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Affaire Platinum Card: l’onde de choc dans le secteur financier

20 mars 2018, 22:05

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Affaire Platinum Card: l’onde de choc dans le secteur financier

Au-delà des crises constitutionnelle et politique, l’affaire Platinum Card a aussi égratigné l’image de Maurice sur le plan financier à l’échelle internationale. Plusieurs spécialistes de ce secteur s’inquiètent des répercussions liées à ce scandale. Parmi elles : une collaboration incertaine des banques internationales...

Dans un climat déjà fragilisé, où Maurice figure sur la liste grise de l’Union européenne et où le pays est cité comme un paradis fiscal dans les Paradise Papers en 2017, la situation courant n’augure rien de bon. Si les mesures prises dans le secteur contre le blanchiment d’argent sont conformes aux normes, les ingérences politiques citées ces dernières semaines font, elles, sourciller. Il nous revient d’ailleurs que des banques étrangères sont de plus en plus réticentes à travailler avec Maurice.

«Plusieurs petites banques ont beaucoup de mal à trouver des correspondent banks avec lesquelles travailler. Ce n’est pas un si gros problème pour les banques qui ont des branches à l’étranger», soutient une source dans le secteur bancaire. Les correspondent banks sont essentielles au bon fonctionnement des institutions bancaires puisqu’elles permettent les transactions en devises étrangères.

On explique que dans plusieurs pays, à l’instar de l’Angola, les banques ont beaucoup de mal à trouver des correspondent banks. Le pays d’origine d’Álvaro Sobrinho était, lui, sur la liste du Groupe d’action financière des pays qui ne se conformaient pas aux normes internationales établies pour contrer le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.

Les raisons qui expliquent le phénomène de réticence des correspondent banks sont les mêmes qui inquiètent les parties prenantes des services financiers. «Il y a un mécanisme de mitigating risks qui se met en place. En effet, les institutions étrangères pourraient préférer ne pas s’associer avec Maurice. La question qu’elles se posent, c’est surtout pourquoi prendraientelles un tel risque quand les profits qu’elles en tirent ne sont pas considérablement différents des autres jurisdictions», soutient un spécialiste financier.

En mars 2017, le journal suisse très respecté Le Temps faisait déjà mention d’un besoin pour Maurice de se redorer le blason après l’affaire Álvaro Sobrinho. «Nous sommes choqués que le personnage en question ait bénéficié de faveurs, alors que d’autres investisseurs doivent attendre jusqu’à trois mois pour obtenir une autorisation. On peut craindre que les investisseurs étrangers se lassent de ces interférences politiques», faisait valoir un investisseur suisse à Maurice, qui intervenait dans les colonnes de ce même journal.

Aujourd’hui encore, un banquier suisse qui suit l’affaire Álvaro Sobrinho de près indique à l’express que la situation devient dangereuse pour Maurice. «La réputation de Maurice comme un centre financier est en jeu. Aujourd’hui la présidente et le gouvernement ne peuvent plus travailler ensemble. C’est une instabilité au plus hautsommet de l’État.»

Les directeurs de compagnies opérant dans le Global Business se veulent, eux, moins alarmistes. S’ils conçoivent que les investisseurs financiers sont soucieux depuis l’affaire Álvaro Sobrinho, ils soutiennent n’avoir jusqu’ici jamais eu de cas spécifiques où les investisseurs ont refusé de travailler avec Maurice pour cette raison.

«Nous rencontrons souvent des clients potentiels et des cabinets juridiques, où l’on nous pose des questions, soutient le directeur d’une firme dans le Global Business. Ils savent que l’industrie est bien réglementée à Maurice, mais les ingérences politiques leur font peur.»

Dans le secteur, ils seraient nombreux à n’avoir pas compris pourquoi la suspension des licences d’Álvaro Sobrinho a été levée malgré une enquête policière à Maurice. «Il faut faire attention. Les organisations internationales nous surveillent de très près…»

Rapport GAFI: l’immobilier et les ONG au banc des accusés

L’immobilier sert à blanchir l’argent… Telle est la conclusion du rapport du Groupe d’action financière (GAFI), publié en 2012 et réactualisé en 2016. Créé en 1989, le GAFI est un organisme intergouvernemental qui développe des stratégies de lutte contre le blanchiment de capitaux. Les organisations non gouvernementales (ONG) et les secteurs de l’assurance-vie sont également cités dans le rapport comme étant vulnérables. C’est un phénomène grandissant non seulement en Afrique, mais aussi en Europe et en Amérique.

Au Canada, par exemple, en 2016, les autorités ont recensé des plans plus sophistiqués, combinant des prêts et des hypothèques aux comptes en fiducie d’avocats pour blanchir discrètement des fonds. Ce qui a conduit le gouvernement fédéral à enquêter parallèlement sur la hausse faramineuse des prix des résidences. Ce sont les méthodes de blanchiment parmi les plus courantes.

Le rapport affirme cependant que les agences financières et les agents impliqués dans ces transactions ne font parfois qu’une vérification sommaire pour déterminer si l’acheteur est lié au crime organisé ou à une organisation terroriste. Les courtiers ont tendance à se fier à leur instinct, d’après les chercheurs.

Ces derniers estiment que le rôle des avocats est également montré du doigt, car les transactions étaient protégées par le secret professionnel. Dans le rapport du GAFI, celui-ci fait donc une série de recommandations pour que les gouvernements mettent en place des mécanismes visant à prévenir le blanchiment d’argent et le financement terroriste.

Blanchir l’argent sale des activités illégales en achetant des biens fonciers n’est pas nouveau à Maurice. «C’est un phénomène qui prend de l’ampleur», selon un spécialiste des finances. L’immobilier en plein boom avec le développement des Integrated Resort Schemes, des Real Estate Schemes et des morcellements résidentiels à travers le pays.

Au cours des auditions de la commission d’enquête sur la drogue, plusieurs trafiquants ont d’ailleurs avoué avoir fait l’acquisition de bateaux ou certains biens fonciers en les enregistrant au nom de prête-noms. Toutefois, il existe des législations mauriciennes pour contrer le blanchiment d’argent. Par exemple, la Financial Intelligence and Anti-Money Laundering Act, qui prévoit de pas accepter des paiements en espèces de plus Rs 500 000.

Il y a également une obligation légale non seulement pour les institutions financières, mais aussi pour les avocats, notaires et agents immobiliers pour déclarer leurs soupçons. «Des règlements qui sont malheureusement peu respectés», affirme notre interlocuteur.