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Gareth Southgate: «Rendons de nouveau fiers nos supporters !»

29 juin 2018, 21:31

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Gareth Southgate: «Rendons de nouveau fiers nos supporters !»

Notre correspondant en Angleterre, Philippe Auclair, s’est entretenu en tête à tête avec le sélectionneur de l’Angleterre Gareth Southgate, en exclusivité pour Lékip. Sa révolution, réfléchie, va peut-être porter les Anglais vers le sommet Mondial. 

Gareth Southgate, en l’espace de dix-sept mois, vous avez fait bien des choix qui ont surpris, en termes de choix de joueurs – quarante-six ont joué pour l’Angleterre pendant cette période - comme de formation tactique, passant du 4-2-3-1 de vos cinq premiers matchs aux 3-4-3 et 3-5-2 d’aujourd’hui. Votre projet serait-il de créer une nouvelle identité de jeu pour l’Angleterre?
Quand je suis arrivé à St George’s Park il y a cinq ans, j’avais accepté de prendre le poste [de manager des U21 anglais] parce que je sentais que c’était une opportunité pour moi de montrer ce dont étaient capables les jeunes joueurs anglais. Cette nouvelle génération a des caractéristiques techniques différentes [de celles  des générations qui l’ont précédée], ainsi que de gros atouts physiques – ces joueurs sont plus puissants, plus rapides. C’est quelque chose que nous prenons en compte avec plaisir, sans regrets. Réussir avec ses sélections de jeunes avait été un levier important pour d’autres fédérations nationales, nous le savions, mais nous devions aussi décider d’un style de jeu. Ma conviction était que les joueurs anglais pouvaient jouer avec le ballon, alors qu’avant, quand on jouait contre certaines autres équipes, il était presque accepté comme ‘normal’ que notre adversaire aurait davantage de possession que nous. Nous nous sommes demandés: ‘pourquoi est-ce que ça doit nécessairement être le cas?’ Si nous pensons avoir de bons joueurs techniques et si notre organisation tactique est la bonne, nous devrions pouvoir dominer la possession contre n’importe quelle équipe. 

La possession est-elle la clé de voûte du système que vous avez commencé à mettre en place?
La possession n’est évidemment pas le seul paramètre de la réussite. Nous voulons jouer un certain style de football; nous devons alors aussi améliorer la compréhension tactique [de nos joueurs], car notre gestion des matchs a [souvent] été un problème, historiquement parlant. Nous avons eu des joueurs expulsés à des moments cruciaux, nous avons mené au score dans beaucoup de matchs importants, et avons alors concédé un ou des buts, peut-être parce que l’équipe s’est recroquevillée sur elle-même, que cela ait été un choix conscient ou pas. Il y avait donc beaucoup de choses à améliorer, et nous commençons à en être récompensés avec les jeunes: il faut maintenant que les seniors en fassent autant. [Pour cela], nous avons quelques avantages dont ne bénéficiaient pas mes prédécesseurs – St George’s Park, par exemple. Je sais combien Clairefontaine et Coverciano ont pu compter [pour la France et l’Italie]. Aujourd’hui, à St George’s Park, l’atmosphère est un peu celle d’un club, il y a davantage d’interaction et de partage d’idées entre les coaches. Il est donc plus aisé d’avoir de la continuité dans le processus. Les jeunes qui arrivent chez les seniors ont déjà l’habitude de venir ici et de m’y voir. Il y aussi davantage de continuité dans le style de jeu ce qui, à plus long terme, devrait nous permettre d’accélérer notre progression.

Pourquoi avez-vous choisi de rompre avec une tradition presque immuable du football anglais et d’aligner une défense à trois?
Parce que nous voulons jouer et nous servir du ballon avec ambition, mais que, en ce moment, nous pensons que nous avons besoin d’un peu de stabilité à l’arrière [ndlr: un mot qui, pour Southgate, est presque synonyme de ‘solidité’] pour être capable de le faire. J’aime l’équilibre du back three. Il nous permet de positionner beaucoup de joueurs haut sur le terrain tout en nous donnant de la stabilité derrière. Ca nous permet aussi d’accommoder des milieux offensifs d’un profil différent; c’est un système qui convient au type de footballeurs que nous avons, et à nos jeunes. Nous avons des wing-backs excitants [ndlr: Rose, Trippier, Alexander-Arnold], nous avons des défenseurs qui sont capables de sortir [proprement] le ballon de la défense. [Mais] nous ne sommes pas encore parfaits et avions peut-être besoin d’un peu de stabilité à l’arrière.

Le travail de managers étrangers en Premier League a-t-elle eu un impact sur la façon dont vous avez formé votre conception du style de jeu que devrait adopter l’Angleterre?
Leur importance a été et est absolument cruciale, en commençant par Arsène [Wenger] et Rafa [Benitez], et maintenant avec Pochettino, Conte, Klopp, Guardiola et quelques autres. Nous avons maintenant des générations de jeunes footballeurs anglais qu’on a coaché autrement, dont l’intelligence tactique est plus aigüe, parce que l’accent est davantage mis sur le coaching tactique que c’était peut-être le cas lorsque j’étais un jeune joueur de l’équipe d’Angleterre. Et l’effet se fera aussi sentir lorsque ces générations de joueurs passeront au coaching eux-mêmes, et aideront ainsi les jeunes qui viendront après eux. C’est quelque chose dont j’ai récemment parlé avec Frank Lampard: des joueurs comme lui ont une grande expérience à faire partager. Et des équipes étrangères ont aussi eu un impact. J’ai dit à Pep [Guardiola] qu’il avait commencé à avoir un impact sur le football anglais avant d’arriver ici, parce que quand son Barça jouait en Ligue des Champions, il y avait huit ou neuf millions de personnes devant leurs télévisions en Angleterre. Qui coache nos footballeurs les plus jeunes? Eh bien, d’habitude, c’est leurs papas. Et quand j’étais gamin, les parents qui étaient sur le bord de touche criaient ‘envoie le ballon aussi loin que tu peux!’, ‘ne perds pas le ballon dans la surface!” Maintenant, quand vous regardez jouer des enfants en Angleterre, on les encourage à passer le ballon. Ils savent que perdre le ballon n’est pas [nécessairement] un problème. Et il y a une nouvelle génération de coaches qui est en train de percer; le changement est à tous les niveaux, même à un très jeune âge. 

