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Vinay Sobrun: «Aujourd’hui le MMM est plutôt conservateur»

2 juin 2018, 16:15

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Vinay Sobrun: «Aujourd’hui le MMM est plutôt conservateur»

Il a consacré 25 ans de sa vie au MMM. Il a gravi les échelons petit à petit. Aujourd’hui, Vinay Sobrun a le coeur brisé. Il fait partie de ceux qui ne vont pas briguer les prochaines élections du comité central des mauves. Il nous explique pourquoi, selon lui, le MMM est en déphasage avec le monde actuel.

Membre du BP du MMM, vous n’êtes pas candidat aux élections du comité central de votre parti prévues pour le 24 juin. Théoriquement après cette date, vous ne serez plus membre du MMM…
Effectivement. Mais cette décision, à la fois difficile et pénible, est tributaire de plusieurs facteurs. Entre autres, j’ai choisi d’être absent à ces élections, car je ne pense pas qu’elles seront libres, transparentes et équitables. Pour ne citer qu’un seul exemple, à la base de toute élection, une des exigences minimales est la mise à disposition d’une liste de candidats et d’une liste de votants. Or, dans le présent cas, la première liste est connue alors que la seconde ne l’est pas.

Certes, ces votants seront forcément des délégués des branches du MMM des 20 circonscriptions du pays. Mais, il est de notoriété publique que parmi ces branches il y en a qui sont inactives, voire fictives et qui voteront également.

Comment alors garantir des élections démocratiques et justes ?
Lorsque la motion pour la tenue desdites élections a été proposée au comité central, je m’y suis opposé et pour être cohérent avec moi-même, je ne m’y suis pas porté candidat. Je demeure intimement convaincu qu’il aurait fallu mettre bon ordre à tous les niveaux avant de s’embarquer dans des élections si cruciales et importantes pour le parti.

Comment se sont déroulées les précédentes élections ?
Un dysfonctionnement ne doit pas être destiné à perdurer, mais plutôt à être corrigé. La nouvelle constitution du parti prévoit des dispositions express visant à remédier à cette situation. Malheureusement, la direction du parti a choisi d’en faire fi.

Vous parliez de plusieurs facteurs. Pourquoi avez-vous le coeur brisé…
Un autre facteur est d’ordre personnel, à savoir la façon dont j’ai été muté de la circonscription no6 (Grand-Baie–Poudre-d’Or) à celle du no12 (Mahébourg–Plaine-Magnien). Je ne parle pas de la «mutation» elle-même. Un leader doit avoir la prérogative de procéder à un repositionnement de ses équipiers pour quelque motif qu’il juge approprié. Dans mon cas, il s’agissait de faire de la place à Mme Danielle Selvon.

«Ma dernière rencontre avec Paul Bérenger remonte à mai 2017. Je me sentais marginalisé. Je trouve cela inacceptable, blessant et humiliant.»

Mais la façon dont s’est faite cette mutation et l’attitude de Paul Bérenger à mon égard suivant ce transfert sont humiliantes, pour dire le moins. Tout a été soigneusement concocté dans mon dos et j’ai été mis devant un fait accompli : soit j’accepte le no12 soit je reste sur la touche. J’ai joué le jeu et j’ai accepté de partir à Mahébourg– Plaine-Magnien, malgré le fait que j’habite Poudre-d’Or Village.

Mais, une fois le problème réglé, Paul Bérenger a choisi de couper toute communication avec moi en dehors des réunions des instances du parti. Ma dernière rencontre avec lui remonte à mai 2017. Je me sentais marginalisé. Je trouve cela inacceptable, blessant et humiliant. Je ne mérite pas un tel traitement.

J’ai dirigé le comité régional no6 seul pendant presque 10 ans sans jamais solliciter d’aide du parti. Ce, même durant la période la plus douloureuse de ma vie où j’avais perdu mon emploi dans le cadre de l’opération «lev paké alé» en 2006 au seul motif de mon appartenance au MMM. Je me suis retrouvé sur le pavé du jour au lendemain avec tous les drames que cela entraîne. Mais je suis resté fidèle au MMM et loyal envers le leader.

«Le MMM n’a pas su se réinventer au fil des années afin de se présenter comme une alternative crédible au MSM et au PTr. Les valeurs que prône le MMM depuis sa création sont défendues par les autres partis politiques de nos jours.»

Qu’est-ce qui vous a poussé à vous rapprocher du MMM au tout début ?
J’ai une formation de journaliste et ce métier m’a amené à lire et à comprendre l’histoire, en particulier l’histoire politique, du pays. J’ai appris à comprendre la lutte du MMM et les valeurs fondamentales qu’il prône à travers les journaux dans les archives où je passais le plus clair de mon temps libre et les livres retraçant l’histoire de Maurice. De là, j’ai développé une admiration pour Paul Bérenger et des idéaux, des convictions et des principes forts profonds, qui font que je suis aux antipodes de tout ce qui va à l’encontre de la méritocratie, de la justice sociale, de l’inégalité des chances, du communalisme et de tout autre facteur pouvant entraîner une quelconque inéquation ou injustice.

Que reprochez-vous au MMM aujourd’hui?
Le MMM n’a pas su se réinventer au fil des années afin de se présenter comme une alternative crédible au MSM et au PTr. Les valeurs que prône le MMM depuis sa création sont défendues par les autres partis politiques de nos jours. Le MMM se devait de tirer des leçons de ses nombreuses défaites, de se réinventer et de se donner les chances de gagner.

