaine réserve. «Je veux pouvoir la critiquer et être dure envers elle quand il le faut sans que les émotions ne s’en mêlent.»

Si depuis les élections municipales de 2014, elle aide son père avec la paperasse administrative du parti, le porte-à-porte lui fait rencontrer les citadins et elle apprécie le contact humain. Le président de la régionale de la ville des fleurs, Sham Khemloliva, l’encourage à s’engager en mettant son nom sur la liste des candidats de réserve pour les municipales.

Joannie Salmine n’y pense plus jusqu’au décès de la conseillère Rughooputh et à l’appel de la Commission électorale qui lui annonce que c’est elle qui doit remplacer la défunte. Bien que ce soit une nomination effectuée «par la force des choses», dans tout ce qui lui arrive, Joannie Salmine y voit la main de la Providence. Et la chance.

Cela ne la dérange pas que l’actuel Premier ministre, Pravind Jugnauth, n’ait pas été officiellement présenté comme tel durant la campagne électorale de 2014. «Quel père ou mère ne pousserait pas son enfant sur le devant de la scène ?» dit-elle.

Est-ce à dire qu’elle est favorable à la continuation des dynasties familiales en politique ? «Je ne suis pas forcément d’accord avec les dynasties familiales. Mais si une personne a les qualifications requises et fait ses preuves, ce n’est pas parce qu’il est fils de M. Untel qu’il ne doit pas être nommé. De toutes les façons, chacun a son opinion dessus.»

Si elle apprécie Pravind Jugnauth, c’est parce qu’à ses yeux, il incarne les valeurs familiales. «Il est toujours entouré de sa femme et de ses filles. Je me retrouve dans ces valeurs familiales-là.»

Est-elle toujours sur la même longueur d’ondes politiques que son père ? «Cela arrive que nous ayons des divergences de vues.» Sur quoi par exemple ? «Sur des sujets qu’il prend pour acquis alors que moi je questionne et donne le bénéfice du doute.» Nous n’en saurons pas plus.

En sus d’obtenir son diplôme de coach sportif pour «aider un maximum de personnes à développer leur potentiel», elle est préoccupée par la solitude des personnes âgées qui n’ont pas toutes les moyens d’intégrer les institutions coûteuses pour vieux, de même que par la banalisation du travail sexuel. Joannie Salmine estime que le gouvernement pourrait construire un «home» confortable et pas cher pour les personnes âgées et offrir des portes de sortie aux travailleuses du sexe qui le désirent, sous forme de reconversion.