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Eileen Lohka: dire la richesse de Maurice en multigenre

24 février 2018, 17:45

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Eileen Lohka: dire la richesse de Maurice en multigenre

Cette professeure d’études françaises et francophones et écrivaine multigenres, établie en Amérique du Nord depuis une quarantaine d’années, a été l’unique femme qui est intervenue lors d’une séance plénière pour la conférence internationale sur la diaspora universitaire. Celle-ci a été organisée au cours de la semaine écoulée par l’université de Maurice.

On pourrait dire que la boucle est presque bouclée pour Eileen Lohka. Après avoir publié, en 2013, un livre sur la place des femmes blanches et de couleur dans l’Isle de France à l’époque coloniale, intitulé La femme cette inconnue : Isle de France, terre des hommes, son exposé de jeudi à l’auditorium Octave Wiehe a porté sur la place occupée par les Mauriciennes après l’Indépendance.

Si cette sexagénaire, à un an de la retraite, trouve que la place des femmes a été autonomisée grâce à la zone franche, elle constate qu’aujourd’hui, ses concitoyennes sont encore invisibles dans le capital symbolique de l’île. «L’écrivain canadien François Paré dit qu’une communauté se reconnaît dans le capital symbolique d’un pays, dans la commémoration que l’on fait d’elle. Avez-vous vu beaucoup de statues de femmes à Maurice ?» demande-t-elle.

Eileen Lohka souligne qu’il y a, certes, celle d’Anjalay, à Port-Louis. Mais encore ? «Il y a une autre et c’est celle d’une femme fictive, en l’occurrence la Virginie de Bernardin de St Pierre, à Curepipe. Et c’est tout. Combien de rues à Maurice portentelles le nom de Mauriciennes ? Comment les femmes se reconnaissent-elles dans le paysage symbolique mauricien si elles n’y existent pas alors qu’elles ont accompli tant de choses depuis l’Indépendance ? Maurice est une société encore très patriarcale où les femmes sont encore battues et violées.»

C’est pour cette raison que lors de son exposé de jeudi, elle a établi une nomenclature et cité des noms de Mauriciennes qui ont eu une contribution sociale importante. «Il fallait le faire. C’était un devoir mémoriel. J’ai essayé de remettre la Mauricienne à l’honneur», précise-t-elle.

Carrière tracée

Depuis qu’elle a sept/huit ans, la jeune habitante de Quatre-Bornes qu’elle était savait qu’elle voulait enseigner. Dès cet âge, cette aînée d’une famille de trois enfants joue à la miss lékol, inscrivant sur les portes du garage familial des mots et des tables de multiplication afin de faire répéter sa fratrie.

C’est au collège Lorette de Quatre-Bornes qu’elle fait ses études secondaires dans la filière classique jusqu’en Form V. Cette institution ne proposant pas des classes de Form VI à l’époque, elle est admise au collège Lorette de Curepipe. Une mauvaise chute lors des vacances à La Réunion, où son père ingénieur effectue des centralisations sucrières, lui vaut de se briser des vertèbres cervicales et plusieurs mois d’immobilisation lors de sa dernière année de secondaire. Cela ne l’empêche pas d’obtenir d’excellents résultats de fin d’études.

C’est à l’université de La Réunion qu’elle entame ses études supérieures en lettres pendant deux ans. Elle obtient son admission à l’université de Nice dans le sud de la France, où elle décroche sa licence et sa maîtrise d’anglais. Le thème de son doctorat est une réflexion sur la dualité linguistique et culturelle du Canada, si différente de celle de Maurice. Un échange académique à l’université de Toronto, au Canada, où vit son oncle Clifford Lincoln, ancien ministre de l’Environnement du Québec, lui permet d’y enseigner le français et la littérature.

Cette insulaire aimant le soleil et la mer avait prévu de ne passer qu’un an à Toronto. Sauf qu’elle y rencontre Manfred Lohka, étudiant canadien qui fait son doctorat en biologie cellulaire. C’est le coup de foudre et un an après, ils se marient. Ils comptabilisent désormais 40 ans de mariage, un fils de 39 ans et une fille de 35 ans, mère d’un petit garçon de deux ans.

À la fin de son doctorat, Manfred Lohka décroche une bourse aux États-Unis. La famille dépose ses valises au Colorado, à Denver, où elle reste neuf ans. Eileen Lohka enseigne le français au cycle secondaire.

Promouvoir sans cesse

De nouvelles opportunités professionnelles à Calgary ramènent la famille au Canada. Depuis 26 ans, Eileen enseigne la littérature francophone et la langue française aux étudiants de l’université de Calgary. Ses littératures de prédilection sont celles des Mascareignes et des Antilles pour mettre en lumière leurs points communs et leurs contrastes, et surtout pour valoriser les auteurs mauriciens. «C’était primordial pour moi de valoriser mon île, d’exporter sa richesse et, par la même occasion, lui rendre en partie ce qu’elle m’a donné», explique-t-elle.

Elle le fait aussi, à l’occasion, dans un journal semestriel du Conseil international d’études francophones qu’elle a présidé et où elle travaille souvent avec des collaborateurs de Maurice et de l’océan Indien. Elle organise, en 2013, avec le soutien du bureau du Premier ministre, une conférence internationale d’études francophones à Grand-Baie, qui amène sur nos rivages de nombreux universitaires et délégués étrangers. Sans compter une soirée poésie à succès avec des poètes mauriciens. «Les projecteurs étaient sur les écrivains du pays hôte, soit les Mauriciens. C’était important pour moi de le faire, car on ne sait jamais comment ça peut faire boule de neige.»

Eileen Lohka a toujours écrit. Au début, c’était pour sa propre consommation. C’est son amie, l’universitaire mauricienne Danielle Tranquille, qui l’a encouragée à se faire publier. Elle a plusieurs oeuvres à son actif comme Miettes et morceaux et, plus récemment, Déclinaisons masculines. En 2006, quatre de ses nouvelles ont obtenu le prix Jean Fanchette ex aequo avec les oeuvres de Judex Acking et de Gilllian Geneviève. Ces nouvelles ont fait d’elle une des finalistes du Prix des lecteurs de Radio-Canada et du Prix Émile Ollivier, au Québec.

Malgré cela, Eileen Lohka ne se considère pas comme une écrivaine. «Je souris lorsqu’on dit que je suis écrivaine. J’aime simplement raconter des histoires. Je me vois davantage comme une conteuse. Il y a de l’oralité dans ma façon de dire.» Là encore, il y a une part de Maurice dans ses écrits. «Je ne peux écrire sans que mon île natale ne soit présente. Maurice fait partie intrinsèque de mon écriture.»

Cette auteure, qui écrit d’un seul jet, ne corrigeant qu’un mot çà et là, s’essaie actuellement à la microbrève de 150 mots ou moins. Elle en a envoyé quatre à son éditeur canadien, Les Éditions du Blé, qui a lancé un concours pour les 150 ans de la confédération canadienne. Tous ont été retenus et viennent d’être publiés.

En congé sabbatique à Maurice, comme elle le fait régulièrement, elle a écrit 65 brèves et prévoit la publication d’un recueil dont le titre pourrait bien être La Tyrannie de l’Instant. Des éléments de son île natale y figureront certainement. «J’englobe Maurice dans tout ce que je fais.» C’est indéniable : son nombril est amarré à sa terre natale.