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Pritoo Purmanund: «L’appel d’offres pour le Musée de l’esclavage ne tient pas la route»

12 juin 2018, 01:00

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Pritoo Purmanund: «L’appel d’offres pour le Musée de l’esclavage ne tient pas la route»

L’architecte Pritoo Purmanund a souhaité réagir aux propos de l’historienne Vijaya Teelock. Au sujet du retard dans la concrétisation du Musée de l’esclavage, elle a déclaré la semaine dernière qu’il «n’y a pas d’architecte spécialisé dans la rénovation de bâtiments historiques à Maurice».Avec Morphos Architects, Pritoo Purmanund est actuellement engagé dans la première phase de la rénovation du théâtre de Port-Louis. Dans le passé, il a travaillé sur le Beekrumsing Ramlallah Interpretation Centre à l’Aapravasi Ghat et le Musée de la poste. 

Vous dites que vous ne cherchez pas la polémique, mais vous souhaitez contredire l’affirmation selon laquelle il «n’y a pas d’architecte spécialisé dans la rénovation de bâtiments historiques à Maurice».  

Il est précisé que nous n’avons pas les compétences. En tenant ces propos mal avisés, on oublie que plusieurs architectes à Maurice ont travaillé sur la rénovation de bâtiments anciens. Que ce soit Francis Wong, pour le Plaza, ou Gaëtan Siew pour le théâtre de Port-Louis. Notre société (NdlR : Morphos Architects) travaille actuellement à la première phase de la (NdlR : nouvelle) rénovation du théâtre de Port-Louis.  

Dans le passé, nous avons réalisé le Musée de la poste. Sans oublier le Beekrumsing Ramlallah Interpretation Centre (BRIC), à l’Aapravasi Ghat (NdlR : un centre d’interprétation qui retrace l’immigration indienne). Il y a une confusion. Dès le départ, cette rénovation a été conçue par l’équipe locale…

Entièrement locale ?  

Les compétences étrangères étaient essentiellement au niveau administratif, dans un comité technique. La réussite du BRIC dépend essentiellement de ce comité. Je souhaite souligner les compétences de Corine Forrest (NdlR : Head de la Technical Unit à l’Aapravasi Ghat Trust Fund), qui a réalisé l’étude préliminaire. À Maurice, il n’y a pas beaucoup de muséologues. 

Concrètement, en quoi consistait cette pré-étude ?  

Faire un musée, c’est comme écrire un film. Il faut un scénario avec des séquences qui font un parcours. Il faut se demander si la partie contemporaine est au début ou à la fin du parcours. Cela donne une trame. L’architecte conçoit l’espace en fonction de la trame imaginée par le muséologue.  

«Il aurait pu y avoir un partage de connaissances entre l’équipe qui a travaillé sur le Beekrumsing Ramlallah Interpretation Centre et celle responsable du Musée de l’esclavage.»

Dans le cas du BRIC, nous sommes intervenus sur un bâtiment ancien. Notre démarche est d’être très humble face à un bâtiment de cette envergure. On ne se dit pas qu’on va le redéfinir totalement. Notre intention était de lui redonner une âme.  

Quand vous visitez le BRIC, vous avez l’impression que c’est sombre. Notre intention est justement de faire ressentir ce que les travailleurs engagés ont vécu dans la cale des navires où ils ont voyagé. 

Le visiteur voit la reconstitution d’une partie d’un bateau.  

Il y a eu des fouilles archéologiques sur place, avant la conception du BRIC. 

Le visiteur peut aussi voir un certain nombre d’objets retrouvés sur place, lors des fouilles.  

Voilà. C’est une partie sombre dans la vie des engagés. D’où la sobriété, le côté un peu noir, à l’intérieur. Le BRIC est, pour nous, une grande réussite. Même si on a dû bagarrer par moments avec le comité technique, parce qu’il voulait une façade avec plus de fioritures alors que nous voulions garder le côté humble, tout en respectant le caractère des lieux et du projet. 

À quel sujet a-t-il fallu bagarrer ?  

Au départ, le comité a trouvé que la façade que nous avons proposée était trop simple, qu’il fallait rajouter des sculptures, des voiles, parce qu’on est juste en face du port, pour rappeler que les immigrants sont venus en bateau.  

Avant d’attaquer un tel projet, nous faisons beaucoup de recherches. Que ce soit pour le BRIC ou pour le Musée de l’esclavage, il n’y a pas beaucoup d’exemples dans le monde. J’aime bien visiter d’autres musées. Pour concevoir celui de l’Aapravasi Ghat, j’ai vu des musées qui traitent des mouvements migratoires.  

Qu’êtes-vous allé voir ?  

Le Quai Branly à Paris. (NdlR: Musée des arts premiers).  

Son parcours circulaire fait faire le tour de la terre.  

C’est aussi l’inverse du musée du Louvre. Nous nous sommes inspirés d’un lieu qui n’est pas trop sophistiqué. Nous avons aussi visité le Musée juif à Berlin, où l’on voit les souffrances vécues par tant de personnes.  

À l’entrée du BRIC, il y a des traces de pas. L’idée est de montrer la pauvreté, le dénuement.  

Quand nous avons conçu le Musée de la poste à Port-Louis, nous avons visité le Musée de la poste à Paris. Nous architectes, nous ne sommes pas des experts en tout. Quand un historien doit prendre la parole par exemple, il a des recherches à faire avant. C’est pareil pour nous.  

Ces derniers temps, on a tendance à oublier les fils du sol. On dit que les compétences ne sont pas là. Mais il faudrait une plateforme appropriée pour partager les connaissances.  

