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Du sésame et un chameau: une huile précieuse coule à Mazar-i-Sharif

27 mars 2018, 14:51

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Du sésame et un chameau: une huile précieuse coule à Mazar-i-Sharif

Quand les vieux messieurs viennent la chercher pour leurs articulations ou pour parfumer le riz traditionnel, ils s'installent dans la minuscule échoppe bercée par le pas du chameau et regardent l'huile couler en un flot régulier dans un bidon en plastique.

Dans le nord de l'Afghanistan c'est un commerce traditionnel, tenu principalement par les Turkmènes, dont personne ne connaît bien les origines: les graines de sésame sont pressées non à la main mais «au chameau», qui tourne autour d'un palan entraînant le pressoir.

Deux quadrupèdes se relaient toutes les deux heures dans une fosse de 3 mètres de côté, pour tourner littéralement en rond dans ce minuscule espace, le bât sur l'épaule soutenant un mât qui entraîne le dispositif, le regard protégé par des œillères.

Chowri Amini, âgé de 45 ans, a repris le commerce lancé par son père, et son fils de douze ans qui l'assiste se prépare à la relève. Il achète le sésame sur le marché local, cultivé dans la riche province de Balkh entre le blé, le haschich et le pavot.

Avec un sésame de bonne qualité, un kilo de graines produit un demi-litre d'huile.

«On est environ 35 producteurs à Mazar-i-Sharif, tous Turkmènes, on se connaît tous», souligne l'homme aux joues rondes et pommettes hautes. «Nous sommes honnêtes; c'est la clé du business», affirme-t-il avant de préciser: «On n'a jamais cessé pendant la guerre».

Chowri Amini presse aussi le sésame des fermiers qui lui apportent leur production, facturant 100 Afghanis (1,5 dollar) le «ser», l'unité traditionnelle qui équivaut à sept kilos.

Les résidus sont utilisés comme combustible dans les foyers.

Chameaux musclés

Ce commerce modeste lui rapporte 20.000 afghanis par mois (300 dollars), moins lucratif que le pavot pour l'opium qui produit l'héroïne, mais supérieur au traitement d'un soldat et assez pour faire vivre ses cinq enfants.

Dans cette grande artère de Mazar-i-Sharif, les échoppes comme la sienne se succèdent, légèrement en surplomb de la chaussée, offrant l'ombre de leurs épais murs aux visiteurs et chalands.

Toutes les deux heures, son employé Alokozai verse 11 kilos de graines dans le pressoir et reprend la bride du chameau pour le guider le long du cercle. Alokozai n'a jamais songé à faire autre chose, répond-il, surpris par la question.

Chaque chameau fait cinq tours de deux heures dans la journée. A ce rythme-là, ils tiennent généralement dix-huit mois puis Chowri Amini les revend «avec un bénéfice», car les bêtes se sont musclées.

Quelque 300.000 litres d'huile sont ainsi produites de manière artisanale chaque année dans la province de Balkh, dont Mazar est la capitale. Une cinquantaine de producteurs en vivent.

Environ 300 agriculteurs produisent du sésame qu'ils préfèrent cependant vendre sur le marché régional pour un bénéfice légèrement supérieur, 120 Afghanis le kilo (1,70 dollar) contre 90 au bazar de Mazar (1,30 dollar), explique le directeur des cultures au département de l'Agriculture, Zabihullah Zubin.

«Plus douce pour le kabuli»

Bien sûr cette production artisanale est concurrencée par les pressoirs industriels - Mazar en compte trois, qui travaillent aussi pour l'exportation.

«Ils ont la technologie, le nettoyage des graines, le packaging... La petite production manuelle aurait besoin d'investissements et de soutien technique» pour atteindre le marché international, dit Zabihullah Zubin.

Un homme d'affaires franco-afghan s'y emploie d'ailleurs: Joseph Nezam tente de développer les productions locales avec le soutien de l'USAID, l'agence de développement américaine, et voit bien «la petite histoire à raconter autour du pressoir à chameau».

«L'Afghanistan a un sésame de très bonne qualité; mais les gens préfèrent vendre aux pays voisins qui servent d'intermédiaire au marché international. Il faut les aider à produire aux normes européennes», dit-il.

En attendant, les vieux clients de Chowri Amini jurent que l'huile des chameaux est «totalement bio, plus saine, douce et plus sucrée aussi pour le kabuli palau» (plat de riz traditionnel) que celle des pressoirs industriels qui «brûlent» les graines en les écrasant, affirment-ils. 

«Avec ça, vous vous sentez tout de suite mieux», assure aussi Hajji Abdul Ghani Rahmani, médecin traditionnel vêtu de blanc qui commence à ausculter et masser un vieux patient au pantalon retroussé jusqu'au genou. Autour du thé et pendant que le chameau tourne, l'échoppe d'Amini sert aussi de cabinet médical.