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Roland Dubois : «Soit on laisse les entreprises fermer soit on fait appel à la main-d’œuvre étrangère»

19 juillet 2018, 08:25

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Roland Dubois : «Soit on laisse les entreprises fermer soit on fait appel à la main-d’œuvre étrangère»

La main-d’œuvre étrangère est-elle la planche de salut des secteurs manufacturier et de la construction ? Celle-ci est un mal nécessaire si Maurice veut atteindre un statut d’économie à haut revenu, estime Roland Dubois, consultant en formation. Il revient sur la libéralisation des permis de travail aux étrangers et les manquements en formation.

Le gouvernement entend libéraliser l’octroi des permis de travail aux étrangers pour fournir la main-d’œuvre aux secteurs qui peinent à en trouver. Mais cette mesure fait déjà polémique. Votre avis ?

Toutes les grandes puissances du monde telles l’Australie et les États-Unis, ainsi que Maurice, ont eu besoin de main-d’œuvre étrangère pour faire fonctionner leur économie respective. Plusieurs entreprises à Maurice éprouvent présentement de sérieuses difficultés à recruter des travailleurs mauriciens dans la construction, le textile, l’agriculture, la boulangerie, entre autres. En fait, les Mauriciens ne s’intéressent pas à ces secteurs pour plusieurs raisons, notamment à cause des heures de travail – comme en boulangerie – et des rémunérations. Espérons que le salaire minimal introduit depuis le début de l’année réussira à contrecarrer cette tendance dans certains secteurs.

Ainsi, le choix est très clair : soit on laisse ces entreprises fermer leurs portes faute de main-d’œuvre locale, soit on a recours à une main-d’œuvre étrangère pour faire tourner ces entreprises. Parallèlement, on protège les emplois des Mauriciens déjà en poste. Certainement, une compagnie aurait préféré recruter la main-d’œuvre mauricienne si elle en avait le choix, ce qui lui coûterait moins cher. En effet, pour les travailleurs étrangers, il faut payer leurs billets d’avion et leur logement, des dépenses non imputables pour les Mauriciens. Un autre facteur souvent négligé est la culture des travailleurs étrangers qui diffère de la nôtre et demande compréhension, adaptation et gestion délicate.

Cela paraît paradoxal que Maurice recrute des travailleurs étrangers tandis qu’il s’en trouve des chômeurs sur le marché. Mais il faut se demander si les chômeurs sont prêts à faire le travail exigé par l’employeur, qui est aussi un businessman qui ne peut pas laisser ses outils de travail tourner au ralenti. Du coup, les entreprises vont recruter une main-d’œuvre plus productive, disciplinée et compétitive. Et on en a besoin surtout dans les sociétés qui exportent et doivent obligatoirement répondre à la compétition et au respect de la qualité des produits, le temps de livraison et le facteur coût afin de ne pas être hors prix.

Outre l’intention d’attirer des professionnels à travers des ‘Occupation permits’, les ouvriers étrangers avec des qualifications sont aussi concernés. Est-ce une bonne chose selon vous ?

Vous avez bien dit : il s’agit d’ouvriers étrangers avec des qualifications. J’ajouterai le mot «compétence». Depuis un certain temps déjà, les gouvernements successifs veulent que Maurice bouge d’un statut de moyen revenu à une économie à haut revenu, soit avec un produit intérieur brut de plus de $ 12 000 par tête d’habitant. Le taux de croissance tourne autour de moins de 4 %, impliquant que Maurice arriverait très difficilement au statut visé. À mon avis, il faudra que tous les Mauriciens indistinctement y contribuent professionnellement et productivement.

Il ne faut pas se voiler la face et se cacher derrière ce conservatisme qui fait croire qu’on a toutes les compétences à Maurice. À un certain moment, 40 % des ingénieurs travaillant à Singapour étaient des étrangers. Et si des pays comme les États-Unis et le Canada peuvent ouvrir leurs frontières aux étrangers détenant les connaissances qu’ils ne possèdent pas, pourquoi pas nous ? Voyons les grosses entreprises comme Google et Microsoft qui recrutent énormément d’étrangers.

Au final, le pays tout entier en bénéficie. Alors, si Maurice veut passer à un autre statut économique, il doit obligatoirement faciliter la venue de professionnels reconnus dans diverses filières qui formeront à leur tour des Mauriciens. Placés sous une telle supervision, ces derniers contribueront à l’élaboration d’une masse critique de professionnels que nous n’avons pas au pays. Pensons par exemple aux professeurs d’université avec leur équipe scientifique qui rehausseront la qualité de nos recherches  universitaires. Croyez-moi : on en a besoin car trop d’amateurs se font passer pour des professionnels à Maurice.

L’ensemble des recherches du Human Resource Development Council (HRDC) démontre un manque de compétences dans plusieurs filières. Lesquelles ont plus de mal à recruter et pourquoi ?

À mon avis, la technologie progresse à une rapidité vertigineuse, notamment dans les domaines du numérique et de l’information. Au fait, la technologie contrôle tout aujourd’hui : téléphone, télévision, machine à laver, four, voiture et même le système financier, chaque élément est contrôlé par le numérique. Et l’avenir se trouve de plus en plus dans la technologie. Alors y sommesnous préparés ? Notre système d’éducation et de formation a-t-il suivi ? Je répondrai par la négative. Il y a une inadéquation entre formation et emploi comme dans tous les pays du monde, mais plus particulièrement dans les pays moins développés et en développement comme Maurice.

