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Une relation familiale normale avec un sourd est possible

15 juillet 2018, 22:53

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Une relation familiale normale avec un sourd est possible

Entre personnes à l’audition intacte, il y a des incompréhensions parfois. Il n’en est pas autrement entre un sourd et ses proches qui entendent. C’est l’avis de Philippe Zoïle, ancien enseignant du collège Adventiste dont le fils Josian est né sourd. Voici leur histoire dans le cadre des 50 ans de la Society for the Welfare of the Deaf.

Un sourd est une personne comme une autre avec ses qualités, ses défauts, son caractère bien trempé, voire son entêtement. Il n’y a aucune différence. Et la surdité n’est pas un obstacle aux relations normales, avec leurs hauts et leurs bas. C’est ce qu’explique Philippe Zoïle, père de Josian. Ce dernier est âgé de 43 ans et sa particularité physique est qu’il a les yeux vairons, c’est-à-dire qu’il a un iris bleu et l'autre marron clair. C’est un trait de famille, indique son père. 

Comment sa surdité a été découverte

C’est Philippe Zoïle qui réalise que son fils est né sourd. «A la naissance, c’était trop tôt pour le dire. Si les médecins le savaient, ils ne me l’ont pas dit. Je l’ai découvert lorsqu’il avait cinq à six mois. Il était assis par terre et me tournait le dos. Il jouait avec ses joujoux. Je l’ai appelé une fois, deux fois. Il n’a pas réagi. C’est là que j’ai réalisé que Josian était sourd».

 Philippe Zoïle en parle à sa femme Margaret mais celle-ci est incrédule. Etant de nature à tout rationnaliser, Philippe Zoïle décide d’emmener son fils consulter un pédiatre. Le praticien confirme la surdité et les dirige vers l’hôpital ENT à Vacoas. C’est dans ce centre de soins qu’ils apprennent l’existence de la Society for the Welfare of the Deaf. Ils y vont et la première personne que les Zoïle rencontrent alors est la Sr Marie de la Visitation qui en est la responsable.  Elle ne veut pas entendre parler de la langue des signes. «Avec elle, c’était l’oralité ou le mouvement des lèvres. De ce fait, pendant des années, c’est comme que Josian a communiqué avec nous et vice-versa», explique Philippe Zoïle. 

Ses petits boulots

Josian fréquente la Society for the Welfare of the Deaf à mi-temps puis à plein temps. Mais il n’aime pas l’école et fait souvent l’école buissonnière. A 16 ans, il décide de ne plus y aller et de chercher du travail. Il commence comme machiniste dans une usine. Tout marche bien mais cela ne dure pas. «Il a travaillé dans plusieurs usines comme machiniste, a fait de la menuiserie chez Craft Aid. Il a été souffleur de verre à la Phoenix Glass Gallery. Mais au bout du compte, il y avait toujours quelque chose qui n’allait pas. Il se brouillait avec ses collègues ou il disait que l’on se moquait de lui et ne voulait plus reprendre le travail. Il a changé plusieurs fois de travail ainsi.»

Ses parents essaient de lui faciliter la vie comme ils le peuvent. Il s’intéresse à la pâtisserie ? Ils s’arrangent pour que Josian suive un cours. Josian fait des gâteaux et enfourche son vélo pour aller les vendre à Rose-Hill. Cette aventure fonctionne pour un temps. Et puis Josian rentre en disant qu’il n’a pu se faire comprendre. Le problème est aggravé par une panne de four et Josian décide de passer à autre chose. 

Leur fils s’intéresse à la vente de poulets frais ? Ils font construire un petit emplacement devant leur maison pour qu’il s’y active. «Le business a fonctionné mais après, il a réalisé que ce n’était pas rentable et que pour l’être, il aurait fallu le faire à grande échelle.»

Son permis de conduire en poche

Josian capte pourtant les choses rapidement. Lorsque la Traffic Branch introduit le permis de conduire pour les sourds, lui qui a appris à conduire par lui-même dès l’âge de sept ans est le premier sourd à passer le test et à obtenir son permis.

S’il est vrai que Josian a un caractère bien trempé et une tête bien à lui, il joue aussi de malchance. Ayant réussi à se faire embaucher comme chauffeur de transport des employés par la mairie de Vacoas-Phoenix, il apprécie énormément son emploi. Matin et soir, il va chercher les employés chez eux et les dépose à la fin de la journée. Il le fait pendant six mois. Jusqu’à ce qu’une employée municipale réalise qu’il est sourd et qu’elle proteste, arguant que c’est une question de sécurité. Josian est alors renvoyé.    

