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Face à la censure chinoise, Google tiraillé entre développement et principes

19 août 2018, 11:27

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Face à la censure chinoise, Google tiraillé entre développement et principes

Le projet de Google de développer un moteur de recherches compatible avec la censure pour se réinstaller en Chine, a provoqué l’ire des employés du géant de la tech, illustrant le dilemme auquel est confronté le secteur pour accéder à des marchés lucratifs.

«L’industrie de la technologie a une vision utopique du monde et de lui-même», avance Irina Raicu, directrice du programme de déontologie de l’internet à l’université de Santa Clara en Californie.

Rendre le monde meilleur est un adage bien connu dans la Silicon Valley, prêché de manière intense par les géants comme Google ou Facebook et qui fait partie de leur identité.

Face à la censure et aux cyberattaques, Google avait retiré son moteur de recherche de Chine en 2010 et nombre de ses services restent depuis bloqués dans la deuxième économie mondiale. Un hypothétique retour en Chine du géant de l’internet, qui s’est autoproclamé champion de l’information librement accessible dans le monde, fait donc polémique au sein du groupe.

Selon la presse américaine, des centaines d’employés de Google ont ainsi signé une lettre de protestation après des informations rapportant que leur compagnie travaillait sur le développement d’une version de son moteur de recherche adaptée aux exigences de censure de Pékin.

Les employés veulent en savoir davantage sur ce projet baptisé «Dragonfly», invoquant leur droit à contrôler l’éthique de leur travail au sein de l’entreprise et Google aura du mal à expliquer sa participation à la censure en ligne en Chine, selon Irina Raicu.

«Nous voyons les employés commencer à montrer les muscles», note Mme Raicu. «Ils veulent changer le monde et (le projet de Google) ne va pas dans ce sens».

Le patron de Google Sundar Pichai a assuré, selon des propos rapportés vendredi par l’agence Bloomberg, qu’il ne s’agissait, pour l’heure, que d’une piste «exploratoire».

- «Ne pas faire le mal» -

L’idéalisme des grandes entreprises de la Silicon Valley, qui se sont forgées une image de sociétés dévouées à faire le bien, ou du moins à «ne pas faire le mal», s’est heurté fréquemment à la réalité quand elles ont dû faire des compromis avec des gouvernements qui bâillonnent l’activité sur internet.

En Chine, Facebook est interdit mais la société de Mark Zuckerberg ne s’est pas privée d’explorer les opportunités d’y établir une tête de pont, même si elle est réduite à un «incubateur» qui encourage les entrepreneurs locaux.

L’an dernier, le premier réseau social mondial a discrètement lancé en Chine, par le biais d’un développeur local, une application de partage de photos baptisée «Colorful Balloons» (Ballons de couleur). Et il y a deux ans, Facebook avait été accusé d’avoir développé des outils permettant de filtrer les sujets interdits par la censure chinoise.

Même Apple a dû faire des concessions en Chine, retirant des produits de ses magasins et transférant le contrôle du cloud des clients chinois --le stockage en ligne de documents-- à une compagnie locale.

En attendant, des compagnies internet chinoises comme Baidu, Tencent, Alibaba et WeChat ont prospéré.

- Droit de savoir -

Si Google et d’autres titans de la tech cotées en Bourse aux Etats-Unis sont juridiquement obligés de maximiser leur valeur pour l’actionnaire, être perçus comme donnant «un petit coup de pouce à l’oppression en Chine» peut nuire à leurs affaires comme à leur réputation, note Cynthia Wong, de Human Rights Watch.

Cette chercheuse spécialiste de l’internet appelle les firmes de la tech voulant commercer avec la Chine à mettre des programmes en place pour améliorer la situation au regard de la censure et des droits de l’homme, qui s’est aggravée depuis le départ de Google.

L’entreprise fait partie des compagnies de la haute technologie qui se vantent d’une culture où les salariés sont encouragées à partager leurs opinions, où l’environnement est favorable aux engagements des employés quand les valeurs semblent compromises, selon Ann Skeet, du centre d’éthique à l’université Santa Clara.

Les employés, dont beaucoup sont des «Millennials» (18-35 ans), ressentent aussi un droit de savoir comment leur travail va être utilisé --et être ainsi en mesure de décider s’ils en accommodent.