Là où il faut faire attention, c’est sur les projets G2G (NdlR : de gouvernement à gouvernement), où la conception vient de l’étranger. Prenez l’exemple de l’hôpital de Crève-Cœur à Rodrigues. (NdlR : Le plan directeur initial pour sa conversion en hôpital moderne a été présenté le mois dernier). La façade proposée n’a rien à avoir avec le contexte local. Quand vous concevez un projet pour Rodrigues, il faut tenir compte de l’architecture locale. Une image 3D du projet montre plusieurs fontaines, alors qu’il y a de gros problèmes de fourniture d’eau à Rodrigues. Bien sûr, on peut justifier que ces fontaines utiliseront de l’eau recyclée, mais l’architecture même de cet hôpital est imposante, ce que je comprends, parce que cela a été conçu par des architectes étrangers. Là où je souhaite défendre la profession, c’est qu’on prend souvent exemple sur Singapour. Les décideurs singapouriens ont cru dans leurs compétences locales. L’aéroport de Changi a été classé plusieurs fois meilleur aéroport au monde. C’est parce que Singapour a donné les moyens à ses architectes de se perfectionner. Pour concevoir la première aérogare de Changi, les décideurs ont envoyé plusieurs architectes singapouriens visiter différents aéroports.  

Vous plaidez pour qu’on investisse dans les compétences locales  

Je ne suis pas contre la collaboration avec l’expertise venue de l’étranger, mais il faudrait des facilités pour que les locaux puissent collaborer aux projets. Souvent, dans le cadre des projets G2G, il n’y a pas la nécessité de telles collaborations.  

Si nous architectes, nous ne faisons pas l’effort d’informer les décideurs politiques de notre potentiel, nous resterons sur la touche, à nous plaindre. 

Vous avez déjà essayé d’établir des lignes de communication avec les décideurs ?  

Les architectes communiquent seulement quand il y a des soucis. On va gueuler parce qu’untel a eu tel contrat. Notre faiblesse c’est de ne pas nous rassembler. 

Qu’en est-il de l’association des membres de la profession ?  

J’ai dans le passé été vice-président de l’association. Il faut trouver une plateforme pour nous faire entendre par l’État. Depuis l’Indépendance, je pense qu’il n’y a jamais eu un architecte qui a été ministre. Attention, je n’ai pas envie d’être politicien. Mais l’architecture a un impact sur la société. Tout investissement et tout gaspillage ont un coût. C’est le contribuable qui paie. L’essentiel est de pouvoir définir un projet et de respecter le budget. L’une des faiblesses, c’est tout le processus avant d’arriver à l’achèvement du projet. Un bon projet, c’est un projet réussi à chaque étape. C’est là où j’en viens au Musée de l’esclavage.  

Prenez le document d’appel d’offres pour le consultant, pour le musée (NdlR: un premier appel d’offres lancé en janvier 2018, suivi d’un autre, en mai 2018). Il fixe le budget à Rs 2 millions. Il est stipulé que le consultant devra peut-être trouver d’autres architectes ou d’autres consultants étrangers. Sauf que ce qu’on demande au consultant ne correspond pas à la liste des compétences citée dans l’appel d’offres. Par exemple, on demande des consultations avec des «corporate entities», des universitaires, des «trade, industry and association» sans spécifier lesquels.  

Dans le cas du BRIC, l’étude préliminaire avait déjà été réalisée avant que l’architecte-consultant n’entre en scène. L’étude de faisabilité doit être faite en amont, tout comme la conception muséale. Dans le cas du Musée de l’esclavage, on demande à l’architecte-consultant de réaliser cette étude. Je trouve cela dommage. D’autant plus qu’il aurait pu y avoir un transfert ou un partage de connaissances entre l’équipe qui a travaillé sur le BRIC et celle responsable du Musée de l’esclavage. Ce n’est pas à l’architecte-consultant de faire le business plan. Cela doit être fait en amont et lui servir de document de travail. 

Les deux musées – BRIC et esclavage – doivent à terme se situer l’un en face de l’autre…  

Une parenthèse pour dire que les bureaux de l’Aapravasi Ghat Trust Fund à l’hôpital militaire (NdlR : bâtiment situé en face de l’Aapravasi Ghat et choisi pour abriter le Musée de l’esclavage) sont dans un état lamentable. Cela dit, avec le budget de Rs 2 millions qui a été fixé au consultant, ce n’est pas possible de faire tout ce qui lui est demandé dans l’appel d’offres. Pour cela, il faut engager un cabinet d’experts-comptables, des étudiants pour recueillir diverses réactions par rapport à un Musée de l’esclavage. Est-ce que cela inter- pelle ? Est-ce que divers partenaires auront envie de le visiter ?  

Alors qu’en face, il y a déjà le BRIC, où l’on a mesuré le nombre de visites, les remarques laissées par les visiteurs. On sait comment cela fonctionne. Ce sont deux musées annexes. Grâce à une bonne communication, celui qui visite l’Aapravasi Ghat va potentiellement traverser la route pour visiter le Musée de l’esclavage.  

On va dire qu’à Maurice, on ne visite pas assez les musées et que ce n’est pas rentable. C’est une réalité. Mais il faut trouver des solutions, définir le bon investissement par rapport aux objectifs d’un Musée de l’esclavage. 

Avez-vous participé à l’appel d’offres pour être consultant sur le Musée de l’esclavage ?  

Franchement, non parce que cet appel d’offres ne tient pas la route. Il demande un travail énorme qui aurait dû être fait en amont. Les compétences, l’expérience sont là, il suffit de frapper à la porte d’à côté. Les deux institutions, l’Aapravasi Ghat Trust Fund et le centre Nelson Mandela pour la culture africaine, sont sous la tutelle du même ministère : les Arts et la Culture.