Internet, sa planche de salut

Dégoûté, il ne veut plus reprendre le chemin du travail. Et il est conforté dans cette décision depuis qu’il a un ordinateur. Il passe ses journées et ses nuits à surfer sur le Net et à nouer des amitiés avec des sourds du monde entier. «Vous n’imaginez pas combien d’amis sourds Josian a sur le Net. Ils sont très solidaires», déclare Phlippe Zoïle. Josian qui est sportif, prend part au Walk Around Mauritius organisé par la Gold Award Holders Association. A trois reprises dans le passé, il a obtenu la médaille d’or. Il est aussi un passionné de photographie. Il a déjà voyagé et s’est rendu en France, en Afrique du Sud et en Inde. 

Ses relations amoureuses

Même au niveau de sa vie privée, Josian fait comme tout le monde. Un jour, il a débarqué chez ses parents avec une employée de la Society for the Welfare of the Deaf et leur a annoncé qu’ils étaient amoureux. Ils se sont mariés en 1997 et sont partis travailler aux Seychelles dans un petit hôtel. Ils y seraient restés longtemps s’il n’y avait eu un problème avec leur permis de travail. Ils ont eu un fils, Ashil, aujourd’hui âgé de 18 ans.

 Et comme dans n’importe quel couple, il y a eu des incompréhensions entre eux qui ont fini par déboucher sur un divorce. Son ex-femme et son fils vivent aujourd’hui en Australie mais ils ont gardé contact. Josian qui a été sollicitée par la Society for the Welfare of the Deaf pour contribuer au dictionnaire pour les sourds en 2006, a refait sa vie avec Irani Jankee, qui travaille à la Society for the Welfare of the Deaf et qui est interprète pour la Mauritius Broadcasting Corporation. Ensemble, ils ont eu deux filles, Mathilde, dix ans et Judith, huit ans, qui ont une audition parfaite. 
Elles ont bénéficié de l’encadrement de leurs grands-parents. Et lorsqu’elles ont commencé à parler, elles n’ont eu aucune peine à communiquer avec Josian et sa compagne. Josian dont les propos sont interprétés par Danny de la Society for the Welfare of the Deaf, précise que les Children of Deaf Adults font les meilleurs interprètes car ils communiquent avec leurs parents sourds depuis qu’ils sont tout-petits, si bien que cela en devient naturel. C’est son cas avec ses filles. Les gamines fréquentent l’école Notre Dame des Victoires. 

Sa débrouillardise

Josian perçoit une pension du ministère de la Sécurité sociale et ses filles aussi. Une somme totalisant Rs 8 000 qui leur permet de se débrouiller. Ce sont les grands-parents qui paient les cours de danse et de musique de leurs petits-enfants.

Josian est si débrouillard que son père ne craint pas le jour où lui et son épouse mourront. «Il est indépendant. Sa sœur habite à l’étage et il a une sœur en France. Il sera bien entouré. Je souhaite surtout vivre jusqu’à ce que mes petites-filles soient indépendantes.»

Philippe Zoïle est formel : les nombreux contacts que Josian a eus à la Society for the Welfare of the Deaf ont amélioré sa communication et sa socialisation. «Il a acquis des concepts. Il peut communiquer et on le comprend.» Josian qui voudrait progresser et apprendre d’autres choses, trouve que la société a fait des progrès envers les sourds. Mais qu’ils restent malgré tout des incompris. Il espère que le ministère de la Sécurité sociale mettra davantage d’opportunités à leur disposition.

La Society for the Welfare of the Deaf remplit sa mission

Il y a 50 ans, de nombreuses personnes étaient persuadées que la surdité était le résultat d’une malédiction divine. Les sourds étaient mis de côté et n’avaient accès ni à l’éducation, ni au travail. Un comité avec des représentants de la société civile et du ministère de la Sécurité sociale, dont M. Jomadar et Valadon, a été institué en 1965 et ses membres ont décidé de changer la donne. C’est ce comité pour le bien-être des sourds qui est devenu la Society for the Welfare of the Deaf. Comme l’a souligné le Dr Noorjehan Joonas, présidente du conseil d’administration de la Society for the Welfare of the Deaf lors de la célébration du 50e anniversaire, cet organisme a permis aux sourds de surmonter progressivement les obstacles en leur offrant une éducation qui tienne compte de leur spécificité. 
Depuis, la Society for the Welfare of the Deaf a été à l’origine de nombreuses initiatives en faveur des personnes souffrant de surdité ou malentendantes, notamment l’école des sourds, qui a développé la langue des signes mauricienne, une étape importante dans la mission d’intégration de la Society for the Welfare of the Deaf. Aujourd’hui, l’école des sourds se concentre toujours sur l’éducation. «Nos élèves sont au coeur de nos actions et notre objectif est de leur offrir un environnement à la fois motivant et productif. Nous misons aussi beaucoup sur le développement des compétences, à la fois pour nos élèves, les éducateurs et les interprètes. C’est cela qui a permis à de nombreux élèves de trouver un emploi à Maurice, mais aussi à l’étranger», a ajouté le Dr. Joonas. Les programmes proposés par l’école des sourds sont conçus en collaboration avec des organisations internationales dont l’Union européenne, qui soutient l’école depuis 2008 pour diverses initiatives.