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Rajiv Servansingh: «Le Budget vise une redistribution de la richesse aux plus défavorisés»

21 juin 2018, 01:17

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Rajiv Servansingh: «Le Budget vise une redistribution de la richesse aux plus défavorisés»

Rajiv Servansingh repousse l’étiquette électoraliste accolée au Budget 2018-19. Et ne s’attend pas qu’il soit l’instrument qui met à plat un modèle de développement resté inchangé pendant un demi-siècle.


Le troisième Budget de Pravind Jugnauth est critiqué pour un manque de vision, l’absence d’un fil conducteur et l’incapacité à apporter des solutions aux problèmes structurels de plusieurs secteurs économiques du pays. Êtes-vous de cet avis ? 
Je ne pense pas que le Budget de Pravind Jugnauth manque de fil conducteur, même si on peut penser qu’il y a quelques manquements au niveau de ce que vous appelez des solutions aux problèmes structurels. 

Ce que l’on retient des critiques émises par l’opposition et les autres commentateurs, c’est surtout l’absence de références aux problèmes sectoriels tels que l’industrie sucrière et le secteur de l’exportation. Même si je ne m’attends pas qu’un Budget vienne apporter des solutions définitives à nos problèmes les plus urgents, il devrait néanmoins proposer quelques pistes de réflexion sur les intentions du gouvernement. 

Cependant, j’estime qu’il y a continuité dans la mesure où le Budget s’inscrit dans une politique de redistribution de la richesse envers les classes les plus défavorisées. Celle-ci ayant été initiée depuis quelque temps déjà – augmentation de la pension de vieillesse, impôt négatif, introduction du salaire minimum. Le Budget continue sur cette lancée par l’introduction de plusieurs mesures qui vont dans le même sens. 

Les politiciens de tout bord, selon qu’ils sont dans l’opposition ou au gouvernement, changent de vocabulaire dépendant des circonstances pour décrire un même phénomène : quand ils sont au gouvernement les mesures populaires sont «sociales» et dans l’opposition elles deviennent «populistes». Ce qui définit le populisme, c’est le fait que ces mesures sont prises au détriment de l’équilibre macro-économique au point d’être dommageables au développement du pays. Or, ce Budget prévoit un déficit qui demeure inchangé et même une légère réduction de la dette nationale. 

Le Budget est qualifié par certains observateurs économiques et par l’opposition de Budget confetti dans lequel des mesures ponctuelles sont proposées à des secteurs en crise, tels la manufacture et le Global Business, sans qu’il y ait une remise à plat de ces «Business Models». Du coup, l’impression qui se dégage est, qu’à court terme, il contient des mesures populistes pour assurer une survie politique ? 
Je ne pense pas qu’un Budget soit l’instrument par lequel on met à plat un modèle de développement qui est resté inchangé pendant un demi-siècle. Un Budget définit comment un gouvernement entend conduire sa politique économique et sociale pour la prochaine année et favorisant un environnement économique sain qui soutienne la croissance économique. Sauf, bien sûr, dans le cas de l’adoption d’une politique néo-libérale, comment il compte assurer une juste distribution des fruits de cette croissance. 

Ceux qui parlent de Budget confetti se réfèrent au fait qu’il y a eu l’annonce d’un grand nombre de mesures qualifiées de «populistes». Or, en regardant au-delà des mesures individuelles, il est clair que le ministre a pris le pari d’un accroissement du pouvoir d’achat des classes défavorisées et de la classe moyenne. Ces mesures devraient tant soit peu contribuer à réduire des inégalités criantes qui n’ont cessé de croître durant ces dernières années. 

Reste la question du long terme et du «Business Model» qui mérite évidemment plus d’attention hors du contexte de la communication budgétaire. Je m’attends que le gouvernement vienne avec un «package» de mesures pour assurer l’avenir de l’industrie sucrière/cannière dans le cadre de nos engagements avec l’Union européenne et des dossiers solides sur les autres grandes préoccupations de notre pays. 

«Il est clair que le ministre a pris le pari d’un accroissement du pouvoir d’achat des classes défavorisées et de la classe moyenne.» 

Comment expliquez-vous la volte-face de Pravind Jugnauth sur la problématique des prix des carburants ? Ne pensez-vous pas qu’il aurait pu nous épargner ce show s’il avait décidé initialement de maintenir les prix inchangés ? 
Il faut peut-être se remettre dans le contexte. Pendant les dernières semaines de mai, la conjoncture d’une série de développements géopolitiques au niveau global a provoqué un affolement sur le marché du pétrole qui a vu le prix du baril de Brent grimper de USD 63 à USD 80 en l’espace de quelques jours. La spéculation aidant, il y a eu un vent de panique sur le marché mondial du pétrole. Goldman Sachs prévoyait un prix de USD 100 dans les mois à venir. Tous les décideurs du secteur pétrolier, y compris ceux de Maurice, ont été pris de panique. Au moment où je vous parle, le prix du Brent frôle les USD 70 et emprunte une tendance baissière en attendant les retombées de la réunion de l’OPEP prévue le 22 juin. 

Vous devez savoir que dans les marchés où le prix de l’essence n’est pas «contrôlé», le prix à la pompe est ajusté quasi quotidiennement. Il faut peut-être que les Mauriciens s’adaptent à la volatilité de l’économie mondiale maintenant que nous ne bénéficions plus de nos cocons protecteurs. 

