Publicité

Prem Saddul, géomorphologue: «Un gros séisme à Maurice, c’est impossible»

4 mars 2018, 20:00

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Prem Saddul, géomorphologue: «Un gros séisme à Maurice, c’est impossible»

Mardi, la terre a tremblé. Ce phénomène n’est pas rare : Maurice et, surtout Rodrigues, connaissent chaque année de nombreux petits séismes. Sont-ils annonciateurs de secousses plus importantes? Pour le géomorphologue Prem Saddul, la réponse est non. Explications.

À quoi ça sert, un géomorphologue?
(Surpris) On ne me pose jamais cette question. Pourtant, il y aurait beaucoup à dire... Pour faire simple, la géomorphologie est l’étude des reliefs et de leur formation. C’est passionnant et très concret.

Exemple…
Les applications sont nombreuses, ça va de la lutte contre l’érosion à la prévention des glissements de terrain. Cette discipline est peu connue, voire mal-aimée à Maurice. Je pense être le seul géomorphologue de l’île et personne ne vient jamais frapper à ma porte pour me demander un avis sur une question pratique. Mes recherches, je les fais pour moi, ou pour informer les journalistes.

C’est frustrant ?
Ce qui est frustrant, c’est d’avoir des solutions à des problèmes et de ne pas être entendu. Prenez l’érosion côtière: la Beach Authority ne sait même pas que Prem Saddul existe... On préfère aller chercher un expert étranger que l’on paie dix fois plus cher. Pareil pour les glissements de terrain, alors que neuf fois sur dix j’arrive aux mêmes conclusions. Nul n’est prophète en son pays, comme on dit. J’ai sillonné l’île pendant sept ans pour cartographier et analyser ses reliefs, j’en ai fait un livre, mais on dirait que ça ne compte pas. On fait plus facilement confiance aux étrangers qu’aux enfants du pays. C’est plus que frustrant: c’est vexant.

Pourquoi la Terre a-t-elle tremblé ?
Ce mot me dérange. Géologiquement, le terme «tremblement de terre» n’est pas approprié. Il est plus juste de parler de secousse.

Quelle différence ?
Quand l’énergie libérée à l’épicentre est d’une magnitude de 4 sur l’échelle de Richter, c’est une secousse sensible. On commence à parler de tremblement de terre à partir de 6,5. Une telle puissance n’a jamais été enregistrée à Maurice, ni même à Rodrigues, où l’activité sismique est plus forte. Les plus grosses secousses que nous ayons eues sont celles qui ont frappé Rodrigues en 2013 et en 2014, et qui avaient atteint une magnitude de 5,2.

Celle de mardi, qu’est-ce qui l’a provoquée ?
Avant de répondre à cette question, posons que les vibrations de la Terre peuvent avoir plusieurs origines : tectoniques, volcaniques… Certaines sont même provoquées par l’homme : les activités minières de profondeur, les barrages ou les explosions sont aussi la source de tremblements de terre. Mardi, en l’occurrence, l’origine était tectonique.

Comment le savez-vous ?
L’épicentre était situé à 80 km du Piton de la Fournaise : cette distance trop grande exclut une origine volcanique.

Une secousse tectonique, donc. Pas sûr que tout le monde comprenne…
Pour comprendre, il faut imaginer l’enveloppe de la Terre comme un puzzle. Cette enveloppe, c’est l’écorce terrestre. Elle est formée d’une mosaïque de blocs, les plaques tectoniques, épaisses d’une centaine de kilomètres et en mouvement permanent. Maurice se situe sur une petite plaque, la plaque somalienne, qui est un «morceau» de la plaque africaine. Cette microplaque se déplace lentement et nous avec. Un peu comme un radeau.