Les conditions sont aujourd’hui réunies pour qu’il puisse atteindre cet objectif. Mais au lieu de tirer le meilleur parti de la conjoncture politique actuelle, il y a des concertations seulement entre les dirigeants du MMM et le parti passe son temps à se pencher sur la configuration à présenter aux prochaines législatives, à sanctionner, à suspendre et à expulser ceux qui ne rentrent pas dans les rangs tout en demeurant peu loquace en ce qui concerne des enjeux nationaux.

Jadis, le MMM prenait position sur tout ce qui touchait au bien-être, que ce soit social, économique ou politique. Aujourd’hui, le parti est plutôt conservateur. Depuis les élections de 2014, le pays s’est endetté à hauteur de plus de Rs 377 milliards. En d’autres termes, nous empruntons Rs 350 millions par jour. Nous vivons au-dessus de nos moyens. Un déséquilibre budgétaire fatal se profile à l’horizon. Nous ne disons rien. Nous perdons notre temps à nous chamailler et à nous tirer des balles dans le pied au grand dam d’un électorat désemparé, désorienté et désillusionné.

Quelle est votre prochaine marche à suivre ?
Nous avons constitué, Pradeep Jeeha, Steve Obeegadoo, Françoise Labelle et moi-même, ainsi que d’autres amis du parti, un groupe voulant incarner un nouveau MMM. Notre objectif est d’aller à la rencontre de cet électorat qui, pour une raison ou une autre, ne se retrouve plus dans le MMM et même brasser plus large. Selon un sondage publié par votre journal, quelque 66 % de personnes interrogées ne sont pas d’accord avec la manière traditionnelle de faire de la politique. Il faut qu’on soit à l’écoute de cette frange de l’électorat.

Pensez-vous qu’un nouveau mouvement ou parti peut émerger sur l’échiquier politique à Maurice ?
Si on se fie aux baromètres du passé, la tâche peut paraître herculéenne, voire impossible. Mais si les pré-requis essentiels sont remplis, l’objectif peut être atteint. Ceux-ci s’établissent à trois niveaux. D’abord rallier autour de ce mouvement ceux qui ont quitté le MMM depuis 2010 et qui sont aujourd’hui éparpillés sur le terrain politique en l’absence de repère ou d’une alternative crédible, sans toutefois négliger cet électorat qui a soif d’un renouveau.

Deuxièmement, inciter les jeunes à s’intéresser à la politique en évitant la politique négative qui ne consiste qu’à descendre l’adversaire, qu’à critiquer et qu’à attiser la colère de l’électorat pour ensuite en tirer un capital politique au moment opportun. Les Mauriciens en ont marre de cette politique qui ne s’appuie que sur le dénigrement de l’adversaire et qui ouvre la voie à des «alternative facts», pour reprendre une expression inventée par Kellyanne Conway, conseillère de Donal Trump.

Et troisièmement, tenir un langage cohérent, présenter une vision claire, une équipe dévouée, compétente et crédible ainsi qu’un projet de société durable, ambitieux et réaliste répondant aux besoins d’une autre île Maurice. Voilà ce que nous préconisons, pour le reste, l’avenir nous le dira.

Selon l’historien Jocelyn Chan Low, les récents départs du MMM ne risquent pas d’affecter le MMM.
Tout dépend de ce qu’il entend par le terme «affecter». S’il veut dire que ces départs ne changeront en rien la stratégie et l’orientation politiques du MMM, peut-être qu’il a raison. En revanche, s’il veut insinuer que ces départs n’auront aucune répercussion sur la force électorale du MMM, permettez-moi d’être d’un autre avis. Remontons l’histoire : en 1982, le MMM en alliance avec le PSM, réalise l’exploit de rallier autour de lui 63,04 % de l’électorat.

En mars 1983, le MMM connaît une cassure, mais enregistre une performance de 46 %. Il continue son petit bonhomme de chemin et réalise un meilleur score en 1987 avec 48,14%. Mais, face à une alliance MSM/PTr /PMSD lors des deux dernières joutes électorales, il peine à rétablir son image d’un parti national. En 1991, il est en alliance avec le MSM, mais connaît une nouvelle cassure en 1993. En 1995, il se présente en alliance avec le PTr.

En 2000 et 2005, il s’allie au MSM. Pour les législatives de 2010, il fait cavalier seul et réalise un score honorable de 42 %. En 2014, c’est la débâcle, suivie d’une série de départs. Et à la partielle de 2017 au no18, il enregistre la plus désastreuse performance de son histoire avec 14,33 %, alors que le MP, une émanation du MMM, récolte un score de 6,66 %. D’où provient cet électorat si ce n’est pas du MMM. Donc, je veux vous démontrer que les différentes scissions, dissidences ou démissions que le MMM a connues ont eu une incidence sur sa stratégie politique et sur sa force électorale.
 

Bio Express

<p style="text-align: justify;">C&rsquo;est son père, conseiller de village, qui lui inocule le goût pour la politique - dans le sens de servir les autres. En 1992, alors que Vinay Sobrun entame ses dernières années au collège, il se porte candidat aux élections villageoises dans son village natal de Poudre-d&rsquo;Or. Il est élu en tête de liste. Il se joint au conseil de district du Nord et accède à la présidence de cette instance en 1996. Il n&rsquo;a alors que 23 ans. Entre-temps, il se joint au MMM, où il gravira, pas à pas, les échelons ; faisant son entrée au comité central en 2007 et au BP en 2010. <em>&laquo;Je me suis donné au parti durant ce dernier quart de siècle...&raquo;</em></p>