Pourquoi ?

Voyons ces jeunes qui inondent le marché du travail chaque année après avoir passé presque 20 ans de leur vie dans des institutions secondaires et supérieures. Ils ont amassé un bagage académique dans des filières déjà saturées, donc en déphasage avec la demande des entreprises. La qualité de la formation aussi fait défaut. D’ailleurs, une grande majorité des diplômés n’arrivent pas à s’exprimer, aussi bien au niveau de l’écrit qu’à l’oral, dans les business languages que sont le français et l’anglais. Paradoxalement, on sent cette volonté pour que tous ces jeunes deviennent des diplômés universitaires au détriment de la formation professionnelle. Pourtant, on a besoin de techniciens pour opérer et faire la maintenance des équipements. Là se pose un gros problème. On investit gros dans l’achat des équipements mais quid de leur entretien ? À cela s’ajoute un véritable manque de techniciens supérieurs et cadres moyens.

 Presque 45 % des personnes enregistrées au bureau de l’emploi ne possèdent même pas un School Certificate, donc ils ne sont pas vraiment employables sauf à certains niveaux d’opération uniquement. Dans cette lignée, le HRDC a mis en place le National Skills Development Programme afin d’aider ces jeunes à développer certaines compétences à travers la formation en consultation avec l’industrie. Mais là aussi, il faut mesurer l’impact de ces plans de formation et y apporter des changements si nécessaire.

D’ici cinq à dix ans, Maurice atteindra environ 100 000 travailleurs étrangers selon des syndicalistes. Ne sommes-nous pas trop dépendants de cette main-d’œuvre, surtout dans le secteur manufacturier et la construction ?

La main-d’œuvre comptait 545 000 Mauriciens en 2017 et 41 000 étrangers, ce qui représente un peu moins de 7 % de la main-d’œuvre totale, d’après Statistics Mauritius. J’ignore d’où vient ce chiffre de 100 000 travailleurs étrangers dans cinq à dix ans. Mais si on n’arrive pas à trouver la main-d’œuvre localement, il nous faudra obligatoirement nous tourner vers les travailleurs étrangers. On n’a pas le choix !

Serait-ce dû, à la base, à une mauvaise planification de nos ressources humaines ?

Je dirais plutôt que notre système d’éducation et de formation demande à être revu comme cela se fait dans beaucoup de pays et accompagné d’un observatoire de l’emploi. Il ne faut pas découpler la formation et l’emploi. On a besoin d’un système cohérent qui dicte la formation dans différentes filières porteuses tout en aidant les jeunes à choisir le programme le plus adapté à leurs aptitudes. Présentement, si on demande à l’un d’eux la raison de son choix, c’est soit ses parents auront choisi pour lui, soit ce sera en rapport à ses amis ou aux matières choisies antérieurement au secondaire. Éventuellement, il se trouve au chômage à la fin de son diplôme ayant fait le mauvais choix.

Le pire est qu’il campe sur ses positions et ne veut pas changer d’orientation car on ne lui a pas enseigné comment apprendre à apprendre.

Quelles sont les alternatives à la main-d’œuvre étrangère ?

La main-d’œuvre étrangère est un mal nécessaire. Si Maurice veut continuer sur sa lancée et changer de palier pour atteindre son statut d’économie à haut revenu, il faudra composer avec. Le pire, c’est que le taux de naissances à Maurice diminue et nous met dans une situation difficile. Qui va alors produire pour payer les services sociaux des moins lotis et la pension universelle avec une population mauricienne vieillissante ?

Les prévisions du chômage seraient de 6,9 % pour 2018, ce qui est un pourcentage inférieur aux années précédentes. À quoi est-ce dû selon vous ?

D’après les prévisions statistiques, la tendance du chômage depuis 2012 est à la baisse à Maurice. En fait, les taux étaient de 7,3 % en 2016, 7,1 % en 2017 et 6,9 % en 2018. Mais il faut souligner que le chômage des jeunes âgés entre16 et 24 ans est plus ou moins constant, se situant autour de 24 %. La baisse du chômage serait à mon avis liée aux gros projets entamés dans la construction, les TIC, entre autres. De plus, le Youth Employment Programme et le Back to Work ont certainement eu un effet sur l’emploi.

Quels sont les secteurs nécessitant plus d’investissements en termes de formation et de compétences ?

D’abord, il y a le secteur de l’informatique qui demande un accent sur des développeurs de logiciels, des scientifiques du data, des personnes formées pour les technologies émergentes telles que l’intelligence artificielle, le blockchain, la cryptomonnaie, etc. Les nouvelles énergies, l’énergie verte, la science de l’environnement, la nouvelle technologie automobile, la mécatronique, les génies géologiques, les génies pétrolières, la réfrigération industrielle, la mécanique de précision, la comptabilité française, entre autres, sont autant de filières où Maurice doit investir.

Comment le travailleur de demain doit-il s’outiller pour répondre aux exigences du marché de l’emploi ?

Le travailleur de demain doit se préparer pour une formation à vie. Donc, il doit pouvoir maîtriser la lecture, l’écriture, les mathématiques et l’informatique. Il doit pouvoir apprendre à apprendre. En sus de ses compétences académiques ou techniques, il doit être un entrepreneur et posséder des compétences de leadership et d’employabilité et être conscient de son environnement et des moyens de le protéger.