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Dani Joseph: «Le glyphosate est effectivement un poison mais...»

19 août 2018, 15:00

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Dani Joseph: «Le glyphosate est effectivement un poison mais...»

La semaine dernière, le géant des pesticides Monsanto a été condamné à verser une somme gigantesque à un jardinier américain atteint d’un cancer. Au cœur du procès, la molécule du glyphosate, composante essentielle du produit star de la firme, le Roundup. Dani Joseph fait partie de ceux qui le commercialisent à Maurice. Le controversé herbicide, selon lui, ne serait «pas plus méchant» qu’un autre. Mais, problème : ses mauvais usages perdurent.

Avant que je vienne vous voir, vous m’avez dit: «On ne va pas se mentir, le glyphosate est un poison.» Êtes-vous un empoisonneur ?

Le glyphosate est effectivement un poison, mais pas pour l’homme, pour les mauvaises herbes, à condition de l’utiliser correctement. Avant d’y venir, il faut d’abord comprendre de quoi on parle. Le glyphosate est la molécule active du désherbant le plus utilisé au monde : le Roundup de Monsanto. C’est une molécule de synthèse, c’est-à-dire qu’elle n’existe pas naturellement, elle a été créée dans les années 1950. Le brevet de cette substance est passé dans le domaine public en 2000, permettant à d’autres marques de multiplier les génériques du Roundup. Une dizaine de ces marques sont commercialisées et utilisées à Maurice.

Par qui et dans quelle proportion ?

Par tout le monde : les jardiniers amateurs, les planteurs… En 2016, Maurice a consommé 160 tonnes de glyphosate. Island Chemicals (NdlR, la compagnie qu’il dirige) en commercialise une vingtaine de tonnes par an.

Comment l’utilise-t-on ?

Pas comme aux États-Unis. Là-bas, on s’en sert pour désherber une culture en place, par exemple des champs de maïs ou de soja, ces plantes étant génétiquement modifiées pour résister au glyphosate. À Maurice, aucune culture n’y est tolérante. Si vous en mettez sur un champ de canne, vous allez tout détruire, les mauvaises herbes mais aussi la canne ! Le glyphosate est un herbicide «non sélectif», autrement dit, il tue toutes les plantes sans distinction. On l’utilise chez nous pour «brûler» les champs avant de replanter.

À quoi ressemble ce produit et comment agit-il ?

Ce sont des granulés à faire fondre dans l’eau, la dose varie selon le type d’herbe à éliminer. Pour faire simple, le glyphosate bloque un enzyme dont la plante a besoin pour sa survie. Seul, il n’a pas beaucoup d’effets car il pénètre mal les cellules de la plante. Les industriels ajoutent d’autres ingrédients chimiques – des surfactants – pour faciliter son absorption. C’est ce mélange qui est vaporisé sur les feuilles. Il se diffuse par la sève jusqu’aux racines, entraînant la mort de la plante en dix à quinze jours.

C’est radical…

Oui, mais s’en passer impliquerait de gros surcoûts de production. L’autre avantage, c’est que le traitement au glyphosate n’empêche pas de replanter deux semaines après la pulvérisation. Pour la simple et bonne raison que la molécule est inactivée au contact du sol.

La fable du sol miraculeusement «propre»…

Ce n’est pas une fable : le produit qui n’atteint pas la plante est dégradé par les micro-organismes du sol, il n’a pas d’activité sur la culture suivante. C’est l’une des raisons de son succès.

On a pourtant trouvé des résidus de glyphosate dans de nombreux produits de consommation, comme des céréales pour petit-déjeuner, des pâtes ou des légumineuses. Vous l’expliquez comment ?

Je demande à voir ces études (1). Peut-être des cas de drift, quand le produit est entraîné par le vent dans un champ voisin.

Niez-vous la dangerosité de ce produit ?

Le glyphosate, comme beaucoup d’autres substances chimiques, n’est pas dangereux dans le cadre d’une utilisation normale. Les planteurs doivent évidemment prendre des précautions lorsqu’ils l’emploient sur leurs champs, mais ce n’est pas différent des nombreux autres produits qu’un professionnel est amené à manipuler dans le cadre de son travail. Cet herbicide n’est pas plus méchant qu’un autre. Le problème, c’est la façon dont il est utilisé : beaucoup font n’importe quoi.

C’est-à-dire ?

Entre ceux qui ne lisent pas l’étiquette, ceux qui ne respectent pas les doses «pour être sûr que ça marche», ceux qui ne portent pas de protection… Manipuler du poison à main nu et sans masque, c’est dangereux ! À Crop Life (NdlR, le principal lobby des pesticides), nous faisons régulièrement de la formation. Le but est de changer les habitudes. Prenez les sprayermen qui désherbent les abords des routes: je ne compte plus les fois où je m’arrête pour leur dire de se protéger. Les gars n’ont rien, zéro protection. Ce n’est pas du suicide, mais presque.

Le minimum, c’est quoi ?

Une combinaison, des gants, des bottes et un masque. Dewayne Johnson, le jardinier américain atteint d’un cancer incurable qui a fait condamner Monsanto (NdlR, pour avoir caché la dangerosité de son herbicide Roundup) a expliqué au tribunal avoir été aspergé de glyphosate. Et pas qu’un peu, de la tête au pied. C’est arrivé à deux reprises, à cause d’un problème de vaporisateur. C’est un cas extrême mais cela montre qu’il faut être très prudent dans le maniement du produit. À toutes les étapes : la préparation, l’utilisation, le stockage. Et avec tous les pesticides, pas seulement le glyphosate.

Pensez-vous que nous avons à Maurice des Dewayne Johnson qui s’ignorent ?

Oui. Parce que nous avons des utilisateurs qui sous-estiment, voire ignorent carrément, les risques d’un contact avec la peau.

Cela pourrait-il mener à une hécatombe de cancers ?

Cela pourrait entraîner des problèmes de santé. Mais aucun lien entre cancer et glyphosate n’a été prouvé.

«La saucisse est considérée comme cancérigène certain par l’OMS ! (…) Pourtant, il n’y a aucun avertissement sur les emballages. On continue à manger de la rougay!»

Le Centre international de recherche sur le cancer (Circ), qui dépend de l’OMS, a classé le glyphosate comme «probablement cancérigène».

«Probablement», pas sûrement… J’aimerais vous montrer quelque chose (il allume son laptop). Regardez : le Circ définit cinq groupes d’agents cancérigènes en fonction de leur dangerosité. Le premier est celui des cancérigènes avérés. Il comprend 120 substances mais pas le glyphosate, qui se trouve dans le groupe 2. Par contre, on trouve la viande transformée, autrement dit, la saucisse est considérée comme cancérigène par l’OMS ! Dans le même sac que l’amiante, les particules fines, l’alcool, le tabac, les poussières de bois ou les rayons du Soleil. Et pourtant, il n’y a aucun avertissement sur les emballages de saucisse. On continue à manger de la rougay !

Où voulez-vous en venir ?

Je cherche le rationnel. Pourquoi s’affoler sur d’éventuels risques cancérigènes du glyphosate, plus que sur ceux, certains, du tabac ou des UV ? Cette croisade est absurde. Oui, le glyphosate est un poison, il est même employé dans ce but. C’est un désherbant, il tue les plantes. En le diabolisant, on passe à côté du vrai débat : comment faire pour que nos planteurs appliquent enfin les recommandations d’usage ? Parce qu’il est là, le vrai danger : dans les mauvaises pratiques encore trop courantes à Maurice.

(1) : L’une de ces études est consultable ici : https:// www.generations-futures. fr/actualites/glyphosateresidus-aliments-rapport/