Y a-t-il des modèles étrangers qui ont particulièrement retenu votre attention quand vous avez conçu votre plan de transformation de l’Angleterre?
J’ai étudié l’Allemagne à la Coupe du Monde de 2014, et nous avons examiné leur système de formation des jeunes. Une chose qui m’impressionne est la confiance qu’ils ont dans le bien-fondé de leurs décisions, comme celle d’envoyer une jeune équipe à la Coupe des Confédérations et une équipe encore plus jeune au tournoi des U21. Ça aurait pu se retourner contre eux. Mais ce ne fut pas le cas. Il est vrai qu’ils sont constamment en train d’essayer des choses, de les perfectionner. Ils sont souples aussi. Ils étaient en 4-3-3, ils sont passés en 4-2-3-1, et puis ils ont joué avec une défense à trois. J’imagine qu’ils ont une sorte d’usine du football où tout est constamment analysé et perfectionné, et c’est ce que nous essayons de faire ici. Tous nos coachs, de toutes les catégories d’âge, étudient ce qu’il se passe ailleurs dans le monde. Nous devons avoir nos propres principes, basés sur notre mentalité nationale et nos attributs, même si cela aussi évolue, car notre équipe est plus diverse [qu’avant]. Nos convictions footballistiques évoluent – mais nous pouvons encore apprendre d’autres pays.

L’Allemagne a donc été votre première référence?
Elle n’est pas la seule. Nous avons mené à bien un énorme projet lors de la dernière Coupe du Monde. Nous avons étudié toutes les équipes, particulièrement celles qui ont été jusqu’en demi-finales, sur les plans tactique, technique, physique, psychologique…Nous avons voulu savoir quel chemin avaient suivi leurs joueurs…Combien de sélections avec les équipes de jeunes? Comment en étaient-ils arrivés là? Quels sont les éléments que nous pourrions [emprunter et] mettre en pratique? Le nombre de capes avec les jeunes était quelque chose que nous avions constamment relevé lorsque nous avions étudié l’Espagne et la France et leurs équipes qui avaient connu le plus grand succès. Nous étions très loin derrière. Nous n’avions pas de sélections U18 et U20. Rien qu’en ajoutant ces deux catégories d’âge, vous ajoutez – potentiellement - une vingtaine de capes supplémentaires à vos joueurs. Sans les U18 et les U20, il y avait des joueurs qu’on ne voyait plus pendant une année entière…

Du point de vue de l’intérêt de la sélection, serait-il souhaitable que davantage de joueurs anglais jouent à l’étranger? 
Oui. C’est quelque chose qui avait fait une très grosse impression sur moi quand j’étais manager à Middlesbrough. Robert Huth avait 20, 21 ans  (ndlr: Huth fêta son 22ème anniversaire le mois de son arrivée à Boro), mais sa maturité et son vécu etaient sans commune mesure avec ceux de garçons de son âge et même plus âgés qui avaient grandi à Middlesbrough. Il avait quitté sa famille, il s’exprimait dans une langue qui n’était pas la sienne, il s’était adapté à un style de football différent, il avait une énorme avance sur les autres. Mais nous avons un problème, qui est l’argent. La PL est le championnat qui paie le mieux ses joueurs; le danger est de voir un jeune qui gagne beaucoup d’argent sans jouer. C’est pour ça que je trouve courageux les choix d’Ademola Lookman [d’Everton] et de Jadon Sancho [de Manchester City] d’aller jouer en Allemagne. Il vient un moment dans la carrière d’un jeune où il doit développer son jeu en jouant avec et contre les seniors. Les jeunes Croates, Serbes et Français [qui s’expatrient] font ça et jouent sous la pression, devant de grosses foules. Sancho, toutes les semaines, joue devant 70 000 spectateurs avec le Borussia Dortmund. L’attente et la pression sont énormes, les enjeux importants, et il joue contre des hommes.

Qu’est-ce qui constituerait un parcours réussi pour l’Angleterre à la Coupe du Monde?
C’est difficile à dire exactement, car nous sommes une équipe qui n’était pas sortie de son groupe au dernier Mondial et qui a subi une énorme défaite au dernier Euro [1-2 contre l’Islande en huitièmes], après quoi il y a eu une perte de confiance et une déconnection avec le public, à laquelle je pense que nous avons commencé à remédier. Je crois que les supporters se rendent compte de ce que nous essayons de faire, je crois qu’ils ont de l’enthousiasme pour nos jeunes. Nous devons faire preuve d’humilité dans notre façon de travailler. Si nous jouons dans le style dont je crois que nous sommes capables, alors nous pourrons obtenir quelques résultats qui exciteront les gens, et les surprendront peut-être, et les rendrons de nouveau fiers de supporter l’équipe d’Angleterre. C’est le premier cap à atteindre. Ce serait facile de dire: ‘nous allons atteindre telle étape du tournoi, c’est notre objectif’, mais, en fait, nous n’en savons rien. Nous devons sortir de notre groupe et voir ce qui est possible ensuite plutôt que de vivre avec la peur de ce qui pourrait mal se passer au ventre.