À quelle vitesse et vers où ?
C’est de l’ordre de 4 à 5 centimètres par an, vers l’ouest. La secousse de mardi est probablement due au frottement de cette plaque avec le manteau terrestre. C’est la partie située à l’intérieur de la Terre, jusqu’à 3 000 kilomètres sous nos pieds.Les plaques tectoniques glissent sur ce «tapis» de roches chaudes qui n’est pas uniforme, d’où des frictions. C’est l’hypothèse la plus plausible.

C’est clair. Ce qui l’est moins, c’est l’impact. Comment une secousse dont l’épicentre a été localisé à plus de 100 kilomètres de nos côtes peut-elle être ressentie si fortement à Maurice ?
Fortement ? Impossible…

Il y a pourtant eu de nombreux témoignages…
Cette secousse n’a pas pu secouer grand-chose. Au maximum, un lustrequi se balance et encore. À peine a-t-on le temps de s’en apercevoir.

Un habitant de Grande-Rivière-SudEst prétend avoir vu ses meubles bouger et même des fissures apparaître dans un mur…
(Rire) Bann foutez sa ! C’est fantaisiste. Je suis catégorique là-dessus.

Était-ce un événement isolé ou fautil s’attendre à des répliques ?
A priori, c’était un événement isolé. Mais il faut se donner un peu de temps. Si dans les six prochains mois d’autres secousses tectoniques sont enregistrées en pleine mer, entre Maurice et La Réunion, cela voudra dire qu’il se passe des choses intéressantes sous la plaque somalienne.

On a senti la station météo pas très au point. Est-ce votre sentiment aussi?
C’est normal, ce n’est pas leur spécialité. (Sur le ton de la confidence) Mercredi matin, j’ai appelé le directeur de la météo, qui est un ami. La première chose qu’il m’a dite, c’est: «Ki to pansé ki finn arivé ?» Il est météorologue, pas sismologue. Lire une secousse sur un sismographe c’est bien joli, mais encore faut-il savoir interpréter les données. Nous n’avons personne pour le faire à Maurice. C’est un peu comme si vous passiez une radiographie à l’hôpital et que personne ne savait lire le cliché. C’est embêtant.

Que proposez-vous ?
Une vraie coopération entre les îles de la région, en profitant de l’expertise réunionnaise. En vase clos, nous n’arriverons à rien. Même quand les compétences sont là, on ne sait pas les utiliser. Le Mauritius Oceanography Institute a quelqu’un - un étranger – qui travaille sur l’interprétation des sismogrammes et qui envoie ses travaux… en Amérique. C’est aberrant.

Un séisme de forte magnitude peutil se produire un jour chez nous ?
C’est quasiment impossible, nous n’avons rien à craindre.

Comment pouvez-vous être aussi catégorique ?
En raison du mouvement de la plaque somalienne. Les plaques tectoniques ne bougent pas toutes de la même manière. Elles peuvent coulisser latéralement, l’une à côté de l’autre, comme en Californie. Elles peuvent se rapprocher avec l’une qui passe sous l’autre, comme en Indonésie ou au Japon. Dans ces deux cas, un puissant séisme est possible. Sous l’île Maurice, le mouvement est différent: la plaque somalienne s’éloigne des autres. De plus, c’est en bordure de plaque que la terre tremble fortement, or nous sommes à l’intérieur. Il n’y a donc aucun risque.

Et pour Rodrigues ?
C’est un peu différent. Rodrigues est situé à 300 kilomètres d’un secteur appelé la «Triple Jonctionde l’océan Indien». Autrement dit, à la bordure de trois plaques, d’où une activité sismique importante. L’île enregistre en moyenne une secousse par mois, parfois deux, mais d’assez faible intensité, entre 3,5 et 5,2 sur l’échelle de Richter. Même si le risque zéro n’existe pas, un gros séisme est très improbable. En raison, là encore, du mouvement des plaques sous les pieds des Rodriguais. On n’a jamais vu un tremblement de terre massif se produire à la bordure de plaques qui s’éloignent. Donc, ne jouons pas à nous faire peur, il n’y a aucune raison… de trembler.