Et quid de la baisse du prix du gaz ménager de Rs 30 pour une bonbonne de 12 kg ? D’autant plus que cette me- sure dite populiste soulagera les ménagères au bas de l’échelle mais aussi celles de la classe aisée qui peut payer facilement le double pour son gaz. Est-ce normal que depuis qu’on en parle, aucun gouvernement, pour des raisons politiques, n’a eu le courage de proposer une politique de ciblage par rapport à certaines prestations sociales ? 
Je ne sais s’il y a des analystes chevronnés au niveau de la STC ou du gouvernement qui ont prévu que les prix des cours du gaz ménager vont suivre ceux du prix du pétrole, du moins dans le court terme. Si cela s’avérait, la décision serait tout à fait justifiée. 

Quant à la question de ciblage des mesures de prestations sociales, nous entrons là dans un débat très complexe. Nous pouvons, juste pour les besoins de cette interview, dire qu’il est souvent extrêmement compliqué d’organiser ce genre de ciblage dans la pratique, tant et si bien que les gouvernements préfèrent ne pas le faire. Il semblerait que l’idée de réduire le prix des bonbonnes de 12 kg viserait un segment du marché en particulier mais il demeure difficile de faire ce genre d’exercice. 

De 2015 à 2017, le gouvernement n’a créé que 4 733 emplois alors qu’il se propose de cibler 14 000 jeunes chômeurs dans le présent exercice budgétaire en investissant Rs 1 milliard dans plusieurs programmes de formation. Ne pensez-vous pas qu’il a mis la barre trop haut ? 
Une des urgences pour assurer un développement harmonieux du pays, que ce soit sur le plan social ou économique, est certainement la formation de nos jeunes afin que chacun puisse contribuer au mieux de ses potentiels et ses qualités. Dans un pays comme le nôtre, avec une population vieillissante, il serait presque criminel de ne pas donner à chacun de nos jeunes l’opportunité de développer son potentiel intellectuel, artistique ou autre qui lui permettrait de vivre dans la société de manière autonome et enrichissante. 

 Je ne peux donc envisager une situation où une offre de formation serait de trop, d’autant plus que l’inadéquation entre la formation obtenue par un important nombre de gradués et les possibilités d’embauche demeure un des problèmes les plus aigus sur le marché du travail aujourd’hui. 

 «Il faut peut-être que les Mauriciens s’adaptent à la volatilité de l’économie mondiale.» 

Pour avoir la nationalité mauricienne, le ministre des Finances propose qu’une personne étrangère, financièrement fortunée, débourse USD 1 million dans un fonds souverain. Ne pensez-vous pas que le gouvernement est en train de brader le certificat de nationalité mauricienne pour quelques millions de roupies alors que les risques sont réels que certains individus mal intentionnés utilisent cette ouverture de pouvoir acquérir la citoyenneté mauricienne pour blanchir l’argent sale ? 
Cette question de vente du passeport et de la nationalité est une pratique qui existe dans un certain nombre de pays. Tel a été le cas de Maurice dans les années 80. Elle est définitivement controversable dans chaque pays où elle est pratiquée. Évidemment, la grande crainte est que des personnes mal intentionnées profitent de cette aubaine pour des raisons douteuses. À Maurice, vu l’exiguïté de notre territoire, vient s’y ajouter la peur que des étrangers ne s’accaparent de nos meilleures terres et fassent du coup flamber les prix du foncier. Il faut savoir que ceux qui achètent de tels passeports sont le plus souvent motivés par l’opportunité d’avoir un passeport qui leur permet ainsi qu’à leur famille de voyager plus facilement dans le monde. 

Comme l’année dernière, Pravind Jugnauth a eu recours cette année à des emprunts hors Budget pour financer la croissance. Avec pour résultat qu’il a pu garder la dette publique dans la limite autorisée, soit à 63 % du PIB. N’est-ce pas une manière de masquer le niveau réel d’endettement public du pays ? 
Ce n’est pas la première, et j’imagine que ce n’est pas la dernière fois qu’un gouvernement va utiliser un tel «subterfuge» afin de maintenir la dette nationale à un niveau moindre que si ces dettes étaient incluses dans le Budget national. C’est encore une fois une question hautement technique et elle est soumise à interprétation. Le FMI, par exemple, ne voit pas d’un bon œil une telle pratique. Je pense toutefois que c’est sur le plan politique et non technique que la résolution de cette problématique prend toute son importance. En incluant ces sommes empruntées pour des projets spécifiques dans le Budget national, l’espace fiscal pour les engagements sociaux de l’État (éducation, santé ? etc.) risque d’être réduit de façon draconienne. Si cette pratique pose problème, il faut trouver une solution qui ne soit pas contraignante pour la politique sociale du gouvernement. 

«Il serait presque criminel de ne pas donner à chacun de nos jeunes l’opportunité de développer son potentiel.» 

Pravind Jugnauth a déjà expliqué qu’il y aura l’année prochaine un cinquième Budget, le dernier de son mandat. Quelle est la pertinence alors de saupoudrer ce Budget de mesures populistes ici et là ?  
Nous avons déjà débattu de cette question un peu plus haut et je ne trouve pas qu’il a été question de «saupoudrer le Budget de mesures populistes» mais bien d’engager un certain nombre de mesures sociales qui iront dans le sens d’une diminution des inégalités des revenus et de la richesse dans le pays.