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Dix ans après, les Chinois revivent dans les ruines le choc du séisme de 2008

9 mai 2018, 14:40

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Dix ans après, les Chinois revivent dans les ruines le choc du séisme de 2008

 

Depuis près de 10 ans, Chen Guoxing passe ses journées à raconter aux touristes le pire jour de sa vie: ce 12 mai 2008, lorsqu’un séisme dévastateur de magnitude 7,9 a tué son fils unique, et plus de 80.000 Chinois.

Ce fonctionnaire de 54 ans est chargé de l’entretien des décombres de Beichuan, une petite ville de la province du Sichuan (sud-ouest). Elle faisait partie des localités les plus durement touchées.

Conservée à l’état de ruines, la cité, presque entièrement rasée, est devenue un lieu de mémoire à ciel ouvert pour ce traumatisme national: le séisme de 2008, qui a fait 87.000 morts et disparus, était le plus meurtrier à frapper la Chine depuis celui de 1976 (au moins 240.000 morts à l’est de Pékin).

M. Chen travaille aujourd’hui avec une équipe de 200 personnes -- des survivants pour la plupart -- chargées de préserver les vestiges et d’accueillir les visiteurs.

Vingt guides passent désormais leurs journées à accompagner dans les ruines quelque 2,2 millions de touristes annuels, venus écouter le récit de leur traumatisme.

En parallèle, des agents sont chargés de protéger les bâtiments des assauts du temps et de la météo. Ambition: conserver ce lieu de mémoire intact pour les générations futures.

Les visiteurs peuvent s’arrêter pour observer les ruines. Par les fenêtres des logements abandonnés, ils aperçoivent ici un chausson d’enfant, là un ballon de basket dégonflé.

Bâtonnets d’encens 

En compagnie de proches de victimes, certains visiteurs brûlent des bâtonnets d’encens en hommage aux morts.

Dans les rues à l’asphalte craquelé, les immeubles fragilisés sont parfois retenus par des poutres métalliques. L’accès aux bâtiments est interdit pour raisons de sécurité.

M. Chen guide cependant les journalistes de l’AFP dans un dortoir où logeaient des enseignants. Une épaisse couche de poussière y recouvre désormais des centaines de livres abandonnés pêle-mêle sur le sol.

La plupart des anciens occupants sont morts dans la catastrophe. Mais les familles ont décidé de ne pas récupérer leurs affaires.

Si 3.000 corps ont été enterrés dans une fosse commune à l’extérieur de la ville, environ 20.000 personnes restent ensevelies dans les décombres de Beichuan. Parmi eux figure le fils de Chen Guoxing, mort dans l’effondrement de son collège.

Moins de 10 jours après la catastrophe, c’est par la radio que son père, travaillant alors dans une autre ville, apprenait sa mort. «C’était comme si le ciel m’était tombé sur la tête», se rappelle-t-il.

Après le séisme, des parents en colère avaient voulu savoir pourquoi les bâtiments où leurs enfants étaient scolarisés s’étaient effondrés, alors que des bâtiments officiels avaient résisté. Des accusations de corruption avaient fusé.

M. Chen, qui a perdu huit proches dans la catastrophe, n’a jamais retrouvé la dépouille de son fils.

Comme la plupart des rescapés, il a emménagé dans un appartement spacieux du «nouveau Beichuan», construit à environ 30 km de là. Une ville animée aux larges avenues et aux parcs arborés.

Tourisme durable? 

Depuis le séisme, le tourisme est devenu dans la région le principal pourvoyeur d’emplois, explique Chen Guoxing.

Beaucoup d’habitants se demandent toutefois de quoi leur avenir sera fait d’ici 10 ou 20 ans, lorsque l’intérêt des visiteurs pour le séisme se sera étiolé.

«On ne pourra pas juste dépendre du tourisme pour subvenir à nos besoins», observe une jeune guide de 25 ans devant l’ancienne école primaire où ont péri ses camarades.

Sa famille n’a pas les moyens de payer ses études supérieures. Et l’emploi de guide est actuellement la meilleure option qui lui soit accessible sans diplôme.

Mais au-delà des difficultés économiques, l’entretien des ruines de Beichuan est en elle-même un défi, à la fois financier et technique.

La ville dépense chaque année 20 millions de yuans (2,6 millions d’euros) pour les maintenir en état. Et la pluie, le vent et l’érosion mettent à rude épreuve ce qui reste des bâtiments.

Mais Wang Huarong, guide de 33 ans, estime que l’argent et les efforts déployés sont loin d’être vains.

«Quand les visiteurs voient les ruines de l’ancienne ville, ça les fait réfléchir. Ils réalisent que les choses qu’ils considèrent comme importantes ne le sont peut-être pas tant que ça», raconte-t-elle.

«Ils comprennent qu’avoir une famille, c’est ça le vrai bonheur dans la vie.»