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Au Mexique, des prêtres contraints de côtoyer le crime organisé

22 février 2018, 16:46

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Au Mexique, des prêtres contraints de côtoyer le crime organisé

Lorsque 15 hommes armés ont fait irruption lors d'une messe au début de l'année 2017 pour exiger sa bénédiction, le père mexicain Jesus Mendoza leur a demandé d'abord de déposer les armes.

«Tant que vos garderez vos armes, il n'y aura pas de bénédiction», leur a-t-il lancé dans son église, située dans le violent État de Guerrero (sud du Mexique).

Une fois qu'ils ont obtempéré, le père a prononcé une prière de paix: «Touche le cœur de ceux qui oublient que nous sommes frères et qui causent la souffrance et la mort.»

Cet incident révèle la complexité du travail des prêtres dans les zones contrôlées par le crime organisé, dans ce pays à majorité catholique.

Début février, deux d'entre eux ont été abattus sur une route de cet Etat, portant à 21 le nombre de religieux tués sous le gouvernement d'Enrique Peña Nieto (au pouvoir depuis décembre 2012), selon des chiffres officiels de l'Eglise.

Après ce double meurtre, l'évêque du diocèse de Chilpancingo, dans l'Etat de Guerrero, Salvador Rangel, a reconnu avoir entamé un dialogue avec le crime organisé afin de maintenir la paix dans l'Etat.

«J'essaie d'empêcher qu’il ne se produise davantage de meurtres», s'est-il justifié sur une radio mexicaine, un discours qui va à l'encontre de la guerre frontale menée ces dernières années par les autorités du pays.

Ses inquiétudes s'appuient sur une sombre réalité: en 2017, année record pour les homicides au niveau national, l'Etat de Guerrero en a enregistré 2.318, le chiffre le plus élevé de tout le pays, selon les données officielles.

'Je me suis effondré' 

L'initiative de Salvador Rangel a reçu le soutien de la conférence épiscopale mexicaine.

«L'évêque fait courageusement son travail et nous le soutenons», commente à l'AFP Alfonso Miranda, secrétaire de l'organisation.

Pour le père Jesus Mendoza, qui a passé deux décennies à la tête d'une église dans le violent port d'Acapulco, cette réaction est «une tactique d'urgence».

«Pour réduire le niveau de violence dans certains endroits, c'est ce que nous devons rechercher», indique à l'AFP ce prêtre de 65 ans dans le petit bureau de son église située dans une zone rurale, près du port.

Au cours des 20 années où il a officié dans ce secteur, le père Mendoza a été témoin de l'augmentation constante de la violence, qui se traduit aujourd'hui par plusieurs meurtres par jour.

«J'ai commencé à contacter les familles des disparus, des victimes de meurtres, des gens menacés», raconte ce prêtre aux cheveux gris, vêtu d'une chemise bleue, une petite croix en bois autour du cou.

«C'est quelque chose qui nous a tous pris par surprise», dit-il.

Pendant huit ans, il a travaillé sur un programme de soins et de suivi des victimes. Cependant, côtoyer au quotidien un tel niveau de violence a fini par l'atteindre.

«Chaque jour, je recevais tout ce fardeau et cela, pendant des années, et peut-être que je ne m'occupais pas assez de ma santé émotionnelle», dit-il.

Il a fini par «s'effondrer», restant cinq mois sans pouvoir poursuivre son activité. Il a également perdu la vision d'un oeil.

«Ce contexte mine la santé», explique-t-il.

'Dieu les a conduits jusqu'à moi' 

Malgré tout, il a repris son labeur qui ne consiste pas seulement à s'occuper des victimes mais aussi de ceux qui génèrent cette violence.

«J'adopte une attitude d'ouverture envers tout le monde», assure le père Mendoza. 

«Je rencontre des gens armés et je les salue. Je cherche à leur dire 'je suis ici, avec vous, si vous avez besoin de quelque chose de moi, je suis ici pour vous servir'».

C'est ce qui s'est passé pendant sept ans dans la paroisse qu'il a dirigée dans le port. Un «faucon» (un membre du crime organisé chargé de surveiller un secteur) était toujours posté devant l'église.

«Une quinzaine d'entre eux se sont succédé durant ces années. Ce qui veut dire que les précédents avaient été tués», raconte-t-il. 

«A chaque fois, je me présentais auprès d'eux avec une attitude de grand frère. Je leur disais: 'Je suis ici, si je peux faire quelque chose pour toi'». Il a même invité certains d'entre eux à la paroisse. 

Quand les hommes sont entrés dans la paroisse, il a pensé: «Dieu les a conduits jusqu'à moi. Je devais m'occuper d'eux. Ils avaient un besoin spirituel (...), j'en ai profité pour les aider à comprendre.»