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Économie: vers une relance du secteur du cuir mauricien ?

12 avril 2018, 02:30

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Économie: vers une relance du secteur du cuir mauricien ?

C’est un secteur qui a presque disparu de l’économie locale. Mais le gouvernement, par le biais du ministère de l’Activité économique, des entreprises et des coopératives, entend bien lui donner un nouveau souffle. Un atelier de travail s’est tenu ce mercredi 11 avril avec des opérateurs du secteur du cuir afin de définir une «Leather Strategy for Mauritius», et ce avec l’aide d’experts du COMESA et d’Africa Leather and Leather Products Institute (ALLPI). Ces derniers ont eu une rencontre avec le ministère en octobre 2017 pour discuter de la possibilité de relancer le secteur à Maurice, ayant eux-mêmes travaillé sur des projets de relance similaires avec plusieurs pays du COMESA dont le Zimbabwe. 

Au ministère, l’on s’attendait à accueillir une cinquantaine de participants à cet atelier qui s’est déroulé ce matin au Domaine Les Pailles. Parmi eux, des fabricants de chaussures, sacs, ceintures, des opérateurs de boucherie ou encore des importateurs bovins. Le but : créer un écosystème viable pour la relance d’une filière cuir au niveau local comme pour l’exportation.  

Qu’en pensent les opérateurs de cette idée de relance ? Au dire du représentant de Luxor Tannery Ltd, parmi les dernières tanneries toujours en opération à Maurice, l’idée est bienvenue mais la situation est difficile. Cette entreprise familiale, fondée en 1957, comptait dans le passé une trentaine d’employés. Aujourd’hui, il n’en reste plus que 12. La faute au manque de main-d’œuvre qualifiée. 

 Concurrence asiatique  

Pourtant, la demande est là à en croire Ali Beekun, cogérant de l’entreprise avec son père. Luxor Tannery Ltd achetait jusqu’à l’année dernière des peaux de bétail de la Mauritius Meat Authority, jusqu’à ce que celle-ci arrête d’importer des bovins de l’Afrique du Sud. Aujourd’hui, l’entreprise s’approvisionne surtout auprès du plus gros importateur local, à savoir Socovia. Luxor Tannery Ltd devait participer à l’atelier de travail qui s’est tenu ce mercredi 10 avril.  

Chez les fabricants locaux, ce nouvel engouement du gouvernement pour le secteur arrive un peu tard. Dev Santchurn, directeur de Manisa Co Ltd, entreprise qui fabrique et vend des chaussures, sacs et ceintures de la marque Julien R, ne mâche pas ses mots. «Nous faisons face à de grosses difficultés car il n’y a plus de barrière tarifaire. Il y a beaucoup de dumping en provenance de Chine et aucun opérateur n’arrive à faire face à la concurrence asiatique», déplore-t-il. Il faut ajouter à cela un manque cruel de main-d’œuvre qualifiée, de formation et une politique de recrutement de travailleurs étrangers contraignante. Des éléments qui ont poussé l’entreprise à se restructurer au fil des années et se spécialiser exclusivement dans les accessoires en cuir au lieu du synthétique comme c’était le cas auparavant.  

De plus, elle a été contrainte de réduire le nombre de ses magasins, passant de sept à quatre points de vente. Heureusement pour Manisa Co. Ltd, l’entreprise a su se créer un marché niche tout en se bâtissant une solide réputation en matière de qualité auprès d’une clientèle fidèle à travers sa marque Julien R. L’entreprise exporte également vers certains pays de la région océan Indien comme les Seychelles et l’île de La Réunion. Elle offre également un service après-vente, effectue des réparations à la demande des clients et fait aussi du sur mesure. Son cuir, elle a choisi d’en importer en raison de la qualité.  

Pourtant, malgré les difficultés, Manisa Co Ltd ne baisse pas les bras. «Nous avons des projets, mais le manque de main-d’œuvre qualifiée au niveau local demeure problématique», explique Dev Santchurn. La solution, selon lui, reste le recrutement de travailleurs étrangers. «Je ne comprends pas l’attitude du gouvernement par rapport au recrutement des travailleurs étrangers.» Tout comme pour les autres segments du secteur manufacturier, à l’instar du textile, de la menuiserie ou encore de la construction, le secteur du cuir a également un ratio de travailleurs mauriciens à respecter selon la loi. Pour un étranger recruté, il faut trois Mauriciens. Un ratio qui ne correspond pas du tout aux réalités du secteur à en croire Dev Santchurn.  

«Avant il y avait une école de formation, mais elle a fermé. Au lieu d’aider les entreprises locales, on a enlevé la taxe. À présent, il faut ajouter à cela l’introduction du salaire minimum et la hausse des frais de location pour nos espaces commerciaux», déplore le directeur de Manisa Co. Ltd. Ce qui fait dire à notre interlocuteur que le secteur a besoin d’encadrement et qu’on le rende plus attrayant afin d’attirer l’investissement, si l’on veut vraiment lui donner un nouveau souffle. 

Inderjeet Soloo, directeur de Charms Bag, entreprise qui utilise le cuir pour apporter de la valeur ajoutée à certains de ses produits, abonde dans le même sens. Si son entreprise a choisi de ne pas se spécialiser dans le cuir ou du moins de pas en ouvrir un département, c’est surtout en raison des diverses contraintes liées aux importations et au manque d’accompagnement et d’encadrement pour les entreprises locales.  

«Le cuir nécessite une expertise très spécifique, avec des machines et des techniques qui lui sont propres. Mais comme nous ne sommes pas protégés contre les importations, nous nous voyons mal nous lancer dans une telle filière», explique-t-il. Son entreprise se spécialise principalement dans la fabrication de sacs en tissu ou en matière synthétique, entre autres. Il reste toutefois d’avis qu’il y a une possibilité de relancer le secteur à Maurice. Mais cela relèvera d’un travail de titan.  

À savoir que Maurice a importé une valeur de Rs 814,9 millions de cuir en 2017. Ce montant englobe à la fois le cuir et les produits en cuir tels que les chaussures, les ceintures ou encore les sacs entre autres. Nos principales sources d’approvisionnement sont la Chine, la France, l’Italie et la Grèce pour n’en citer que quelques unes. Le pays n’a en revanche exporté que Rs 101,9 millions de produits en cuir et ce vers des marchés belges, britanniques ou seychellois entre autres.