Publicité

Belal Jhoomun: «Nos équipements sont mal foutus !»

15 avril 2018, 21:30

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Belal Jhoomun: «Nos équipements sont mal foutus !»

Ses propos n’ont pas manqué de dérouter les conseillers du ministère des Infrastructures publiques lors d’un débat sur la sécurité routière, organisé par une radio privée, le jeudi 12 avril. Rien ne semble pouvoir arrêter l’ingénieur – obsédé par les normes – lorsqu’il se lance dans des explications sur le pourquoi du comment concernant les accidents de la route. Qui ont fait plus de 50 morts depuis le début de l’année. Faites place, il arrive.

Lors d’un débat organisé par une radio privée sur la sécurité routière, jeudi, vous avez cloué le bec à Daniel Raymond, conseiller du gouvernement en matière de sécurité routière. «Éoula, ou enn exper en la matière ou ?»
J’ai simplement dit ce que j’avais à dire. Je ne suis pas un expert, mais j’ai de bonnes connaissances sur l’aménagement des infrastructures routières.

Si vous étiez à la place du conseiller, vous auriez fait quoi pour freiner les accidents ?
Le nombre de morts sur les routes m’aurait interpellé et j’aurais remis en cause des décisions, mes actions. Les autorités sortent toujours la même rengaine, ils se contentent de blâmer le comportement des gens sur la route. Des fois, il suffit d’avoir de bons équipements, une bonne signalisation pour avoir de meilleurs conducteurs.

Les Mauriciens sont, donc, des modèles en matière de conduite ?
Je ne dis pas qu’il ne faut pas ajouter le comportement des usagers de la route en considération dans cette équation. Mais comme on veut toujours ressembler aux pays européens, faisons comme eux ! Il faut des amendes plus fortes, refaire le système de signalisation afin qu’il soit aux normes internationales…

Tous vos clignotants sont au rouge.
Évidemment ! Il n’y a rien qui soit adapté à la sécurité routière à Maurice. Rien n’est aux normes, que ce soit le marquage routier ou les panneaux (NdlR, il en a quelques-uns sous le bras). Parlons- en, justement ! Les couleurs ont un sens dans tous les pays du monde, sauf à Maurice. Mais il n’y a pas que la couleur… (NdlR, il sort deux panneaux). Regardez ceux que j’ai là. Le support est en galfan, un alliage de deux métaux qui résiste aux vents et à la corrosion alors qu’à Maurice, tout est en «alucobond»…

Cela les protège des «voler féray», sans doute…
Le galfan n’a aucune valeur marchande. Prenez ces panneaux et allez chez un acheteur, il vous retournera chez vous. De plus, chaque unité à un numéro de fabrication qui permet de retracer d’où il vient et quand il a été fabriqué et donc, savoir si la machine qui a été utilisée pour le faire était bien calibrée. La surface est rétro-réfléchissante pour la visibilité de nuit. À Maurice, n’importe qui peut fabriquer des panneaux s’il sait couper un bout d’«alucobond» et a une bonne imprimante sans aucune norme.

Comme vous y allez, avec vos normes !
C’est important ! Maurice accueille plus d’un million de touristes par an et la plupart a le droit de conduire, donc oui. Mais le respect des normes est primordial pour la sécurité des Mauriciens surtout. Un panneau doit être d’une certaine taille afin de permettre au conducteur de le voir s’il roule à 110 km/h, si cette limite est autorisée.

Ici, ils sont tellement petits qu’ils sont invisibles la nuit. De plus, ils ne sont pas rétro-réfléchissants. Ce qui fait que toutes les amendes sont contestables devant la cour car aucune autorité ne pourra venir dire que le panneau respecte telle ou telle norme. Et non, la norme mauricienne n’existe pas parce qu’elle n’est définie nulle part.

Si on change tous les panneaux, on aura moins de morts ?
Cela aiderait. Il faut aussi se concentrer sur le marquage des routes. Encore une fois, aucune norme n’est respectée. Ailleurs, les peintures utilisées sont règlementées alors qu’ici, il n’en est rien. On utilise n’importe quoi et tout disparaît en un rien de temps. Récemment, on a commencé à utiliser des peintures thermoplastiques, comme cela se fait en Europe. Sauf que ce n’est pas la bonne et elle devient glissante par temps de pluie. Lorsqu’il pleut, les marquages sont carrément invisibles !

Il faut donc repeindre les routes chaque semaine, c’est ça ?
Tout ce que je vous dis ici se fait déjà à La Réunion… Ils ont même des marquages qui font du bruit lorsqu’une roue passe dessus. Même si un conducteur de les voit pas, il sait où il est sur la voie. Pourquoi ne pas faire la même chose chez nous ?

Parce qu’il n’y a pas d’argent, peut-être ?
Faux ! Lorsqu’on voit tout ce que l’on dépense en matière d’infrastructures routières… Avec le budget annuel qui est consacré au ministère, c’est largement possible. En trois ans, ils auraient amélioré la moitié de l’autoroute.

Tout ça explique pourquoi nos routes sont si mortelles ?
En partie. Nos équipements sont mal foutus !

C’est bon, on a déjà parlé des panneaux...
Parlons d’autre chose alors ! Il y avait un appel d’offres pour les garde-fous récemment et ils voulaient un mélange pas possible de normes américaines et européennes. Forcément, cela ne peut pas marcher. Ajoutons à cela le fait que les normes concernant l’installation n’ont pas été respectées. Résultat : on a des véhicules qui se retrouvent de l’autre côté de l’autoroute au lieu de rester sur place en cas d’accident.

On doit tous voyager à bicyclette ?
Non, mais bon, des actions doivent être prises, et vite…

Que peut-on faire alors pour arrêter l’hécatombe ?
On peut réintroduire le permis à points, car cela marchait. Les conducteurs faisaient attention de peur d’être sanctionnés. Les chiffres parlent d’eux-mêmes, il semblerait qu’on se dirige vers un record concernant le nombre de morts cette année. Ensuite, il faut installer une signalisation cohérente. Un exemple concret serait de placer des panneaux d’indication à au moins un kilomètre avant un rond-point pour dire quelle sortie prendre et pour quelle destination. Cela éviterait aux gens d’effectuer des zigzags en cherchant leur chemin.

Il faut plus de contrôle à la sortie des boîtes de nuit, jusqu’au petit matin, ou dans les endroits à risque. Puis bon, il serait bien aussi que le ministre protège les officiers…

Pardon ?
Vous avez certainement déjà croisé la route de ces personnes chargées de couper l’herbe au milieu de l’autoroute… Est-ce qu’il y a un panneau qui indique qu’il y a des travaux en cours ? Non. Ces gens sont en danger, et un panneau indiquant à un conducteur qu’il faut ralentir les aiderait.

Sinon, les campagnes de sensibilisation servent-elles à quelque chose ?
Elles ont de l’impact seulement si elles sont sur la durée. Sur quelques jours ou une semaine, ça ne sert à rien.